E


Parfois il lui prépare un dîner, d’autres pas. Quand il a décongelé la pain bien qu’il sache qu’elle en achètera il dresse la table, deux assiettes, deux fourchettes ,deux couteaux, deux verres. Puis il attend. Il attend qu’elle rentre, allongé sur le divan du salon, où il n’y a de place que pour un, mais où toux deux s’endorment souvent repliés, serrés comme deux oiseaux qui ont rogné sur leurs ailes. Elle, elle rentre tard. Il a attendu, il n’aime pas attendre, l’attente est une longueur de trop, elle est sa crispation,ses nœuds à l’estomac, et ces ainsi que les heures passent. Une fois qu’elle est rentrée, il descend les escaliers, s’assied à table en face d’elle, elle lui parle des piles de documents à classer, de ce sombre idiot qui est venu faire du foin au guichet, de cette autre qui est toujours absente et ne branle rien, et il écoute, où il n’écoute pas. Quand le repas est à son terme, il débarrasse la table, pose les couverts dans l’évier et s’en retourne s’allonger sur le divan. A la télévision, zapette en main ,rien n'est à son goût, il ôte alors ses chaussettes qui schlinguent et qu’elle s’empresse de laver, rejoint le lit, se recroqueville comme un petit animal contre le flanc de sa mère et s’endort aussitôt. Le lendemain, la vie molle recommence, comme elle doit aller elle va….


D’autre fois il boit, il boit trop et il le sait, il boit pour endormir son esprit. Il s’assied alors sur une chaise de la cuisine, appuie ses coudes sur la table, enserre sa tête entre ses mains, et lui dit « Veux tu que je m’en aile »,elle répond « Non »,alors il reste. Il monte de son poids de mort l’escalier qui mène à la chambre et s’endort. Le matin, elle s’est levée la première, s’est douchée longuement, a passé le fœhn dans ses cheveux, s’est maquillée, a préparé le petit déjeuner. Souvent il la conduit à son travail,le soir il l’attend près du lieu où elle gratte, dans le bistrot le plus proche et lui envoie un petit message qui dit « Je t’attend devant un café ».Il attend qu’elle sorte. Elle est en retard, elle est toujours en retard, un long retard, il ne dit rien. Il est devenu un homme qui se tait, commode et conciliant, de l’âge sensé lui est venu avec le temps, plus jeune il aurait maugrée et davantage. Quand ils rentrent à demeure la table est mise, la maison est propre, et bien qu’elle le soit, elle s’emmanche d’un balai et fait le tour de chaque pièce, faisant résonner ses pas de trotteuse sur le parquet ciré, puis tous deux dînent comme tous les soirs, en se parlant où en ne se parlant pas. Quand le repas est clos ils rejoignent le canapé, allument la télévision, fixent leurs regards sur l’écran et s’endorment, silencieux de tout et de rien…


Depuis neuf mois ils dorment ensemble, parfois serrés l’un contre l’autre, d’autres pas. Chacun a son côté, lui à droite du lit, elle a gauche, une ligne de démarcation, voilà où ils en sont le plus souvent. Cette ligne, c’est de l’ordre d’une signification, on ne baise pas, on dort. Pourquoi en sont ils là, il l’ignore, elle n’en sait pas davantage, ils sont deux à ne pas le savoir. Il est peut être passé sur l’autre versant du sexe, de celui qu’on conçoit de vingt à cinquante ans et qui au-delà devient impropre, impersonnel. Aujourd’hui lui viennent d’autres désirs, d’autres envies, celles de la quiétude, de la sérénité, le partage des choses simples, stupides, communes, bref le vide et son attirail de mots mal entendus. Bien qu’elle aimerait encore cette sauvagerie des sens et de l‘amour ,il n’y répond pas, il ne bande pas, il ne bande plus. Elle ,elle le désire encore et c’est avec un baiser dans le cou, une caresse qu’elle le lui dit. Il se met alors sur son flanc gauche, ne la repousse pas. Elle comprend alors qu’il va à nouveau s’endormir, attendre que des rêves lui viennent et que le lendemain il lui dira au petit déjeuner. Au matin ,c’est le même jour qui est là…


Comme il ne bande plus, il lui dit que c’est son désir qui a pris la tangente, s’en est allé dans une autre direction, qu’il est dans un temps sans éclaircie un temps sale, nuageux, qu’il attend d’en finir avec ces jours carbonifères, qu’il aimerait qu’il en soit autrement, mais cet autrement tarde. Il dit aussi qu’à la fin de l’année quand tous ces emmerdements auront terminé leur cours, il ira mieux. Il y pense parfois à ce sexe qui ne lui obéit plus, qui ne se raidit plus, qui est là dans son entrejambe comme un paquet de chair molle juste faite pour pisser, et puis des idées lui viennent sur son âge, sur cette andropause qui doit forcément y être pour quelque chose, oui c’est ça, cela ne peut être que ça. Elle ,elle lui dit ne pas lui en vouloir, que sa propre sexualité est dans une reculade, chacun croit chacun, chacun gagne à être cru, c’est une vérité lourde et sévère, elle fait le pois de leurs deux solitudes tous deux s’en accommodent, comment en serait il s’il n’en était pas ainsi ?