Au jour le jour 453

Elle dit la vie en miniature n’a pas de saveur, mettre ses chaussures à talons hauts, se froufrouter, marcher dans la ville, cossue de son poids d’alertes nécessaires, boire un café sans sucre aux terrasses inondées de soleil,  tenir la main d’un autre que moi ,ne se soucier que du peu, être légère, court vêtue ,suçotteries aux oreilles des empanachés, des empaffés du verbe considérable, voilà à quoi elle était dévolue, elle dit aussi que la vie à elle seule peut être un miroir placé dans une poche où l’on se regarde mourir dans l’attente du mourir, mais qu’a-t-elle retenu de nos immenses joies, de nos courses sous les peupliers le long des routes à brouillard,de nos hauts plaisirs ,de nos commisérations,  du palmarès de nos états d’enfance, de ces matins aux conciliabules comme des cervelets d’oiseau mouche, de nos départs pour des noces ardentes, de nos mots, de la lourdeur de nos corps après des encablures dans un lit d’hôtel à mille balle la nuitée,des hosannas qui nous coulaient en bouche, sont encore en moi des notes, des chiffres, des phrases et des clés comme un jour de remise de prix…


Il est rare que l’intelligence prenne le visage d’un homme inconsolable qui va voir une femme pour s’entretenir  des marchandises du ,ciel de conforts de l’enfer, je tiens ces propos d’un de mes oncles, castagneur ,pleureur, adorateur de mauvais genres, qui lui s’appuie sur l’idée transmise par un de mes aïeuls, qui disait qu’un mauvais mariage vaut mieux qu’un célibat de maquignon ,j’ai gardé, me suis gargarisé de la brutalité de ces bons sentiments, avec leurs aspects rustres, leur altérité, mes actions sont aujourd’hui à mes paroles ce qu’est l’échafaudage à un à pic, j’ai beau encore tenter de rester un adolescent qui s’acharne à vouloir se planquer des hommes, j’en reviens toujours à ces putains d’économies de relief et d’importance, comme je ne mens pas, je suis toujours pris en défaut de belle compagnie, celles des mots que ma famille toute entière s’exerce encore à prendre pour des farces, des boulimies,des éteignoirs de sens, je tiens quant à moi à celui que j’ai été, que je suis quelqu’un qui s’est mal orienté faute d’avoir su saisir les bonnes occasions…

Là où se projettent des images pelliculaires plus anciennes encore que nos aïeux, il y a des malades du sens qui forment un cercle parfait et qui séjournent des mois durant dans un hospice pour s'entretenir d'un plan, d'une périphrase, d’une litote, de nombre d'encombrements quoi. Combien en ai-je observé de ces cercles, en tous lieux, cadre meublé, chambre de bonne, vestiaire insalubre, salon doré, sénat,cénacle, crypte, et combien j'ai pensé peut-être irrationnellement que jamais je ne serai un de leurs contreforts, un de leur marbre, que j'irai vers d'autres règles, d'autres mesures. Quand s'élèvent leurs paroles, il me semble entendre un concert d'injures, un concert de voleurs d'appareils dentaires qui à coups de bec, d'un seul coup, sont capables de briser les tables de la loi, là où sont posés les ostensoirs, les  bougies, les candélabres argentés, qui soit disant ont été immobilisés à cet endroit par les mains d'un prince qui a ajouté à son cercle lors de ce voyage elliptique son appartenance aux allégories.



Les rats honteux de leur victoire, papaouisent et  passent leur chemin  sans même nous saluer ou daigner jeter un regard furtif fut- il des plus futiles sur nos postures, postures d'arbres qui prient, postures d'imposteurs, postures de pasteurs, postures de pasticheurs, postures de par derrière. Car le rat n'est pas notre créancier, le rat est un morceau d'espace vide et noir qui file se planquer  les yeux clos dans  les égouts, les cabinets de chargé de mission, les bureaux de conseiller général,les latrines, les profondeurs chtoniennes et qui fonde une grande famille pour en faire des danseurs, de ceux qui iront déjeuner sur l'herbe, de ceux qui suivront les joueurs de pipeau, de ceux qui montreront leur parchemin à d'autres qui ont des bleus un peu partout, bien sûr qu'un jour ils devront franchir des ponts, cartonnés sur leur pardessus de pleutre, mais pour le moment cela est impossible, car ils sont trop en nombre. Voilà ciselée ici une idée du rat, non pas de tous les rats, de certains rats, de ceux qui ont quand même quelques surfaces sur lesquelles glisser, pour échapper à la conception et aux questions des hommes, un peu comme un chanteur niais qui se jette de son estrade dans une foule de corrompus pour des pratiques dont il n'a cure.

