Au jour le jour - 36

Après l’écrasement de son pouce
Pointé vers le ciel bas
Comme une traînée de poudre
L’ourse lécheuse d’étoiles
D’orties et d’ortolans
Avec sa flûte à bec
Alerte les anciens dieux jumeaux
Des fusibles qui ont pété
Sous les voûtes inviolables
Les fusillades frétillent
Les cadavres prennent
Des airs d’horloger à la retraite
L’effraie part en navire
Croiser les grandes croches
Dans l’erre inviolée d’un chariot monstrueux
On a droit au regard
De tissus de soie
Jetés sur des écrans
Les ombres s’approprient des lézards véreux
Plusieurs visites ont lieu
Dans un temps qui nous est étranger
Puis dans un hôpital champêtre
Là ou s’égouttent des parcelles de nuit
Mon oncle
Avec ses paluches de pelures et d’orangers
Vient s’enquérir
De toutes les invisibles formes…

Entre la terre et toi
Ma raison est d’être
Dans la tiédeur
De cet homme inconnu
Qui n’a pas souffert
De sa sensible conscience
Toi qui dis
Que les hivers sont
Des injures indigestes
Entends le saule prier
Le chêne retentir
La fontaine s’irise de gel et de givre
Chacun est de sa propre couleur
Le défenseur inaltérable
Chacun a la certitude
De ses feuillaisons à venir
Rien n’y résistera
A la liberté de devenir
Tous ont une place
Ainsi je serai près de toi
Comme pour un simple bonheur
Tenu serré
D’une seule main
Oubliant l’autre
Avec laquelle je t’étranglerai
Ou t’étreindrai…


Aux moments pleins de feux
D’étranges stratagèmes
La plus sainte à mon cœur
Reste toujours la même
S’est couvert de nos nuits
D’un diadème écraigné
Et son errance est vaine
Du berceau à la bière
Et nul ne sait son présent
Sonore et retenu
A sa bouche violette
Comme un cadeau pressé
Si ce n’est l’homme qui vient
Avec son ciel brûlant
Recouvrir ses paupières
De sel et de safran
Ces herbes souveraines
Etablis dans les creux
De nos vieux souvenirs
Comme des encens terreux
A ces faces qui crient
De hourras des haros
Ne va plus l’enroulée
Qu’est cette femme insoumise
Et tombant à genoux
Devant le saint autel
Un autre s’établit
Sous la pâleur du ciel…

Voici les objets ordinaires sans contusion dans un paysage choisi où vous laissez courir vos chiens après l’orage, comme pour des attractions célestes tels les baisers d’un dieu solitaire, voici aussi qu’aux crochets de fer vous suspendez la matière d’un monde trop vertical, et que tout avide qu’il est, il ne sait que faire dégouliner ses kystes translucides, voyez combien aux contours extrêmes où il change ses faces diaprées de violet, il change ses tonalités pour d’obscures fresques néolithiques, là où il n’y a plus de phénomène de résonance, sinon ceux de l’apparence flasque des chiens écrasés sur des banquettes arrière, pour des expériences de cire, coulant d’une hauteur incertaine, là où tout ce qui est exemplaire s’irise d’un espace sans mouvement, si ce n’est celui des planètes mortes, et qui ne vont plus à nos yeux.
 
 
Poupée nue comme un lièvre retroussé de sa peau tiède, tu ne sais plus sourire ni tendre tes bras à ces plantes grimpantes que tu laissais courir dans les jardins du vent salé, parmi les grands oriflammes violets de ces fleurs dont on oublie le nom sitôt qu’on les peint, voilà que ta chair impuissante est trempée, et jusqu’à ton cœur devenu mou, une ineffable hauteur bat en retraite contre tes anciennes saintetés, celles où tu disais des serments pour des acrobaties d’air et de droiture, tu voudrais mépriser ton amoureux trop électrique avec son colt sous la ceinture, mais il se couvre pour n’être pas atteint par ce qui darde de toi, soleil aux mœurs de roturière, tu t’es effeuillée de tant de légèreté qu’il te vient en mains des gants, avec lesquels tu voudrais caresser des bouches et des ventres plus bleus que tes peurs ancestrales…
 
