Au jour le jour 275 (1977)


Gracieux désordre que de s’y jeter est un jeu qui ne demande aucune réflexion pas plus que d’imagination. L’adresse de s’endormir est aussi simple que l’adresse de la mauvaise écriture, il suffit simplement de composer avec ce que nous sommes, il faut pour cela que le sentiment de soi aille avec le sentiment du personnage qui a pris très tôt la résolution de nous enquiquiner avec ce qu’il est ,c'est-à-dire un gnome sans vertu et sans esprit.


Méfiez vous de l’amour autant que de la haine, que nul objet savant ne vous éblouisse comme le ferait le ludion planqué en vous et vous rabat le caquet quand vous êtes dans le bon sens, comme un aveugle protégé par l’éternité qui le couvre. Méfiez vous aussi de votre côté marié et marin , de ce que votre main cache à l’océan, et qui a le nom singulier d’enchantement ou de désillusion.


C’est au profit de nous-mêmes que nous nous abstenons. La veille des veilles est toujours le jour où l’on nous identifie et nous prie de n’avoir aucune connivence avec le passé, c’est ici que j’oppose le verbe se rebeller au verbe se révolter, le premier me fait penser aux épis, le second à l’éteule, et ça ne me fait pas grand bien d’y réfléchir dans mes obscurités.


Qui que je sois, je ne me vois pas pareil tous les jours, jamais le même ,toujours le même ou un autre second et secondaire, l’un maniant le lasso, l’autre le revolver, avec les aisselles tâchées et le doigt pointé bien haut. Qui que je sois ,personne ne m’ôtera le goût de disparaître, de manier le pinceau, de broyer du noir, d’essuyer le lavis de mes paumes encrieuses, de m’ennuyer comme j’aimais le faire à dix ans. Qui que je sois, m’étant rendu odieux ou priant en de basses chapelles, mouillant mon front aux fontaines abaissées, sortant des labyrinthes, jamais l’enthousiasme ne me portera. Qui que je sois, écrivaillon, rimailleur lymphatique, ancré aux vastes mots autant qu’à la grammaire, assis, debout, couché, idiot, je ne chercherai qu’à poudrer mes cahiers des vocables incertains avec la certitude que qui que je sois, je suis, et ne peux m’en débarrasser.

Toutes mes mythologies
C’était çà
Balancer tes chapelets
Les dépeler
Pisser dans tes ostensoirs
Ouies de violons désaccordés
Geôles dérisoires
L’ocre des jours au pain azyme
Le cadavre de mon sexe
Mollesse dans tes reins
L’envie ne me manquait pas
D’être ivre salace
Je me taisais
Sanglots dans tes mouchoirs
Ceux qui te serraient
Les hanches et la croupe
Les yeux clos
Revenant de loin
De si loin de toi
Je cherchais une autre enfance
Epineuse de jeux et d’entrain
Que tu rendais banale
Pas à tes rémissions
Que tu sablais de suie
Avec tes mots
Pleins de tes souverainetés...


Putain d’amour
Avec tes entretiens
Tes ongles à les sabrer
L’abstraction sans faux cils
De nos sentiments gourds
Confiance subie et subite
Si je touche à tes pierreries
C’est de ta paume de tes mots de renégate
Que tu m’abats
Comme un chien lapeur de peurs et d’orages
Là aussi se réveille
Une femme
Crayonneuse d’espaces
Rogneuse de végétation
Au nom de mémoire oublieuse...
Putain d’amour
A nous ensanglanter
Egouttoir d’acier rompu
Qui secoue les sens
Les rouets du temps
Horizontalement
Avec des avancées cliniques
Des reculades de cyclope
En débandades de vue
Que tout ceci finisse
Dans le peu d’éternité
Que la lampe à brûler le jour
Le brûle le déchausse
Et que je m’en aille
Sur les places publiques
Dire ton nom
Dans le désordre
D’un nouvel alphabet.


Si douce et si sévère
Etoile vorace du souvenir
Jeu pommé sans surface
Avec des mains roidies
Aux sulfates aux fadaises
Des peaux miraculeuses
Froide perversité
De tes bras à tes genoux
Au giron adressé
Une pierre tombale
Et tous nos entretiens
Avec ta panoplie
De justicière gainée
Comme une fleurettiste
Toutes tes oppositions
Et toutes tes parallèles
Sont de magistrales mesures
Pour un noir apparat
Promesse d’une gangrène
Voici que je te vois
Jouet fleuri de désespoir
Dans tes humidités
De taies et de draps
Où s’éclaboussent
La vieille nostalgie
La sombre confession
Que je salis une nouvelle fois.