Il naquit en instance une présence sur le chemin des vieilles filles, celles qui  pourtant étaient averties, avaient glissé, longé les palissades, les jambes toutes en lourdeur, la tête toute encombrée de rages et des orages la nuit, cette instance, cette présence puisqu'il faut la nommer par son nom est également  mienne, mais improprement. J'ai quant à moi l'idée de passer par-dessus tout, je cherche à atteindre, toucher l'esprit,  celui qui sera le poste le plus attentif,le plus pur, pour ne plus me mettre de la poussière dans les yeux et de l'anthracite brûlante dans les mains. Comme j'observe ces âmes pour ne pas les tromper, je vois le monde avec toute la précision, toute l'approche de l'évaluation et la compréhension de ceux qui ont été dans le labeur, leur vie durant et que l'on privait de croyances. Si faussement voyant, il m'arrive de penser que je suis capable de dissiper ce malaise qui me vient en les observant, à bien me regarder je suis borgne, troué en de multiples endroits, c'est pourquoi je ne veux pas  prendre la forme d'un homme quelconque, celle d'un homme oui, mais qu’on pourrait abattre rien qu'avec un mot, une phrase, une distance, une ineptie en fait.


Des croix se dresseront, les nourrissons n'auront pas de lait, le miel aura le goût de la ciguë, le ciel encapuchonné dans d'immenses élytres aura les yeux d'un insecte immense mangeur d'hommes et de rats, plus une âme n’ouvrira un livre, les portes seront closes, le vol lourd des cigognes sera réduit par des vapeurs brûlantes venues en lignes parallèles, rejoignant alors les peuples sans remède, inconséquents, les bâtards avec leurs chiens jaunes, et les filles  naîtront sans visage. Le soleil sera une construction de cendres et de feux mais n'atteindra jamais les collines et les plaines  seront  à leur plus haut niveau comme de  sales enjambées. Voilà les instants qui nous attendent, nous les veilleurs impurs, souillés et somnolents, arrachant les dimanches et les jours de fête au commerce des sens, suppliciés par le givre, les amantes inaccomplies, c’est cela  qui attend l'homme.



Quel est l'homme qui osera se  lever parmi ses pairs,avec ses bras solides, comment dira-t-il sans cruauté, que dévoré par son ego il n’a trouvé comme remède que de se balancer d'un pont,ou de se foutre un pétard sur la tempe, dites-moi où est l'homme, ce fils infini qui a la lame et la fièvre du père dans le plus petit de ses gènes et qui debout, forcément debout ,affrontera la plus incivile des images, se définira comme un fanfaron, dira qu’il a trop assisté et trop persisté dans la vie, et tout en se rengorgeant  de honte et de sueur portera à ses lèvres la coupe brûlante que des marchands ont préparée ? Ce n'est pas ici qu'il instituera des valeurs, qu'il s'éclatera en quelques sentiments, en vérité, qu’il se montrera en haute attitude, comme un homme multiplié par ses inclinations étranges à lui-même tout autant qu'il l’est aux autres, et qui voudrait que son sang ruisselle un jour sans qu'il ait eu à appuyer sur la gâchette.

Dans ces branles,  boucles où tout est initial ,que d’apprêts, d’apaisements ,de tourments familiers, et qu’aurait-elle d’indéniable cette souffrance trop extérieure à moi, pour que je décide de m’en séparer ou lui passe mes commentaires corrompus ,votre ennui tenait à cette simplicité, peu de moyens, trop d’attente, d’attentats absurdes à votre encontre, j’en étais le dépositaire attitré tout ,cela vous mit dans les dispositions d’une femme qui chercha à se recomposer ailleurs, je le savais, mes corruptions, entre mes sincérités et mes bravoures inconcevables étaient des éclaboussures, des offenses, j’ai ouvert jusqu’à cette haute faiblesse de vous estimer, mon corps entier, mes chemins se sont alors bornés sans que rien de présent n’y soit offert ou donné ,vous, pour vous délivrer de ce regard noir, de ces notes, de ce poids de mots qui vous empêchaient de respirer en gobelets d’air, vous vous mîtes dans la lumière d’un autre, l’amour reste le fanatisme d’un pire que j’expie encore aujourd’hui…



Pourquoi ce gel ,ce froid si sévères, tantôt serrés, tantôt à l’écart, avec leurs attirail de vielles, de violons ennuyeux, brouillés par les signes des singes d’une autre civilisation, l’air qui s’en charge avec son flot d’éclaboussures, je l’ignore ; larges, longues nuits d’hiver étincelantes de ne pas dormir contre vous, avec ses tics ,ses tacs ,l’horlogerie du cœur est si pauvre quand les aiguilles qui jouent contre le temps compriment mes mouvements en saccades d’ennui, de célibat obscènes, dans cet abord borné que nous touchions, vous n’étiez plus la pierre qui nous arrêtait sur ses sortilèges de brumes et de nausées, souvenez-vous de tous ces récits ,des désobéissances de notre enfance, qu’en est-il aujourd’hui, si ce n’est des bavardages de neige sale, voici un nouveau fleuve à traverser sans nocher, qu’avez-vous commis de si tragique, d’imprenable durée qu’on ne peut vous aimer que dans le dernier lieu ,l’amour est une maladie qui s’éloigne sans que je la complimente…

