Au jour le jour 103

Celui  qui porte des mots il est parfois dans la terreur de les dire, alors il va au jardin où les tanches d'un petit bac ovale jouent de l'air pour respirer, celui qui porte les mots, il les leur dit, il veut croire qu'elles écoutent de son aliénation, il s'attendrit, il parle à l'éphémère, à l'indicible, à l'invisible vie qui dort dans les racines, dans les futaies, dans le granit sévère et froid, comme nulle réponse ne vient, il retourne à son ordinaire, le silence, ce bel endormi qui active sa faconde, celui qui porte les mots et qui ne les dit pas, il est seul à son propre regard, à sa langue, c'est un poète ou un imaginatif, mais il disparaîtra, il ira aux vides, il ira dans la rouge lumière d'un monde borné, il s'y endormira comme s’ endorment les pierres, les animaux, les lettres consumées, les insectes larvaires et qui ne sont pas nés.

Il y eut je l’atteste une verge à lunettes comme un lézard au soleil, cette verge tenait d’une nageoire et d'une serpillière, elle faisait la belle dans des redressements, tel un étendard qui flotte au vent, électrique elle aurait été rouge, flamboyante, mais elle est verte, encore fragile, elle écoute son maître remonter des histoires à sa façon, pouilleuse elle se serait plainte, mais elle ne l'est pas, alors elle s'enroule sur elle-même, chantonne, claironne parfois, son caprice est de dormir, d'être dans la démission, c’est sournoiserie, le maître la secoue, la tripode, la triture, rien n'y fait, neutre, elle reste neutre, le maître est dans la honte, ce n'est pas comme lorsqu'elle est en exercice, tout en corde raide, pas dans la contradiction, digne quoi, puis vient l'humide flagellation, une glorification en somme, c’est là qu’elle retourne à sa poche de coton.

Voici la voix qui commence et  qui parle, elle est un parapluie ouvert qui couvre de l’ondée, une marmite ajoutée au feu, l'araignée fondue de noir sur la vitre brisée, l'île mobilisée pour la course au firmament, l’échelle vérifiée pour de hautes expériences, voici la voix qui parle et  qui commence, elle promet l’aube qui nous dépassera,  justifie la chine dans les matins brumeux, se dispense dans le brouillard aux ailes liquides et  blanches, elle est concentrée dans les formes de l'accueil, circonscrit l'espace aux boucles ruisselantes, fait chuinter les élytres de la phalène, va au fond des forêts satisfaire le ruisseau, voici la voix qui dit qu'une main est amicale lorsqu'elle laisse les oiseaux s’évaporer dans les nuages, qu'elle témoigne de l'habilité du sourd et de l'aveugle, qu'elle enseigne les morphèmes aux horrible bêtes, voici la voix qui accueille et qui pleure.

Les amants aimantés

Sont dans l'art de la vie

Ils dispensent des visages

Aux vivantes saisons

Ils sont d’écorce et de sève

Comme diaprures dans les herbes

Le jour nouveau qui gagne

Sur l’hier dépassé

Les amants aimantés

S’unissent pour être libres

Chantent le bien ignoré de l'autre

Ils sont d'exaltation

Ils sont exultation

Des mots qui lèvent des  mots

Le chemin  découvert

Qui conduit à demain

Les amants aimantés

S’engagent dans l'amour

Le chagrin éternel

La séparation

Et lorsque l’un d’eux meurt

Le second meurt aussi.