Comme je vous regardais assis dans la pénombre
Que mes yeux s’égouttaient sur le filet des heures
Il me vint à l’esprit un soir parmi les ombres
Que tout s’élargissait serré contre mon cœur
Alors je m’adressais à ce vaste avenir
Mon ennui ma langueur dans l’insondable espace
Se détachaient ma joie venait par vos sourires
Je priais vaguement les deux mains sur la face
Je ne reverrai plus cette chambre où courbé
Sur vos rives vos berges ô mes douces dorures
J’égrenais un amour sur le corps que j’aimais
Et les temps m’est douleur et le temps m’est parjure
Que ne revenez-vous me tenter quelquefois
Quand mettrez-vous vos mains dans mes cheveux défaits
J’oublierai qui vous êtes et j’aurai encore foi
En la femme inconnue à ma vie emmêlée.

Et je rêve attentif au désordre naissant
D’une femme assaillie que mon désir altère
D’un automne redoutable douloureux encombrant
Où elle sera encore tout le sel de ma terre
Je rêverai toujours la tête dans les nuées
A ces aubes venues après la noire obole
A ces nuits contagieuses à ce temps inchangé
Où j’ourlais ses cheveux encombrés de paroles
Je rêverai encore de ses immenses joies
Termes d’une vie tenue à l’écart des croisées
Quand sa blancheur altière dévoilait quelquefois
Tout l’ensemble d’un corps par moi seul contemplé
Je rêverai sans fin d’une femme imprenable
Ecrirai sur les murs son nom et ses atours
Que personne ne l’use que quiconque d’ineffable
L’emporte dans sa vie pour n’en rien faire d’amour.

Temps de l’obscur
Avec les infinis discours
De ceux qui crient
De ceux qui restent
Des tribuns et des amateurs
Des noués sous le ciel
Toi laisseras tu
Belle endormie
Sur les miroirs où tu te vois vivre
Blanchir la trace
De nos derniers festins
Et cette pierre que tu défais de tes ongles
Te servira t-elle
A dépolir mon nom
Pour cette haute récompense
Que tu voudrais
Porter parmi les hommes…

O haleur mal étreint
Avec tes mains broyées
Celle qui te hèle
Sur l’autre pont
Avec ses chaînes
Ses paumes ruisselantes
Quand elle crie ton nom
Parmi les voyageurs
Peut-elle sans s’acharner
T’emmener sur le versant
Calmer le feu qui l’enserre
Où se déversent
Dans la moiteur automnale
Tant de filles légères
Avec leurs prières
Et leurs ostensoirs
Ces anciennes compagnes
Que la décrue repousse
Dans le flux et le reflux
D’un sang qui lentement
Retourne à la terre.


Quand à l’heure de peindre le peintre aux tisons d’or
Dépose sur sa palette les rubis de l’aurore
Sait-il que dans les branches les camouflets d’oiseaux
Sont autant de ramages dans un champ de roseaux
Sait-il que les couleurs témoignent d’un reposoir
De la craie du tableau et puis du désespoir
De ne pouvoir saisir dans les bois qui s’animent
Le bruissement des feuilles unies et unanimes
Sait-il qu’en son pinceau s’épanche une jeunesse
Pleine de souvenirs en amas de tristesse
Et qu’en à plats de cyans de violets élargis
Il témoigne d’un monde d’anthracite et de nuit
Sait-il que pour jouer des teintes incomprises
Il lui faudra mêler cette peur cette emprise
D’avoir su retenir en poches de raccourcis
Et l’oiseau et la fleur de frissons endormis.


Comme tout se referme
Sur mes pas sur ma lenteur
Plus sot et plus sauvage
Que cette ancienne
Qui me noue les tripes
Je fais et défais
Des révélations des crimes
Que seul je comprends
Entre la glu et le sommeil
Je pourris
Je poursuis d’autres sentences
Des virées qui ressemblent
A des attentats
Si nul ne se voit en malade
Moi j’entretiens des inconforts
Entre l’impolitesse et le drame
Entre le jeûne et la droiture
Et ivre de ces brutalités
Ivre de mes méconnaissances
Me voici à nouveau
Sur un point de départ
Pour une nouvelle démesure
Pour une nouvelle douleur…