Au jour le jour 226

La nuit qui me semble être un puits sans fond n’effraye pas le muletier. Le temps qui lui est compté somnole en se traînant dans les forges où Vulcain étincelle avec son attirail d’artillerie lourde, là où des chevaux fantasques s’immobilisent dans des cours intérieures. Si mon corps ne m’apparaissait pas aussi grotesque j’irais travailler à ses côtés pour construire des murs d’airain que les cavaliers ne pourraient franchir qu’en sachant épeler le mot « Hermaphrodite »sans se tromper.

L’image qui aggrave le scrupule s’appelle un cliché. Le cliché n’a pas de sentiment et ronge jusqu’à la moelle les mots qu’on retrouve en soi lorsqu’on s’est cousu les paupières. C’est en cela aussi que le cliché est un charognard borgne qui schlingue selon que l’on se veuille embaumeur ou poinçonneur de lilas.

Dieu n’agit que pour ceux qui travaillent à l’ascension, c’est un vaudevilliste qui habite à la campagne ,n’attend aucune visite, s’est mis de l’ouate dans les oreilles pour ne pas entendre le bruit du monde et des panoramas de la discorde, ne veut pas qu’on l’appelle au téléphone ou le hèle dans un porte-voix. Aussi à chaque fois que je murmure son nom, une angoisse me vient, comme si j’avais la charge de le tendre ou de le détendre, et ça il l’ignore …

L’enfer comme une proximité des meilleures cachettes est tantôt à droite ,tantôt à gauche, selon les endroits où l’on se couvre de lin ou de laine. Cette singularité s’applique aussi au paradis, dont on dit que c’est un jardin où l’on rencontre de sales types en jeep, et de jolies femmes sur des tricycles, et où s’endorment parfois Paul Verlaine et Arthur Rimbaud quand ils se sont enivrés de vocabulaire et foutus de gnons sur la tronche après des absinthes mal ingérées.

Ce qui est immense en nous est ce que personne ne peut déplanquer, et où nul monstre n’intervient si ce n’est Dieu quand il est dans sa propension à se poser partout sans ordonnance aucune. Si touffue que soit la distance qui nous sépare, je le garde en moi comme un viatique, et ma mobilité est de celle d’un ostensoir qui vacille et enfume une assemblée de reîtres prédisposés aux latrines de l’âme. Voilà ce que je retiens de ce cheminement qui va de la maison à la confesse, et si je ne divaguais tant sur les zeugmes, les anacoluthes, les prétéritions, j’irais dormir dans un bocal avec les yeux ouverts comme une bête dans une serre, et qui crache de ors et des escarbilles que nul ne peut s’approprier.

Ce que je n’ai pas encore dit, je le tairai, je me dois d’attendre que le sel et le gel se déchargent de ma langue pour parler adroitement de toutes les douleurs et couleurs qui mènent à la réflexion. C’est en cela que je considère que toute opinion sent mauvais et vaut tout projet qui l’accompagne avec la malséance de ceux qui se replient sans avoir cracher dans un bénitier.

Puanteur oblige, l’excès de fiel s’accompagne d’un  excès de paroles, avec des odeurs et des relents de fientes pris aux oiseaux du ciel que des dieux ventripotents ont lâché pour annoncer aux hommes qu’ils vivent couchés, à eux se sont jointes aussi des canéphores pour des ivresses ,des poses et des proses redoutables avec leurs ressorts de cuivre et d’airain.

Au désir de la ride opposer l’aride désir des désertions, au désir de l’araire ,opposer les vers acides de José Maria de Hérédia, à ce dernier opposer les roides connaissances d’un pope ancien perclus de solitude comme un cabot avec sa queue raide par-dessus les rampes de la discorde.

La nuit singulière qu’on peut écrire avec le même ton et les mêmes lettres que Tunis s’insinue comme une porteuse de pain là où nous pouvons la recevoir et la percevoir, là où l’espace a les yeux d’une autre femme que nous fixâmes, puis rajoutons y la suite en ré mineur de tous nos tralalas, quand nous voulions la cuisiner pour qu’elle ne se porte pas ailleurs avec les victuailles qui nous étaient dues.

