Au jour le jour 511

Sur les scènes dérisoires de l'existence est-il nécessaire de posséder, de détenir quoi que ce soit, j'ai dressé un inventaire pour la millième fois, je ne vois rien qui me commanderait de rester debout, si ce n'est l'amour et l'amitié ; toutes les stratégies de comprendre comment le sang monte à la tête,ceci n'est que d'un faux entretien, il m'arrive lorsque j’ai trop bu, trop abusé, quand je me suis trop arc-bouté sur les comptoirs en ne monnayant aucune idée de partage de croire que la vie est un compte,une somme due, il n’en est rien. Je vis au rythme de cette démonstration, cette part d'humanité justifie que j'ajoute chaque jour à ma foi d'exister un nouveau mécanisme qui me permettra de regarder l'homme comme  l'objet le plus lumineux qui ne cherche pas dans les provisions de la chair à se mettre en ébullition, à se damner pour une tête d'épingle, un nœud papillon, ou une mignonnette. J'apprends, j'apprends encore,  cela tient de la contrefaçon, mais j'apprends et beaucoup devient consistant.

La lucidité est si épouvantable, qu’elle mène soit à la pâleur, soit à l'humilité, soit à la désolation, voire au suicide.

Dans cette ténèbre où ma soif de cruauté s'accorde à ma soif de désastre, seul Dieu expie, tout le reste s'est résolu à m'exaspérer.

Le dégoût, tous les dégoûts qui conduisent au suicide sont des prodiges.

Sur fond de vulgarité ,ma conscience en a tant appelé à des consolations, que je ne sais plus vers quel saint me tourner pour me corrompre avec lui de nos conditions.

Etre homme est si inconfortable, que je voudrais m'exercer à ces primautés de singe sans avoir à y réfléchir.

Dans cet enfer que chaque mot, chaque geste attestent comme les preuves d'une réserve annoncée, je me réveille entre la sensation de vouloir tout saboter et celle de me souvenir que j'en suis toujours resté là.

L'esprit est cette sonorité du dedans que les sens ne  rendent voluptueuse que si elle se mesure à l'aune de nos apaisements.

Tant de jours où je me serais bien tué, tant d'autres où je ne l'ai pas fait.

Tout ce qui vit fougueusement m'a à un moment écœuré, je cherche par ce pathétique héroïsme qui me met hors de moi, de l'humilité, à me retourner sur et contre mon corps, et voir combien mes regrets sont grands de n'avoir pas vécu fougueusement.

L'ennui serait une maladie du sang que je songerais à ne jamais en perdre une seule goutte.

L'avenir sera dans le souvenir de Dieu, sur le négatif de tous les bréviaires.

Rien ne saurait davantage me pousser au crime que cette vie que je ne comprends pas, et qui est légitimée par tous les signes qui créent des espaces où je dois contrer où me taire.

Il y a dans toutes les dépressions qui m’ont oppressées comme un besoin de prières, de remords ou de mélancolie contre lesquels mes virtualités de sicaire ne peuvent rien.

Dans ces ivrogneries aigues où je me fixe, est-ce la souffrance ou la plénitude qui m’atteint, ou l’idée de m’absenter pour descendre en un Dieu réhabilité dans toutes les apparences ?

Le temps est la révélation d’un assassinat supérieur.

L’amour pourrit mes tendances à la misanthropie, seule réelle conscience de moi.

Lorsqu’on s’est consolé du chaos, toutes les voix intérieures qui poussent au suicide sont les lamentations de ces instants où tout n’avait qu’un terme et non une issue.

Dégoût, phénomène de double vue.

La beauté ne serait l'agrément d'un sens perverti qui cherche une idéale torpeur pour une noble punition.

Les pierres tombales rêvent de la noblesse d'un cadavre assermenté au site.

Dans ces troublantes inerties où mon corps se désagrège pour d'épouvantables parfums, ma passion pour cette évidence est un bonheur qui doit autant à sa vulnérabilité qu'à son venin.

Dans le baiser de Judas, l’austère anticipation d'un suicide élaboré comme une prière.

Il y a des matins comme des ostensoirs qui secrètent autant de peurs que de sanies, qu’on pourrait y voir toute la folie d'un siècle où celle-ci est l'ordinaire de faux semblants et de jugements troubles.

Vivre est le crime le plus subtil et le plus parfait auquel seul Dieu peut échapper.

Tous les objets douloureux qu’on affectionne, comme doués de cette noblesse qui nous échappe, s’ils savaient combien nous caressons leur extérieur pour ne porter notre regard que sur ces parts de nous-mêmes qui leur ressemblent.

Je ne pardonnerai jamais à l’homme de s’être vidé de son malheur, pour des partages qui sont autant de glissements vers le non sens des compensations obligés.

Toutes les purifications vont jusqu’aux soubresauts de cette âme qui ne nous regarde qu’au travers de nos peurs et de nos pâleurs.

Je m’agite, et l’expression est regrettable, je m’agite sans motif, et ceci l’est davantage.

Quels que soient mes accès à la mélancolie, ils gardent en leur vulgarité l’attendrissant cliché d’ne pente qui descend vers un calvaire.

A chaque fois que je me suis lassé de la vie, j’ai appliqué à mes propos l’imbécilité du dormeur, l’idiotie du moribond.

Que je me sois trompé sur l’existence n’explique pas que mes antiques impressions tiennent autant de l’amertume que de la concession.

Vivre en paresseux, mourir en exalté.