La vie est salissure et  salissante quand elle s’alimente  aux  textures du passé,  oubliez  le vôtre, ne l’oubliez pas vous pas vous serez dans le raffinement de la souffrance confortable et sécurisante parce qu’elle vous met de belles images dans le  regard, mais ces images sont des images mortes, et la mort est le dispositif le plus approprié pour nous mener à mal, je le sais pour l’avoir vécu et traversé, le pire il est  toujours du côté du souvenir, de ce qu’on ne veut pas oublier, cultiver comme de l’ivraie et non de l’ivresse, moi mon  ivresse elle m’a mené  à la respiration de l’être, de tous les êtres,  dans le grincement et le subtil confort des mots qu’on ne prononce qu’à moitié tant la bouche est d’une pâte molle, mais que d’autres retiennent parce qu’elle vient de notre meilleur côté. Je me recharge de vous chaque jour davantage et pourtant je disparais à votre vie, à  vue, tel est le lot des hommes, être dans la dégénérescence de la ligne droite, de celle qui nous émut, j’ai pour  principe d’émerger d’où j’ai  coulé,  j’émergerai de vous et je remettrai ma palette au noir, cette couleur qui rétrécit tout, les présences, les absences, le néant même, et rétrécir  c’est savoir que l’on est né petit et que petit son crèvera, ma petitesse c’était votre grandeur.


Ma première hallucination a été  de me voir vieux, tous ignorent cette diablerie qui vient aux yeux lorsqu’on a dix ans, c’est tel un miroir brisé où apparaît visage déraisonnable de l’âge qui n’a pas su traverser les saisons, j’ai été saisi par cette image et j’y ai fondé autant de miettes de ravages de moi jusqu’en arriver à croire que ma soixantaine serait comme quitter un pays rêvé, et c’est ce qui a devenu aujourd’hui, est tombé la paravent de mon enfance, de mon adolescence, me voilà loin de vous ,j’ai beau continuer  à vous entendre, à vous attendre, je suis à la piquette, au mauvais vin, ma treille est cramée, les spatz ont grappillé le raisin et vous une part de ma raison, ne dites pas cela quelque chose à voir avec la fatalité, est fatal ce qui vient en dernier et je veux encore être dans votre parcours, vous me disiez accorde-moi de me donner de tes nouvelles, ce n’est pas de l’accord que je vous donne, c’est mon âme de vagabond, gitan, ceux qui ont des paroles et les tiennent et ont le salut loin du purgatoire , je veux encore venir à vous par les mots, sortir de ma noirceur idéale pour vous dresser devant moi comme une korê dont la lettre utilisée vaut triple sur le damier où l’ordonnance des mots et des idées est de parité.

Honte à moi qui ai cherché la mort et en suis revenu moins délicat que celui qui a coursé, poursuivi un animal une journée durant, plein de gouttes, de fièvres, de convulsions extrêmes. Ai-je eu tort de vouloir des  accueils, tort de vouloir dormir,me reposer dans les draperies célestes, enveloppé de tout ce que je n'ai pas voulu servir, dans ces hautes tapisseries de bruits et de suies et qui n'ont pas manqué de m'étouffer au point même d'en exagérer ma trace. Tout cela je l'ignore, mais je n'oublie pas ma colère d'alors, colère de vivre, colère d'être assis, colère d'être couché, debout, virevoltant si peu , colère que mes membres ne servent qu’à de vaines constructions, colère d'être dans la colère, colère d'avoir  de l'organe pour les uns et non pour les autres, non je n'oublie pas que j'étais dans trop de sens, dans une autre profusion, trop confus, trop craquelé de toutes parts et qu'il eût fallu que je trouve un centre,  un centre ventral, ce centre qui me mènerait à toutes mes clandestinités…


A qui ne s'est épandu, automate d'un réel qu’il n'a pas souhaité, auquel d'ailleurs il n'a pas renoncé, je dis qu’il faut  s’éveiller à l’ amour, celui qui traverse les vitres de l'évidence ,  sans faille, non entravé, celui qui nous prit et dangereusement. Quand la nuit opère ses ratures sur les forêts, sur les villes, sur les enseignes, sur la vie qui frémit, sur les positions de nos chairs recroquevillées, je pense une fois encore à son langage clair, limpide, manifeste et qui en son sein s’est perdu, qu'il a nommé avec tous les beaux mots du monde, je pense à l'adresse des noms qui lui sont destinés, à cette saveur, cette ferveur de la serrer, de la tenir, de ne plus vouloir que ce qui se lit entre ses mains qui s'élèvent en prières, en psalmodies,je veux qu'elle exprime encore pour moi de l'essoufflement et des  saignements dans la lenteur de ses façons à se presser contre moi, elles sont aussi la figure la plus exercée pour aller à nos envies charnelles .