Au jour le jour 299

Ce n'est pas suffisant que de devoir désespérément croire que le sommeil m'est devenu une brutalité, il faut aussi considérer que dans ce glissement de paupières, quand je suis sur le point de sombrer, il y a auprès de moi une femme avec ses ressacs, ses étranglements, fière, syllabique, géante, parce qu'elle ne tombe pas dans mon silence, et qui quoique je fasse, me couvre de sa tunique blanche, de sorte que je sois le mort qu'elle attend, qu'elle entend éloigner de ses significations, procédés tous ces actes qu'elle ne m'a pas autorisés, c'est assez que de la voir s'allonger aux pieds de mon linceul, et de la regarder sourire comme si elle venait de veiller un soldat abattu.


Puis ce furent des jérémiades, des vomissements, des anathèmes, le leurre exact de celles qui vont dans la noble allégresse dont la langue est purulente ,tout  ceci à un haut débit, ceux et celles  qui passaient alentour collaient du sabbat à  leurs talons, suaient comme des bêtes avachies sous le soleil en compagnie d'enfants infatigables qui couraient en tous sens avec des tendances à la poursuite ,le jour se clôt alors par quelques inclinations de chacun qui est regardé comme un homme ou une femme sans adresse, veule ,plein de vagissements et de maladresses, d'amertumes aussi, je vous laisse à penser ce qu'il advint quand le soleil s'ossifia, que des nuages lourds arrivèrent comme des outils qu'on soumettra à la terre une journée entière.


C'est dressé contre le monde et contre le sommeil que j'écris brutalement ,ceint d'une tunique que j'aurais pu déplier aux pieds d'une suppléante, mais où est-elle celle qui aurait pressé ma vie contre un champ de pierres, où est-elle celle qui à l'aide d'une seule syllabe aurait décillé mon cœur et mon corps, comme on tord une écharpe ,maintenant que plus rien n'est dans mes entrevues, je vais chercher dans les contreforts du temps à damner mon enfance, à élever un vent froid, quelque chose comme du sentiment tombé en désuétude, si je me relève, me révèle un homme moins ruiné et moins ruineux, je saurais  trouver l'issue, la belle issue si proche que soient ma soif et ma faim d'elle seraient désuets, je sais que ce ne sont que d'amères sensations, restera cette offense sur laquelle je fermerai désespérément les yeux.
 

L'insomnie ponctue mes saisons avec ses fleurs et ses effluves, secoue mon corps dont j'ai bandé les muscles jusqu'à geindre et gémir, comme un plumitif dont les seuls mots sont des batailles, des défaites ,des secousses, des spasmes, des dérives aussi, je rajoute qu'au milieu de la nuit, quand je m'arrache du sommeil  comme on extrait du sel gemme des mines, j'ai les yeux révulsés, énormes, lourds , et mes entrailles sont d'une plainte monotone, sourde, ces instants, je veux les ranger en accord avec ce qui me dévaste dans la plus exaspérante des réponses, celle d'une fille qui avance, tournoie au milieu des grenades, des plaies et des mots ,puis remonte le cours des choses pour en faire des grappes qu'elle échevellera dans ses tourbillons proches.


Les mots utiles voici comment je les vois, ce sont des couleuvres mastiquées, des coutelas ramollis d'entre les guillotines ,une lessive sentimentale avec son lot de fientes et d'excréments, des bêtes méthodiques, des becs et des langues qui s'étendent ,buvards de naphtaline emmêlée, des lèvres calomnieuses, des décapitations ,les mots sont des divisions et diversions, des yeux grenat, des prunelles qui peuvent sortir de leur orbite, ce sont des impostures, des farces postulantes d'une mauvaise compagnie, la purulence du vide ,du dérèglement, bref les mots ne sont que des fragments de la main gauche ou de la main droite ,qu'on pose par froissement sur la pierre, sur l'ardoise sur le papier, pour s'interposer entre le crime et l'esprit.

Le sang qui est notre ponctuation est alvéolaire, et dans cette chambre où je forme avec mon corps une arête contre le temps même, les yeux bandés dans cette dérive au milieu des mots, je vois une femme qui coule comme un fleuve entre mes bras, et dans mes draps sans qu'elle se rebelle, cette femme me montre le jour qui point à la fenêtre, et construit pour moi seul un parapet que je ne peux franchir que si je l'embrasse ardemment ,que je boive à sa bouche les beaux souvenirs, ces gouttes d'eau et d'ocre, de rouille et de raclure, et si je ne m'exécute pas, le parapet se dérobe dans l'ombre qui emplit la pièce comme une onde souterraine.


Le plus vieux des maîtres en vacances ,ah comme il est heureux, comme il ondoie ,comme il poudroie ,comme il chatoie, les  ânes ,ces anciens élèves n'ont plus de sentiment pour lui ,et la pluie de leçons n'est plus un tremblement, n'est plus de ces chardons ardents que goûteront les bêtes, le voilà enfin qui se gave à des décharges ,à sa mélancolie douce comme les classes qui sentent les reinettes, la rentrée d'automne, et s'il pense encore à tous tes têtes brunes, blondes, rousses, noires, c'est avec la douceur du doute, du devenir ,du sien, du leur ,et pour la première fois, il est immense de cette nostalgie du cheval roux, de la Terre bleue, et s'il a la larme à l’œil, il en prend encore et encore pour la poser dans le vase.