Au jour le jour 381

Hiver dans cette chambre
Où la misère est sans écho
Aux grands tournis d’hier
Par les viaducs empruntés
Cette lumière trop bue
Rend la mémoire absurde
Pour expliquer nos gestes
Nos graves inflexions
Nos regards misérables
Nous interrogeons nos pères
Leur pauvreté
Leur détresse
C’est nous qui payons
Cette rigueur
Ces égarements
Faut-il
Que la colère qui revient
Comme un enfant malade
Nous parle avec ses rides
Et démesurément...

Moiteur des présences
Dans cette peur commune
Où se rompt le silence
Comme une hostie
Un linge sale
Arrachés aux sombres éclats
Nos corps
Dans la clameur des mêlées
Sont rompus cassants
Tracas et sédiments
Dans une mémoire
Grouillante d’infectes nuées
Nos furieuses prières
Ajoutent à notre temps
Une autre incantation
Que celle qui ramasse
Nos vies parallèles
Vois comme en mémoire
Nous gardons
Les lieux clos et secs
Où la divinité
N’est qu’un serpent suave
De nos façons ardentes
De ne plus aller
L’un vers l’autre.

Est-il vrai que pour descendre
S’enferrer dans ceux que nous aimons
Il faille se déchirer
S’ouvrir les veines
Courir sur l’asphalte
Se prendre au piège de la photo
Accuser son entourage
D’avoir brodé des lettres
Sans destinataire
Accuser des vierges
Qui gomment le temps
Sur leur corsage
Avec une année morte
Dont l’âme ne compte plus
Est-il vrai
Qu’il faille
Défaillir dans l’homme
Se séparer de lui
De sa foi de bourreau
De victime
D’énergumène
Qu’il faille aussi
Composer avec l’encre
La courte traversée du temps
Puis se taire et deviner
Tous les crimes imparfaits
Qu’on commet
Dans le vertige
D’une seule idée.


La terre je m’en occupe
Avec mon goût pour la fatigue
Le poignard
Mes déités muettes
Assoupies dans l’herbe
Que les chiens ont lapé
La terre je m’en occupe
Je m’y incline
J’y incite mes désespoirs
Je dégorge un peuple d’élus
Qui se saoule dans les baptistères
Je m’arme
Pour de nouvelles naissances
Je rattache des noms
Dans la régularité des distances
Avec ma science et mes défaites
Tout ce qui sied au crime
Qui ne s’explique pas
La terre je m’en occupe
Avec ma langue de débarras
Avec ma foi
Mes troupes de fous jetés
Dans les orties
Les sortilèges de jeux
Sans prime et sans décor
Avec la farce d’écouter
Le salpêtre et ses combinaisons
S’étoiler sur les murs
La terre je m’en occupe
J’y rattache ma veine
Comme tous ces chiens perdus
Dans des hôtels
Où la mort passe
Par le berceau des droitures.

La terre je m’en occupe
Avec mes écoles
Savoureuses de cris et de peurs
Les ancolies du verbe
L’amour mâché dans les latrines
Le dégoût bien sur
Nervuré aux commissures
La terre je m’en occupe
Avec ses casernes ses égouts
Ses filles en ostensoir
Les astres morts de nos fatigues
Nos pleurs et leurs déclinaisons
La terre je m’en occupe
Avec ma collection
De régences ordinaires
La brève renommée
Pour arracher du temps
La cour comme une gare
Pour courir dans les saccages
Dans un âge sans objet
La terre je m’en occupe
Avec ses inaltérables cruautés
Comme des amis aux fouets
Pour des saisons de tortionnaire
La terre je m’en occupe
Avec mes mains et mes couleurs
Les orvets au mastic
Qui vont sur les gravats
Vers mes frères adoucis
Bouillir leur sang et leurs mensonges
Dans l’allégresse d’une faim de suicidé.