Lassitude oblige, les armes que nous portons sont révolues et pèsent autant que l’ombre bleuie par les regards des cariatides sur lesquels se penchent encore des dieux en mal de séduction. Pour comprendre alors ce qui nous rebute ou nous touche ,il faut être enclin à pouvoir se tordre comme le fer que Vulcain travaille pour en faire des tridents ou des petites cuillères.

Qui trop embrasse trop embarrasse et le mal le traîne jusqu’à un dieu salvateur de naissance, sans qu’il ait à suivre la route qu’il s’est tracée. Comme le désespoir est aussi sale est dégueulasse que l’espoir, qu’un principe ou qu’un remerciement, on se met à penser qu’on ferait mieux d’en finir avec une bouteille de gaz et un briquet dans ses moustaches.

Celui qui s’applique à ne voir dans la pomme qu’un fruit aura à faire au peintre et à ses couteaux, cette stratégie du ridicule s’appelle « La part de Dieu »car ce qui est, n’est pas, comme les bénitiers donne de l’urée, les saints vont en salle des ventes, les vantards inventent un nouveau monde, voilà qui justifie l’assertion première, puis la merde des anges pour décrocher de toutes ces idées…

On ne fait pas de couillonneries en se levant tard, l’important est qu’un homme sache sécher sur son nom et ses déclinaisons et n’en rougisse pas, et que sa femme même malade le lui fasse remarquer dans sa débâcle de sentiments..

Elle dit assurément qu’il ne doit y avoir que du blanc, que le blanc invite et incite au désespoir qui lui aussi est blanc, que les vergers moussus et cousus de blanc attirent les embrassades, que des dieux et des anges s’y penchent en ouvrant leur braguette, elle dit aussi qu’elle ira habiter à la campagne pour faire sécher son blanc linge sous la blancheur des grands cieux quand ils sont noyés de blanc..

Gracieux désordre que de s’y jeter est un jeu qui ne demande aucune réflexion pas plus que d’imagination. L’adresse de s’endormir est aussi simple que l’adresse de la mauvaise écriture, il suffit pour cela de composer avec ce que nous sommes, il faut pour cela que le sentiment de soi aille avec le sentiment du personnage qui a pris très tôt la résolution de nous enquiquiner avec ce qu’il est ,c'est-à-dire un gnome sans vertu et sans esprit.

Méfiez vous de l’amour autant que de la haine, que nul objet savant ne vous éblouisse comme le ferait le ludion planqué en vous et vous rabat le caquet quand vous êtes dans le bon sens, comme un aveugle protégé par l’éternité qui le couvre. Méfiez vous aussi de votre côté marié et marin , de ce que votre main cache à l’océan, et qui a le nom singulier d’enchantement ou de désillusion.

C’est au profit de nous-mêmes que nous nous abstenons. La veille des veilles est toujours le jour où l’on nous identifie et nous prie de n’avoir aucune connivence avec le passé, c’est ici que j’oppose le verbe se rebeller au verbe se révolter, le premier me fait penser aux épis, le second à l’éteule, et ça ne me fait pas grand bien d’y réfléchir dans mes obscurités.

Qui que je sois, je ne me vois pas pareil tous les jours, jamais le même ,toujours le même ou un autre second et secondaire, l’un maniant le lasso, l’autre le revolver, avec les aisselles tâchées et le doigt pointé bien haut. Qui que je sois ,personne ne m’ôtera le goût de disparaître, de manier le pinceau, de broyer du noir, d’essuyer le lavis de mes paumes encrieuses, de m’ennuyer comme j’aimais le faire à dix ans. Qui que je sois, m’étant rendu odieux ou priant en de basses chapelles, mouillant mon front aux fontaines abaissées, sortant des labyrinthes, jamais l’enthousiasme ne me portera. Qui que je sois, écrivaillon, rimailleur lymphatique, ancré aux vastes mots autant qu’à la grammaire, assis, debout, couché, idiot, je ne chercherai qu’à poudrer mes cahiers des vocables incertains avec la certitude que qui que je sois, je suis, et ne peux m’en débarrasser.