Au jour le jour 95

Mon chien de malheur est propre, délicat, imputrescible, tout comme le sont mes manières d’apesanteur, cela ne suffit pourtant pas à ce que l’on me considère ou me stupéfie, en d’autres circonstances, celles où l’on me regardait tel un mauvais entendeur qui salue, sonne, raisonne bien ,n’a cure de pas grand-chose, recherche dans la science l’après des origines, cette levure suspecte qui fait les dogmes et les sentences, mon malheur avec son pelage roux, sa toux buissonneuse ,clandestine, avait bonne réputation ,aujourd’hui j’avise une saloperie de malheur plus pesante, vieille d’au moins quarante piges, méfiante tel un Empédocle sur le chemin du salut, de me porter à vue, de me voussoyer, de me tenir tête, de me déséquilibrer, de me tirer à elle avec une douceur mâle et infinie, afin que je me soumette au sommeil et à toutes ses nervures…

Souvent toutes les actions que j’entreprends sont impalpables, j’ai beau y mettre de la vigueur, de la rigueur, les représenter dans la tenue d’un homme de main, d’un sbire, d’un cornouillard qui va à un entretien, rien n’y fait, elles restent des actions communes, sans intérêt, elles se sont  affranchies de la démonstration dans les circonstances qui me voient attaché à me grandir, déliées, belles rouleuses de mécaniques, hautes en teneur de valeur ajoutée, mes actions suivent pas à pas l’idée que je me fais d’elles, elles marchent la tête droite,  haute, ne saluent personne, regardent d’un côté puis de l’autre ,se confondent à la masse des agissements, elles qui ne sont pas foutues d’assaillir fut ce un crétin infiguré, d’écraser un moucheron, un derrière , un cafouillis de mots sur un parquet de feutre, les voilà qui m’offrent aux regards des vaniteux, des arrogants, des impudents, afin que ma foi en prenne un coup, cette foi qui fut un joyau fait de salive de slavité et de la poussière bleutée prise dans l’ennui qui me tient lieu de principauté…

Jadis toutes mes fournitures de vivre, je les partageais, les voulant inépuisables, bien que je m’y débattais à la manière d’un singe affecté par ses ressemblances, du vestibule à la chambre, dans les encombrements des objets lacustres, je voulais me débarrasser de mes désirs trop prononcés, mais rien ne révélait mes actions, si ce n’est cette plaisanterie d’être dans l’utilité froide de ceux que font carrière dans des asiles, qui portent leur nom impassiblement quand vint l’hiver avec ses taffetas, ses blanches étoffes, ses surfaces cotonneuses, je me dégageais de tous mes paquets de lumière, de tous mes bidules faiseurs de torts et d’orages, de tous mes songes, de tous mes ustensiles à mentir vrai, pour gagner un nouveau lieu empli de vilebrequins noueurs de tripes, de tord-boyaux,  sirupeux de machines à inconforts ,de me voir si humainement mêlé à moi, de la neurasthénie me vint, mon monde s’immobilisa, mes yeux se fixèrent sur des murs blancs, puis des menaces m’atteignirent…

Lorsque je tourne ma face vers cette sécheresse vieille de deux automnes, sur les parties de mon corps qui ne rencontrent plus personne, tout me paraît détaché, et à plus forte raison déraisonnable, c’est une époque où les vieilles scies sont devenues des antiennes douloureuses, où les matins tombent comme des tourbillons, où les anathèmes conduisent vers une jeunesse inféconde, les présences de peu d’esprit voudraient m’en donner, mais que ferai je de cette saleté d’à propos, si elle me met en vision un visage et un corps qui ne me  reconnaît plus au milieu du jour, là où j’ai introduit un peu de calme, certains prétendent que je n’ai pas fait preuve de justice, de justesse, que tous mes mouvements sont trop appuyés contre des parois qui me soutiennent, qu’ils ne favorisent plus l’affleurement de mes sens, pas même le transport de mon âme ailleurs que vers la boue et la tourbe,c’est pourquoi dans les minutes qui suivent, je m’imbibe pour effacer de mes mains la limaille des années mortes…

Voyez dans les replis de l’amour, combien de sauvagerie, de lourdeur ,du livré et de l’inconsenti, toutes les nourritures venues par la grâce, retirées dans le dépit ,dans l’amertume, les rémissions ,les plats froids repassés avec la même fatigue de faire croire que l’avenir est une autre altitude, le même faux train distant, observatoire où l’on ne voit que des corps touchés de brûlures,  voyez les dépens, les dispenses mal écrites, l’indisponible besoin de se rattraper, mais à quoi , à ce qui nous soutenait et qui s’amollit dans les perplexes auscultations, voyez aussi toutes ces surfaces où nous glissons comme d’équivoques jouets sans ressorts, la latéralité qui n’est plus observée, les chiffons rougis par d’amers émois, le trouble minéral jeté au visage, cette économie morale qui puise dans l’ancienne sainteté pour n’en retirer que d’impropres liquidités, voyez surtout ce final lorsque les deux absences se confondent en des présences, comme des chevaux qui s’emballent et qu’on ne retrouve plus..

