Aphorismes 193

Pour avoir été mélancolique plus que je n’aurais dû, je n’ai pas su disposer de ces ingéniosités de la tristesse lorsqu’elle nous met dans les bras des filles, et que forcément nous ne voulons plus relâcher.

J’ai mis mon sérieux au service d’une douleur et d’un repentir verticaux, axes premiers de mon existence vouée à des rendez vous gâchés par trop de sérieux, à des retenues prométhéennes.

Le langage ne justifie pas que nous nous démenions tant et tant en lui et pour lui, et n’en paraissons affectés que lorsque nous ne sommes plus disposés à lui parler comme à une vieille maîtresse qui cherche son latin.

Tout ce qui s’est avéré comme souffrance en moi s’est hypertrophié dans mon sang, et je ne sais plus regarder l’homme et ses instances, ses insistances, sans y voir une solution sanieuse qui se mêle à mes propres poisons.

L’amour c’est l’état d’un temps lyrique, je suggère d’y laisser divaguer tout homme que le commentaire a rendu lointain, et qui ne s’est abandonné dans les bras de l’aimée sans y voir la trace d’un commencement, d’un commerce ou d’un forfait.

Si l’on pouvait en un seul jour revivre toute son existence, combien j’épargnerais de temps au temps, et combien moins d’hébètement j’aurais pour mesurer mon effort d’être.

Il y a quelque grandeur à comprendre ce que sont toutes ces monstrueuses verticalités dépliées comme des portulans, vermoulus comme des rêves en friche et sur lesquels nous traçons nos destinées.

Inassouvi, je cherche dans les révoltes suffisamment d’exaspération pour étoffer mes prières avant d’étouffer en dieu.

La solitude nous enseigne combien pour être clair, il faut dégivrer ses pensées et traverser son sang pour comprendre et voir ce que la vie comporte comme mystère à suspicion.

Triste et sans égard, j’ai réduit mon existence à des exercices d’athlète hagard monté sur un podium pour s’y caler.

Mes gaietés sont les échos de ces  accomplissements où le plaisir d’être s’est mêlé au plaisir de n’être plus.

L’amour m’a suggéré des retours de flammes sur un berceau, et des incendies sur des momies soustraites à l’art.

Toutes les portes donnent sur une pierre tombale, une stèle parafée où figure un nom, celui de nos résidus.

D’ordinaire mes gestes sont les dérivations d’un brassage indiscret, fréquence d’un exercice de prêche.

A chaque jour, ses insolutions, que le diable fait homme n’y saurait retrouver ses fioles,ses tubes et ses posologies.

Que n’ai-je oublié combien j’ai eu de regret d’avoir été assermenté à des éthiques,à des philanthropies douteuses,où l’homme se regarde comme la seule forme de conscience qui date et cherche à dater davantage ?

Il est des jours où le parfum des heures doit sa fortune aux sottises que nous ne commettrons pas.

L’odeur suspecte du symbole…

Parfois mes pensées sombrent dans l’onde minérale des nuits où j’ai été hypertrophié par le silence.

Combien j’aimerais fondre dans une larme et m’ourler dans les étouffements de cette femme qui supplie sous une croix.

En fait d’absolu la musique est la seule forme de grâce amère et sans effet qui m’amène à réfléchir sur les mérites et délices du néant.

Combien j’ai eu de motifs pour en finir, oui mais en finir avec quoi, et pourquoi ?

J’ai beau eu partagé mes réflexions sur le monde, je n’ai trouvé de répartie que dans cette bêtise réitérée dans la bouche des mêmes malades que moi.

Etre est une broderie d’égarements.

Prédisposé à l’attente, combien ma fièvre est retombée quand j’ai su attendre.

Mon territoire est appuyé à une falaise, là, où un seul doigt pourrait en corriger toutes les fissures, et rendre polies ces surfaces d’où j’aurais voulu glisser.

Ma soif de dispersions est si fugitive, qu’elle semble émaner d’un corps dissous dans la chaux crayeuse qui s’agrège sur les tableaux.

