Au jour le jour - 265 (1977)

Toutes les années j’échoue dans mes tentatives de me souvenir des années qui passent. Ce mal s’appelle le mal de la durée. Nulle autre forme de mémoire ne pourrait me rendre radieux que celle d’oublieuse, c’est pourquoi si singulière qu’elle soit je l’abreuve de conventions pour rester dans le vertige d’être tout simplement.


A son sujet je veux encore dire du mal et que toute lame se brise sur du silex. A dire plus juste encore à propos de ma nature nonchalante, elle sait qu’elle ne peut plus me considérer comme un auguste avec son attirail de confessions, et toutes mes petites souffrances comme autant de gnons mal reçus et de castagnes mal distribuées.


Le menteur jugulaire, menteur pour de la prestation, tance celui qui du lasso se sert et salit l’idée qu’on se fait de lui. C’est cher payer que de vouloir s’en prendre à un mythomane qui ne va aux confessions que pour nous contrevenir davantage, à celui là aussi je dis la grande préoccupation de la langue quand elle veut ne parler d’elle qu'avec largesse.


Je me souviens de ce bel équilibre que j’entretenais dans mes cahiers comme un sourcier cherche de l’eau, du sentiment et des façons d’être utile, cet équilibre là ne supportait pas mes mauvais choix, l’entretien de l’expérience quand elle passait par la gnaule, c’est pourquoi à trop presser sur le ciboulot il ne sortait que de la treille qui me menait à une soldatesque ivre.


La poitrine en ascension des filles nubiles est un bienfait,tous les voisins le savent et observent l’univers à travers elles,quoique tous les produits des orages paraissent moins épidermiques que se rouler sur un tapis de feutre,un tourbillon de naphtaline,il flotte alentours et pourtant hors d’atteinte de ces demoiselles,toutes les idées rivales des maraudeurs de métier,qui veulent que l’on se batte pour les saisir par l’encolure,se démolisse pour un subterfuge,ou une décharge sans diaprures. Quant à moi, raide comme un tréteau, je flambe ailleurs, en des lieux bas et humides où des rats ont des appétits de moine, là aussi où des femmes distantes et alanguies susurrent que rien ne leur échoit de ce que nous voulons devenir, ni du mal, ni du vocabulaire, et s’il me reste des couleurs ou de la pommade, c’est pour les plaquer contre leurs seins qui sont des tourbillons d’étoiles…


Cette promeneuse est ma maîtresse, dans son vaste séjour sous les cieux, ainsi que l’a voulu le baigneur tardif, elle va aux premiers soubresauts de l’aube mettre ses pas dans les fougères crénelées comme des encoignures. J’épie sa marche et ses cadences, les contreforts des pentes où elle ira se désaltérer dans les eaux basses, où elle s’inclinera à des manières de bête lasse et blessée, encline à la pauvreté et aux épanchements. Nul ne sait combien ma place est dans ses rotations, son gel, et les canaux qu’elle franchit allègrement dans la blancheur des aubes ordonnées comme des abbesses qui ont prié adroitement. Qu’il me reste encore quelques années à m’éveiller dans de pâles aurores avec cette femme me chaut, je lui nommerai d’invisibles tuteurs, que sans moi elle ne saura ni pourra armorier, c’est ainsi que je me fais mon avenir et les souvenirs qui vont avec ce dessein…

La petite qui s’agrémente aux cliquetis des pairs, dans cette pension est orpheline, elle a des étoffes et des fourrures dans lesquelles elle s’est close. La rouille qui est une ancienne manière d’or, a mis sur sa peau l’odeur d’un roi nègre mort de n’avoir pas su la partager. Il existe dans sa maison, où elle dresse des ormeaux, des endroits qui ont pris la forme du vent et des arbres, tout cela lui est inutile, mais cette orpheline qui s’exerce au bien être voudrait faire dans le bûcheronnage, ce n’est pas une mince affaire, et bien que son désir soit fort, peu le lui recommande. On voit à l’application qu’elle met dans ses gestes, qu’elle n’eut pas de domestiques, j’ai souvenir aussi que je ne lui parlais pas. Quand je la regardais fixement avec cette autorité qu’ont des fauves aux dents longues, il lui venait de la roseur aux joues et de la tiédeur dans les yeux, mais trop lourd de moi et de mes ivrogneries, je ne pris aucun plaisir à la revoir, comme si je m’étais courbé à une fenêtre et ne rien voir du dehors.


Comme en ces temps anciens quand l’envie de remonter l’été et les pentes me venait, j’ai aujourd’hui, hors de mes langueurs printanières des chatouillis qui me prennent à tous les endroits du corps par là où le souvenir est le plus gai, mon cœur s’est insinué dans des courbes qui ne viennent de personne, et dans mes draps, mes sales étoffes, je tords la nuit dans une torpeur idéale qui fait penser à des talons aiguilles qui percent le parquet et jusqu’au crâne. Là j’ai des apartés avec des onagres de feutre,des plèvres d’injustice se soulèvent dans ma poitrine,mon cœur est traversé de grands coups de surin,je bois alors avidement un vieux vin de Moselle,brise le verre,et des filles lointaines me reviennent à de hautes températures,comme des appels flamboyants sur des pellicules oubliées dans de vieilles mallettes en cuir et qui puent le salpêtre,ici encore je ne vois et ne broie que du noir,je vais me marier d’une façon malpropre et m’endormir…


La petite est bien malade, elle ne va plus sur les routes que les voyageurs éclairent avec leur lampe tempête. Aujourd’hui il pleut, elle s’est bornée à des eaux descendantes, les carrefours sont des dais et les pieds de son lit des arbres qui ne jasent plus.Elle qui était gaie, ne soulève plus sa poitrine que pour de hautes respirations, lorsqu’elle franchit un col ou va en altitude. Les cierges qu’elle alluma sont de grands lys tordus par le vent, plus lourds et plus gris qu’un ciel d’hiver, quand les nuages se sont amoncelés au dessus des toits et qu’il va neiger une poudre sale et grisâtre. Elle ressemble à présent à une maigre louve dérangée dans son sommeil et qui montre les dents, presque squelettique dans sa pâle tristesse, elle attend que d’elle s’égoutte une musique qui l’entourera de bêtes sonores et somptueuses, mais comme rien ne vient, elle porte son attention sur la nuit qui vient et qui la retiendra.


Quand la bienveillance avec ses ailes repliées a la nature d’une bête assujettie au somme, toutes les académies avec leur centre et leur podium, leurs êtres debout,leurs sales tableaux noircis aux gommages de nos histoires d’enfant sont hors du champ d’en parler ,mes mains vont au labeur. Je tiens cette habitude de mon grand père qui m’adressait une lettre chaque jour d’un pays où l’on ne se vautre pas dans la psychanalyse, et où l’on croyait que tout était possible simplement si on le dessinait ou devinait, chose imprévisible ou non, tout devenait visages et paysages sitôt qu’on y réfléchissait. Mon aïeul buvait de la slivovitz, ce n’est pas elle qui l’emporta, mais un cheval fou qui se cabra tant et tant qu’il fit rouler le vieil homme sur un talus de gravières, la mort lui vint peu après. Des croyances qu’il me laissa, je retiens que plus on s’en remet à soi même, moins d’autres se vouent à nous dévoiler, cherchent à nous corrompre , ou à nous ordonner, c’est ainsi que je me déplace d’an en an, que je suis le cours des choses, des êtres et du temps, et si j’ai parfois la conduite d’un maître soul, c’est à lui que je la dois.