A tasser des couleurs et des confettis après l’enquête où l’on te fit tant pleurer, il te vient dans tes secrètes alcôves des fleurs d’inondation, un étiage de bienveillance, comme une pluie salée qui annonce des dentelles et des gourmandises de soie crayeuse ; tous les ustensiles, l’outillage de ta vie nocturne sont d’obscurs rébus où se recomposent tes incompréhensions, ta disette de dire, et tes avantages d’hier, ceux de tes figures d’ange sont les serpents d’un bal sans cotillons et sans cothurnes, les cris des criquets sont tels des sifflements de balles qui t’atteindront au front, mais tu n’iras pas dormir au val profond, c’est pour cela qu’un public d’enfants pubères tait ton ancien nom, et au plafond où marchent des monstres pendulaires aux gros poitrails, tu vois un bleu de baleineau s’embraser comme de l’ambre destinée à des faussaires…

Le temps tourmente les routes et les troupes  à l’heure où les fragiles objets sont écartelés près des fontaines où l’on saigne des agnelets peints en blanc et qui balancent maladroitement leur tête de gauche à droite craignant qu’on les emmène à des étages inférieurs. Ils ont de petites bouches épouvantables comme ces mères qui veulent marier leurs filles sans qu’elles prennent un voile, ne sachant plus ce qu’elles doivent mastiquer, des cailloux ou des dragées, celles qui ont la consistance laiteuse des alcools endormifères. S’il ne nous est plus donné d’être des personnages volant dans les arbres, nous les hommes de mauvais aloi, nous ne pouvons atteindre à ces héroïnes qui nous ont propulsé dans les bras d’ingourmandes féroces,et nous ne voyons plus le monde et son entourage que comme un ciel liquide où il est question de la détresse d’une nef ou d’une étoile prises dans les rets qu’un peintre en disgrâce a déposé bien au dessus de la hune pour y prendre des jumeaux qui auraient dû siéger dans une constellation…
 

Apre d’une chair libérée
Et libre de cette chair âpre
Ta légèreté s’unit à mes menaces
Et mes menaces vont dans tes chants
Rompts ici ton secret inlivré
Cède à toutes ces fausses confidences
Que je croirais
Que tes promesses
Sont des fleuves de boue d’or et de noyade
Riche d’une poussière verte et bleue
Qui nous rappelleront
Que nous ne fûmes
A nos naissances primitives
Que glaires dans une outre sanieuse…

Le charognard fixé à l’homme que je déteste le plus, je le retrouve aussi rivé à celui que j’aime le moins, quelle différence me direz vous, eh bien aucune, si ce n’est que le premier a des paluches qui ne caresseront jamais une jolie femme et que le second ,s’il en prend une ,lui tapera sur le système, car les pognes du charognard sont indexées au reste du monde qui lui va le mieux, les comités, les commissions, les lieux où des estrades font de la parole, des promesses baladées dans l’air opaque, méfiez vous des charognards, surtout de ceux qui s’acoquinent en bande avec des hyènes, ça les rend d’autant plus perspicaces et furtifs, et là, vous ne pourrez plus rien contre eux.

 

Comme je n’ai pas trouvé le mot « Banquette » à mon goût, je l’ai remplacé par le mot « Strapontin » qui suggère l’idée du sparadrap, de la draperie, du rat débiteur et débineur d’orages et d’usages, et plus j’y pense, plus il prend de l’importance comme tous les objets qui nous servent ou nous desservent selon l’emploi qu’on en fait. Si vous répétez mot « Strapontin »dix fois de suite, vous pouvez faire un saut de cabri et vous retrouver dans une alpe à trois mille mètres d’altitude, là où l’écho répète le mot « Banquette » à quarante reprises , en plein dans la froidure, et certainement bien plus vieux que si vous aviez fait le tour du monde en ballon, ou joué à la pétanque avec Henri Salvador.

 

Comme tous les soirs, dans mon enfermement, qui a la forme des conseils que ne me donnent plus mes vieux amis ,ni mon aïeul borgne, je subis le silence, seule occupation bienveillante, et mes doigts qui se crispent sur le coussin et l’édredon sont violettes d’ennui et d’empoignades, et tel un portefaix sous le poids des  misères inconsidérées, tel un christ ladre et étique, j’en appelle à des souvenirs ,ceux qui se confondent dans l’artifice et l’art tout court des beaux moments où l’on pouvait vivre à deux et horizontalement.