En flagrant délit d’existence,j’ai conçu des lettres pour un dieu vautré dans les cimetières,inscrit en lettres capitales sur les stèles,les épitaphes abrégées d’autres particules,télégrammes déroulés comme des papyrus illisibles et sans destinataire.

On s’appuie tant et tant sur soi que notre tuteur  évoque un diable boiteux, un dieu chancelant, incapable de se réactiver.

L’espace tout entier me semble parfois être la roue d’un cycle gigantesque où rayonnent les territoires de nos enfances bistres.

Comment ça se passe dans le monde, ça se passe comme ça…

Mon manque d’admiration me comble, mon plein de nostalgie m’ennuie.

Aucun monde mieux que celui là ne saura résonner en nous, et y étaler ses insanes obscurités.

L’existence toute entière est un littoral entre une mer de désespoirs et un désert de déceptions.

La nuit point, je préférerais que tout en reste là, dans la lassitude et les hébètements.

L’existence nous est commise d’office et nous y vaquons à la manière d’un patelin qui abuse du mystère, du vin et de la messe.

La vie semble être une cour suprême où chacun juge chacun, et où chacun est dévoyé.

Ce qui était au commencement le sera à la fin, c'est-à-dire le néant, le néant et ses suprématies spirituelles.

Que de concessions qui me défraîchissent et me mettent au rang des contagieux !

Lire, c’est conclure des complicités avec cet écrivain qui ne s’est signalé que par ses injonctions.

L’univers a été conçu comme une anormalité dont nous payons le prix fort.

Je proclame que toute démesure tient de la dévastation et de la fanfaronnade.

L’ennui ne va pas sans certitudes, certitude que la vie est de l’ordre du préjudice, certitude que ce préjudice sied à la vie.

Mourir tient de la culbute et de la conviction.

L’âge, tous les âges sont funèbres, c'est-à-dire que sous toutes les formes de leur exploitation, nous ne délivrons que des énormités ou du superlatif.

Je tiens du martyr et de l’exploité, bref je survis, et dire que si je parlais, je serais dévastateur.

Tourmenté, oui, mais dans le sens où l’est une saison, c’est-à-dire en permanence.

La patience m’enquiquine, il me faut du cri et des coups de gueule, du verbe cru,des inexplications,de la verve ou de la débâcle,afin de n’être tenté ni par le mieux,ni par le pire.

J’anticipe sur la prière, sur toutes les prières, pour n’être pas détourné de Dieu et des son maniérisme.

La citation tient de la propagande ou de la plus vague des rhétoriques

Vivre c’est se détourner.

C’est Satan qui m’inspire, c’est Dieu qui me retient.

De tous les épisodes de ma vie, de ceux qui m’ont conduit du doute à ses contradictions et traditions, je retiens l’absence de leurre qui aurait pu coïncider avec ce que je cherche en rédemption.

Vie en cours, mais au-delà de toutes mes résidences, je me tiens sur un siège où j’ai l’air d’un retraité par anticipation.

La susceptibilité m’a mené vers les réorganisations de cet intérieur où l’intelligence fait défaut, si on ne m’avait tant gêné, rien d’autre ne concernerait mon équilibre que mes sottes intimités.

Nos plus grands malaises sont dans l’emploi, dans l’exploitation du mot, le reste est de la fiction faite pour nous représenter au-delà de notre nature de monstre

On aura beau eu me reprocher mon ton, mes sottes tonalités, mes façons d’être et de parler, bref de rassembler mes idées et leur impertinence, mais voilà, je tiens davantage à mon outillage de bricoleur qu’aux honneurs qu’on fait aux professionnels de la parole.

Toute adresse, toute forme de précision nous réactivent dans le sens de vouloir perdurer dans les alignements, tout en nous modelant un corps de soupçonneux ; combien je cherche dans l’erreur à me hisser parmi ceux qui ont loupé leur carrière toute tracée.

Je regrette de parfois me soustraire de tout, de m’oublier pour donner sens à cette réplique qui dit qu’il vaut mieux être mort que petit vivant, et pour ôter de ce mystère de n’y parvenir qu’en y songeant je mets autant d’acharnement à penser vrai, qu’un malade qui s’attache à sa maladie.