Au clair de mes désirs je ne vois rien qui vaille qu’on l’élargisse, j’ai fait le tour des couches où l’on parlait peu, celui des villes consulaires où la nudité était de mise, j’ai vu l’ailleurs et son sale bonheur tiré à quatre épingles, les chiens rogneurs de temps sur des canapés turquoises, la mer avec ses soubresauts, ce qui donne le sentiment du crible et du roulis, entendu des messes, des entretiens ,des harangues, celles qui mentent de tout et ne s’inclinent devant rien, j’ai voulu que mon habileté serve à ne rien dessécher, qu’elle remplisse les commodes de lettres, de souvenirs, que personne ne pâtisse de ma sombre compagnie, au clair de mes désirs, je n’ai pas été dans ces transports que des aînés me vantaient et qui les mettaient dans la disposition de ceux qui vont aux vues…

Mes crises de terre sont aussi accablantes que ces longs métrages où l’intérêt réside dans la sévérité du procédé qui le met à l’écart d’un public de fossoyeurs engoncés dans la naphtaline et la sévérité, mes crises sont aussi des études étendues à ce que j’ignore de moi, que je cherche à découvrir, études d’approches ,de renoncements, obscurs travaux à domicile, coups bas portés contre les contagions de ma fainéantise, les conclusions, les ordres hâtifs, tous les commerces imbéciles des sens et de l’esprit quand ils n’ont de parité qu’en s’en prenant au bel ennui, j’y trouve aussi l’occasion de porter à la connaissance de chacun que dans mon quaternaire, là où j’élève des chiens inoffensifs, des bêtes que je mets en première ligne dans des concours d’obstacles, il y a un habitué du soliloque, un ingrat qui ne consent plus à se ruiner dans les fausses aisances, faut il aussi que je dise que par bonds successifs j’ai trop usé du verbe sans comprendre qu’il est un partenaire qui tient jalousement à des disciplines dont je n’ai cure…

Quand la syntaxe à ses saintes heures ne fait pas l’effort d’aller dans la bouche des comédiens, les auditeurs avachis sur des strapontins avec leurs boulimies extrêmes d’entendre, prêtent l’oreille aux bruits des rideaux de fer, aux bruits des plinthes ,aux bruits des mécaniques théâtrales, aux cisaillements de la poussière qui tombe des cintres, aux redoutables tubes neigeux des néons vernissés,  j’ai moi aussi assisté au spectacle des désenchantements, aux déséquilibres des eaux quand elles vont se noyer dans la mer, aux cortèges du ciel quand les nuages convoitent une terre de cendres et de boue, j’ai été de ce public aux molles habitudes, qui compose un magister d’éléments composites, inhabituels, et frappe des pieds et des mains pour des mots déplacés sur des estrades, rien de plus clair ne m’est apparu depuis, nous sommes des bêtes désavouées ,solides, vieux modèles de chair d’os et rien ne nous tient plus de lieu pour nous recueillir…

Dans mes sommeils, secoué de toutes parts, soulevé comme pour de longues élévations auxquelles la physique ne comprend rien, mon corps prend la dimension d’une charge, d’un poids mort, il y a là indéniablement quelque diablerie, or rien ne me lie ni à l’enfer ni à la lumière, et bien que ma timidité m’ait éloigné des filles ,cet état ressemble à s’y méprendre à l’état où j’étais quand je voulais me rapprocher d’elles, ces voleuses d’âme et de confort, je cherche la tête dans les hauteurs à saisir une chromo désuète où des anges s’évaporent devant un précipice ébranlé des chevilles aux mâchoires, j’ai pour paresse de m’y adonner, pensant éprouver quelques doux spasmes, une satisfaction ,rien n’y fait, je résiste à leurs insupportables intimités en m’éloignant d’eux, je me dissous, je prends la forme d’un animal qui s’enchevêtre dans leurs longs cils, prends la forme de l’oreiller, de l’édredon, saugrenues façons de coller à un rêve accidentel, aucune main ne vient me saisir, et dans mon intérieur tout est fluide, liquide, lent, lourd, lourd…