De l’aube au crépuscule, dans ce brouillard qui altère toutes mes paroles, est-il un instant où j’ai été profond, et où j’ai obéi à l’étrange cruauté de débattre sur l’infini du n’importe quoi ?

Quand la faiblesse devient un objet de compensation, le corps se situe entre les rictus et les douleurs ascendantes.

Toute forme de connaissance est fatigue, je doute pourtant de mourir épuisé, mais pourquoi tout ce remue ménage qui me rend défaillant, et plus idiot que si je regardais le monde comme une terreur détectée du bas ?

Dans ces attentes où je m’adresse à Dieu autant qu’aux hommes, combien d’indispositions et de fatigues.

Toutes mes douleurs m’ont conduit dans cette extase où fleurit la mort, et plus j’y ai eu d’aise ,plus la vie m’est apparue comme le plus bas degré de la création.

Mes passions, brutales médiocrités, sont aujourd’hui des sensations d’hymne funèbre, où simultanément je touche au mépris et à la singularité d’y prendre goût.

Tout baiser m’inspire des abandons où je tiendrai d’une main cette chair que j’aimerais abattre de l’autre.

Le bonheur nous éloigne de toutes les abjectes cosmogonies de l’être, et qui sont au sommet de tous nos unissons.

Si être s’éteignait, combien dans les univers grandioses tirés des néants, de nouvelles divinités fétides vireraient à la vie.

M’étant si souvent déconsidéré entre le supplice de le savoir et celui de le reconduire, ma vie aura tardé  à toucher aux indiscrétions que la chair étale comme preuve de ce vertige.

La tristesse s’allège dans le sang, la mélancolie s’y appuie.

La musique nous comble de précédents que nous ressentons comme des émois et que nous nommons impudiquement « extase ».

Je crois que chacun est son propre fardeau, et qu’il ne peut se porter plus loin, tant qu’il ne s’est pas tracé un chemin sur le dur de la touche.

Prédisposé à des provocations dont personne n’a cure,tant elles sont multipliées par du rire, du rire et du badinage.

Chacun sent ce cadavre qui affirme sa fin prochaine, et fait l’important en le sachant.

Etre tout, sauf le premier devenu.

J’écris pour préférer et proférer juste.

Un grand sentiment est un sentiment qui n’a pas besoin de l’hyperbole, et se pétrifie seul dans le droit qu’il prend à se citer.

Combien j’ai ravalé de protestations pour quelque considération dont je n’ai même pas abusé.

ON ne meurt jamais assez tôt.

Je tire mon orgueil de cette forme de détachement, au travers duquel je peux discerner ce qu’il y a d’épouvantable dans l’amour ou dans l’amitié.

Les passions affectent notre immodestie en nous donnant l’air de colonisateur.

Le monde ne me laissera que peu de souvenirs sur le monde lui-même.

Pour toucher à la vérité, il faut être en crise, et rien d’autre.

Tout ce que nous faisons et dont nous avons rêvé nous donne suffisamment de raison de ne rien concevoir d’autre que du rêve.

Entrer dans le sommeil en infidèle, en sortir en condamné.

Comme rien n’est plus intense que l’exercice de vivre, je me suis résolu à être et Dieu que ça fait mal.

Quant aux autres qui sont radieux, qui brûlent parmi les paraîtres, les herbes, les pierres savantes, qu'ils restent dans ces sphères de symphonie et d'adieu, je m'en contrefous, je n'en ai cure, si j'avance, j'avance seul, j'ai pour viatique ma foi accordée à celle d'une autre, cela me va, cela me suffit, même à cette foi qui n'a pas été illustrée par de hauts faits, je lui adjoins ma politesse, ma sérénité, quelque chose de séraphique et de sain, il m'arrive même de croire que baisser les bras momifierait  mon corps tout entier, que mon esprit se pourvoirait  en d'obscurs lieux,  des vespasiennes aux toilettes publiques, là où tout est visqueux et cataleptique, je ne me vois pas plus lunaire que je ne le suis habituellement, pas plus abordable ni plus réconfortant, j'ai l'idée d'un cœur qui déborde d'épanchement, de sollicitude et d'aveuglement…

J'attends, j'attends que la nuit qui vient à pas de loup, d'herbes mangeuses d'insectes, irrépressible comme l'eau dans une fiole,me mette à son compte par l'excellence  de mes questions, ce n’est pas le cas, je suis incapable de répondre étant toujours dans un vague ordurier, dans le vif du plus absolu des tabous, sans mot, sans solution, tout accablé  de poussière, du vert et du violet qui donnent sens à mes jours d'abstinence et de drames. Je crains la soixantaine,  la tendresse trompeuse, l'écart y est un obligé que je ressens comme des alignements, des parallèles sans faille, cette main tel un linge blanc qui a suffisamment de force me convainc de ne plus douter, quand le tout est la seule ouvrière qui ne perd pas de sa raison mais qui a suffisamment de force pour déverrouiller la plus ancienne des serrures. Ma tête va en progressant dans le nombre de mes sa suffisances, de mes indifférences, elle est lourde, close, mal entretenue, nulle lumière n'y pénètre, que dire alors des images, des musiques souveraines ,des visages qui m'étaient proches, il n'en advient plus rien. Je voudrais dormir rapidement,  m'éteindre dans le sommeil, me protéger de tous et de tout sous ce drap blême, linceul à venir, presque obligatoire, linceul de toutes les époques glaciaires dans lesquelles je me suis vautré.