Autant de raison que d’effarement !

Comme j’aimerais qu’on salue ma verve afin que j’ai de quoi vouloir me planquer pour le restant de mes jours.

Etre c’est faire carrière dans l’illusion, toutes les illusions et leurs crachats d’astres morts !

Plus on fait abstraction de Dieu, plus on peut trahir l’homme et y trouver quelque intérêt, voire de la science.

Fatigué je ne me satisfais qu’en étant du coté de personne, pas même du mien.

J’ai toujours fait en dehors de toute élévation, je n’ai observé aucun podium, aucune estrade, et si je ne m’en satisfais pas aujourd’hui, c’est parce que je suis dans le danger d’y prendre garde.

Plus on fait dans la vie, plus on a l’air de commencer, c’est-à-dire d’entreprendre jusqu’aux désolations.

Ce qui est essentiel se compromet aussitôt avec ces essoufflements qui sont l’attrait de la vie même.

Vivre me laisse assez de place pour aller jusqu’à dieu, sans passer par le malheur ou le leurre.

Au plus aigu de toutes mes crises existentielles, j’ai eu la sensation d’avoir gravi des Hymalayas de boue qui ne m’ont pas submergé, et j’en ris.

Plus encore que toutes les inepties de l’existence, je me rassure par celle du néant, et de moquerie en moquerie, j’arrive à un sourire de névropathe.

Tout est dans l’Etre y compris le « Non ».

Entre la science et la misère s’est immiscée l’astuce.

Je ne daigne plus jouer au généreux, je déclare aujourd’hui que toute forme de don contient autant de retenue que d’ostentation.

Toutes les leçons nous vouent au vague, c’est-à-dire à ce qu’il y avait avant, rien.

Je n’ai rien obtenu de ce que j’ai désiré, encore moins de ce que j’ai voulu, j’aimerais tant croire à cet enchantement de posséder jusqu’aux intemporalités, jusqu’aux débâcles liées au trop.

A l’origine de l’homme, une forme de fanatisme.

Nos organes n’ont d’intérêt que si on les interroge, aujourd’hui aux haruspices nous préférons le papier ou la machine, végétal et minéral, comme si nous pouvions dessiner la vie dans ce que nous renouvelons par le silence, le blâme ou le triomphe.

C’est dans l’à peu près que réside le bonheur, quant à la précision, qu’elle reste ce qu’elle est un emmerdement maximal, pour un minimum de rituel.

Je rêve ahuri d’accomplir la plus monumentale des erreurs, procréer !

Je rate tout ce que j’entreprends, il m’arrive parfois d’en être satisfait et de songer à en faire une performance.

Je répugne à la pensée, je répugne à cette pensée dont je doute qu’elle n’ait été dans le soupçon de Dieu.

Sous haute surveillance, mais en vie, et combien le monde s’essoufflerait,je reviendrais sur les souvenirs de cette malveillance.

Toutes les erreurs,c'est-à-dire ce qui le plus souvent nous laisse en dehors des inerties liées au prestige du savoir,nous font accéder au tout premier degré de ce même savoir.

Soif de paraître, soif de corruption !

A défaut d’œuvrer c'est-à-dire de faire un acte aux antipodes des sottes nonchalances, je vois que toute existence attache de l’importance à ces objets sans curiosité que j’aimerais déchoir.

J’ai toujours confondu et l’ennui et la paresse avec l’objet de mes névroses et de mes neurasthénies,celles aussi de mes théâtralités de vivre,me voilà dans la peau d’un dilettante et qui n’en sait pas davantage sur ce qui le compose.

Toute absurdité devrait être regardée comme telle, c’est-à-dire comme la projection d’un moi idéalisé.

J’ai longtemps cru que rompre d’avec une femme me désolerait autant que mes névroses, me voilà plus à l’aise dans la démission que dans le somnifère.

Ne parlons jamais d’avenir, il rend l’existence encore plus obséquieuse.

De tout ce que j’ai raté, je retiens les formes hautaines et honteuses des premières fondations, sur lesquelles j’aurais aimé ériger un mausolée de mensonges.

