Au jour le jour 51

Tant le temps a la taille
De toute ta présence
Que mes misères en nombre
De tes versants complexes
S’ajourent au jour plus haut
Déversant leur parfum
A une éternité vierge
Qui n’est abandonnée
Qu’à cet âge d’amour
Qui n’est plus en regret
Durable et capiteux
L’épaisseur de tes houles
Au firmament moins gris
Se remplit de ton sang
Comme d’une eau de pluie
Oppressée tendrement
Par ces astres sablonneux
Qui tombent sur la grève
Comme tombent tes cheveux
A ton cou mémorial
Célébré par mes mains
Aigres du souvenir
Amer de ces marins
Qui partent sur la mer
Pour des cérémonies
De basses de fausses gloires
Comme autant d’infinis.
 
 
L’amour aux saisons rouges
Rauque d’une vierge jeunesse
Est muet aux rayons
De ses obscurités
Sa langue est ambiguë
Sa bouche se rétreint
En tourbillon de joie
De sourire et d’élan
Paradis de lumière
Où l’on aurait voulu
Jeter la terre entière
Le silence et la science
Sont de mélancolie
Quand un amoureux parle
C’est l’autre qui périt
De ne pouvoir comprendre
Le poignard et la fleur
L’une venant à son sein
L’autre porté au cœur.
 
 
Dans la ruine et la nacre
Et tant à rester nue
Tu soulèves au bûcher
Où tu portes ton nom
Un vol d’oiseaux criards
Eperdus en antiennes
Tel du blé rejeté à la main
Belle bleuie au regard
Des hommes désenchantés
Tu es ce cher scorpion
Lunaire au piège informe
Quand le lierre qui grimpe
Vers les troupeaux d’étoiles
Est le plus haut des ponts
Où se règle l’enfance
Par les livres et les contes
Quand le loup s’évanouit
Dans un masque de fer
Ou dans une longue nuit…



Voici mes doigts impropres
A tes fines dentelles
Et l’illusoire dessein
De tant te recouvrir
Comme une korê en blanc
D’une chair empierrée
Et qui va à la taille
D’un maître sans marteau
Qui s’abîme les paupières
A ne pas les ouvrir
Et à ne rien montrer
De ces siècles admirables
Avec leurs draps leurs armes
Leurs batailles forcées
Où se sont arrangés
Des hommes incomplaisants
Pour de sombres victoires
A peine célébrées
En écus souverains
En fer appareillés
Et qui de mains moins sures
A tenir l’arbalète
Se sont cognés aux murs
Pur de fausses conquêtes
Un cheval dans le cœur
Un autre au bas du flanc
Qu’ils n’ont su retenir
Qu’en des soupçons de plomb
D’antimoine et de braise
Avec leurs reflets bleus
Jetés dans un vieillard
Mille fois parcouru
Et qui devant leurs yeux
Dans un souffle incertain
Expire après l’ahan
Qui relève la bûche
Pour la mettre au foyer
Qu’il ne gagnera plus.


Aux chiens tant incarnés
Qui glissent dans les loups
Tu applaudis la bête
Aux pattes de sureau
Et nul besoin ne chante
A ton étroit pelage
Que de perdre ton fief
Pour une antre nouvelle
Hérissée comme un if
Aux dentelles savantes
Crénelures d’un automne
Aux épis retournés
Il faut que tu te bornes
Au premier lieu de ronces
Pour des cérémonies
De roses surannées
Qui sur ton ventre aride
Sans quilles  dans la marée
Seront autant de gerbes
Que de blanches traineries
Où se tapissent des chiens
Aux museaux rabattus
Quant il te flairait femme
Avec tes lèvres rousses
Ta jupe relevée
Et tes seins si moussus
Qu’on aurait dit deux lièvres
Qu’il fallait soulever
Pour les mettre à l’étal
De tous les invités…
 
A tes plus hauts degrés
Le vol lourd de la brise
Avec ses vieux pillards
Dans la pâleur du ciel
Et ses nobles mendiants
Aux manteaux idéals
Qui s’allient dans le temps
Austère d’un hôpital
Pour un adieu immense
Qu’il faudra retenir
Comme cette diane humide
De tous nos repentirs
Quand nous étions soldats
Avec nos guêtres blanches
Soulevés à nos membres
Dans les sombres dimanches
A nul n’est d’éviter
Ni l’étreinte ni le fer
Pas plus que l’âge acide
De tous nos univers
Ces formes alanguies
Dans nos songes imparfaits
Faits de potions et d’herbes
Comme autant de bienfaits
Et puis ces chers visages
Qui nous sont dévolus
Voilà qu’à notre face
Ils se sont détendus
Et qu’au moindre sourire
Du jour vivant qui dort
Ils donnent un réveil clair
Comme un astre avéré.
 
Car tout s’étend au froid
Dans le borgne langage
Que ne sait le penchant
De l’homme qui s’agenouille
Balbutiant sa foi tiède
Dans peu de dignité
Et contre cet abîme
Où va sa haute voix
Il se heurte sans cesse
Pour n’aimer pas la vie
Cette semonce cette cendre
Aux deuils pesteux que tord
Une aile dans l’orage
Où dans l’amour fétide
Et de savoir le temps
Qu’il ne pourra atteindre
Il met dedans sa bouche
Du sable et de la chaux
Qui brûlent comme un encens
Au cerveau qui les loue
Puis nous endort en somme
Pour un délire plus doux…

Rire à la harde d’air
Qu’on inhale soulageant
Sa froide foi soumise
Qui est fièvre poudreuse
Et sans nulle autre mise
Que de poser les mains
Sur un missel crasseux
De se voir dans l’accord
D’une précieuse présence
Est un terrible aveu
Hors de toute défiance
Qui fuit cette poussière
Aux carrés de charbon
Des mines et des puits
Où bourdonne le goudron
Quiconque sait le mirage
De l’herbe et de la fleur
De celles qui enchantent
Avec autant d’ardeur
Que notre vrai courage
Notre célérité
Sait aussi le langage
De ses altérités
Connaît aussi l’impure
Désolation tranquille
Et aux midis brûlants
Sur des sommets de neige
Il adjoint le sourire
D’un mourant dédoublé
Un qui va au tombeau
Le second sacrilège
Prie sur la pâle face
D’un austère crucifié…