Au jour le jour - 260 (1977)

De l'archipel des mots te voilà expulsée,passante aux partis pris d'exercer son silence, ses menaces comme des prières plombées dans le haut soir,pour des dérives où je manque de sombrer comme une pierre dans un lieu sacrificiel, les paroles,les apparats sonores,sont autant d'insipides incorrections,quand il ne faudrait que de l'être,de l'existence,respirer,mais remarquablement.Parce que nous sommes seuls,que nos syllabes sont des injonctions,nous voici dans l'inextricable maillage de la vie,saus bouée,sans filet,avec nos faux plis,nos croches,nos déveines,nos prisons sans romance qui sont comme les ratages de nos saletés de biologie que seuls nous comprenons,celles d'un corps qui ne veut plus avancer.Bien avant que je ne dorme,je veux aller où ma faiblesse me place,dans les déchetteries où sont aussi mes impulsions et mes rancoeurs,ces troublantes impressions qui résident par là où on a le plus de douloureux souvenirs,l'heure est aux nuits sans séduction,n'est plus aux paroles objectives,données,je requiers le droit que l'on ne me nommât plus.

Ce qu'aujourd'hui je cite dans l'initial fait de vivre, c'est qu'aucune lueur ne perce les tentures et vienne à ma sombre face, mes sommeils sont des activités de plomb,une nouvelle et blanche dictature.Je constate que mes opinions, mémoire d'eau et de pierre,ne vont à aucun décor,qu'elles ne pénètrent plus les formes de cette aimée qui confondit la note avec les profondeurs d'où elle émergeait.J'augure d'un mal dont le pouvoir est dans la distinction implacable de me taire,dans mes accés et excès de solitude,borné,dans mes égarements,j'atteins à la tragédie sans aucune révolte,sans tuteur,je doute davantage qu'avec des potions,des herbes et des liquides mes pas aillent aux voyages,j'ai une plume en main,et un stylet contre la poitrine.


Viendra la femme proprement dite, avec ces mains violettes comme des brocards après la curée, avec des seins de sous poids qu’on pèse à perdre haleine, viendra la femme, écarlate comme midi pour éponger mon sang et mon front de racaille, là où l’on voit mon âge, et où le crime écrit son nom et son prénom en lettres capitales.

Je rêve d’avoir vingt ans et de m’effondrer en des bras de femme saccagée de distances, de mots mal protégés, puis de pleurer ,mon cœur contre son cœur pour deviner son sang.

Dans cet hôtel lourd de juillet, chaque chose défroissée dit le pli des saisons, le lit fronce des paroles, les mots acerbes, les murs gris de nos limpidités ;c’est là que nous dormirons, dans nos délices, dans nos démences, dans nos déveines, tu sais tous ces longs serpents froids comme des serpillières, qu’on se jette au visage pour avoir tant douté.

Je la prie, la réclame, folie douce du tourment dans les filets de nos nuits bleues, elle est du bon côté de la vie, ses dents sont faites pour mordre, elle relève mes affronts, rend les choses plus douces ou plus terribles, dans nos nouvelles pyramides elle est le sphinx moi le chacal, elle peut toujours se taire et abaisser son front, je sais déjà les solutions.

Elle décline toutes mes envies, celles de la voir nue, joint les mains, déraisonne, elle va crier, elle va prier, me maudire, prendre le parti de du louvoiement, merdre et remerde, je m’applique pourtant à rester sage, à surveiller tous mes poisons, ces mots anciens qui se souviennent de ses histoires sur le palier.

Bref ,te voilà nue, pas sotte pour un rond, catapultée en une permission qui ressemble à un voyage et non une excursion, avec tes seins chauds comme des pains de laine, comme une reconnaissance, comme une dérobade, il faudra bien que l’on se remarque, que l’on se démarque, et que la nuit nous apporte des réponses de derrière les vitrines.

Maintenant que je dors seul, charbonnier usé aux jeux du solitaire, je pense à toi qui penses à moi, à tes cuisses revenant comme d’un pèlerinage, à tes fesses rebondies comme des alléluias, à tes seins boudeurs et bondissants, et comme il serait bon de s’absenter, de chercher un ailleurs où d’autres porteraient nos valises, où d’autres étrenneraient nos souffrances, et où nous aurions le pouvoir de plaire ou de déplaire.

Maintenant que le bonheur t’a prise, tu te déshabilles dans d’autres lits sur des musiques légères comme des étranglements, tu fais l’amour à ma manière et ne cèdes au noir que pour te consoler de moi et de mes mains qui caressaient ta peau de femme proprement dite.

Une nuit de soupe aux choux, de rues borgnes, de chien de loup ou le tout à la fois, petit oiseau de chair, emplumé de soleil, congédie nos distances, nomme le ciel tableau, range toi de mon côté et des fins scélérates, fais ton nid dans mon lit, équation déplacée, et puis foutons le camp, tirons nous de ces plombs dans l’aile, pour d’autres provisoires.

J’ai tant bougé, de Rijeka à Amsterdam, fait mon service dans les plongées, pissé dans les lavabos, tiré au flanc, mis les bras en croix, caressé des poitrines plombé de lassitude, posé mon front sur des torchons de chair, connu bien des ardeurs, souhaité autant de morts, tout ça pour revenir, plus aplati qu’un chien qui a broyé sa laisse.

Tu pourrais m’être nostalgie si tu n’étais présence, pesante comme une vie, pudique comme une astuce, tenace comme la persévérance ;me voici inassouvi, guettant un soleil de créneaux, une mer étale, une herbe compliquée, c’est fou comme cette nudité m’écrase et m’éreinte, il me faut à nouveau marcher vers une enfance qui est un purgatoire et beaucoup de ma défiance.

Quant à la seconde vie, elle fut plus vice que vertu, et lorsque tu pris la parole, on eût dit que mon silence se coupait en deux, entre la reddition et la récréation.