J’ai fait cas de l’homme, c’est le seul évènement que je m’efforce d’effacer afin de n’avoir pas à me méconduire.

Etre, c’est se démener.

Tant d’efforts pour triompher d’un moi désagrégé, tant d’efforts que j’estime incompatibles avec le meilleur de la vie et qui est du coté obscur de mes états larvaires, ceux qui sont loin de toute épreuve.

Etre tient de la paralysie et du mimétisme.

La passion, entre consternation et esbroufe ne dure que le temps d’une décharge.

Tout ce qui n’est de mon côté est hideux, combien alors l’homme m’apparaît comme un monstre dont je ne garantis ni l’âge ni la surenchère.

Au malheur, comme l’affirmation de la supériorité de la mort, j’ai préféré le désastre qui va au-delà d’un simple malaise, qui va jusqu’à mes os.

Peut on avoir conscience de la conscience et n’en pas être affecté ?

De tout ce que nous atteignons, il me semble que la mort est ce qu’il y a de plus prestigieux.

Déchu et déçu dès ma naissance, se peut il alors que mon venin me rachète de ma condition de serpent inoffensif ?

Penser est aux antipodes de proférer, mais combien les deux attendent de réponse sur leurs contradictions.

Tout ce que nous expliquons est exagéré, voyez alors combien Dieu pourrait être insignifiant.

Plus je regarde le tableau de « Courbet peint par lui-même », plus il me semble qu’être halluciné nous vient de Dieu et du doute qu’il suscite.

La musique nous fait déserter le réel et ressentir ce qu’il y a de suprême dans l’instant.

Vivre tient de la verticalité, du désoeuvrement et de la contagion.

Le sort avec ses coups bas est de l’ordre de l’humiliation, mais combien cette humiliation nous fait évoluer vers l’évidence.

La performance m’emmerde, je travaille à saboter ce qui nous mettrait au faîte, pour nous donner à voir ce que nous sommes, des vers dans la propension de ramper.

La déception est une trouvaille édifiante, quel dommage qu’elle ne passe pas par la douleur physique !

Au commencement était le cri, puis le crime d’être en vie, enfin le verbe pour les qualifier ou les disqualifier.

J’ai versé dans la création, dans le faire, quelle plus haute déception dont nous ne pouvons pourtant nous passer, tant il faut se résoudre simplement à exister avec cet  air d’ahuri et qui pense.

Faiblesse et virginité conduisent à la déception, je ne veux passer ni par l’une ni par l’autre, mais la déception est parfois sous tutelle de l’imitation, j’opte pour cet enfer.

S’humilier en vaines explications, et par cette douleur que le dire rend incompatible avec les propos sur le silence, chercher à se flinguer.

De tout ce que j’ai entrepris et réussi, je retiens mon veuvage, double superflu de mon silence.

Ce qui est naturel est sans variété, voyez combien l’homme dans le malaise de ses multiplicités va par choix vers des didactismes sans priorité.

Ne plaire à personne et en faire une science, il me serait alors loisible d’aller d’une extrémité à l’autre de moi, et de m’effondrer.

Au paroxysme de mon ennui, la connaissance du deuil, et aucun visiteur ne peut m’en éloigner.

J’ai incarné la désenvie et l’ennui, j’en ai été le spectateur, deux excès valent mieux qu’un

Concevoir la vie comme la plus obscène des répliques à la mort.

Le sérieux m’ennuie, me  pousse aux extrémités de la parole, si je devais simplifier, je dirais que le sérieux est la dimension rangée de mes convictions et de mes démangeaisons.

Pour m’être trop éloigné de l’homme, j’ai l’air d’un type hagard qui redoute tout forme d’amitié de peur qu’elle ne le pourrisse ou le fourbisse.

Ne rien avoir ramené à soi, et finir aussi solitaire qu’un nocher qui va à la mort avec un double indestiné.

Gémir encore gémir, voir que tout est vacuité,et ne pouvoir combler que quelques heures sombres qu’aussitôt nous disqualifions.

M’évader dans le n’importe quoi, n’importe comment, mais en poltron.

Réduire ma vie à des piétinements, à des petits pas de malade en retrait, que dis je à des emmerdements !