Aphorismes 191

Dans la perfection et la lumière glauque des cathédrales, il me semble qu’être vivant, c’est détourner  la vulgarité de tous vers les lieux où l’homme prie et s’arrange avec ses morts.

La souffrance est une intimité qui échappe à toutes les restrictions posologiques et recouvre notre lucidité, jusque dans le désir de rester dans l’ivresse d’un devenir embaumé de dégoût.

Les passions sont terrifiantes d’ego, elles tiennent place d’extinction, et nous y entrons comme mus par le désir de ne pas y échapper pour de vaines glorifications, et nous épuiser de cette double conscience qui va du haut vers le bas, et du bas vers le plus bas.

La musique est en moitié une énergie d’entrailles, un tiers d’irrévocables soubresauts du temps, et pour le reste, cette part de Dieu entrée par distraction dans toutes les matières qui s’élèvent.

Je compte bien m’égrainer en paresseux pour mon restant d’années, et j’y échangerai mes regrets contre un chapelet.

La pluie m’ouvre à des religiosités sans nuance, et comme dans l’expiation, je pousse mon regard vers les hommes et le verbe vers Dieu.

Dans ces réduits qui me suggèrent des idées incantatoires, je pose des mots sur des lignes et les considère comme les seules tensions, comme les seules voluptés que les hommes ne tourneront pas en épilepsie.

Mes nuits sont des pluies de sensations déclinées de mon sang, et tout s’y répète à la manière de ces grains de sable ,qui engloutissent un ludion, déplacé par une intelligence qui cherche à se planquer dans d’identiques endroits.

Il doit bien exister encore des anges malades de leur éternité et qui voudraient se planquer parmi les hommes, pour s’étendre dans une même solitude.

L’expression de mes limites est une horizontalité spirituelle.

J’oublie parfois jusqu’à l’effritement de mes os, cette concession que m’offre mon corps me brouille davantage avec les hommes que si je devais me consoler d’une insolence que je ne peux plus avoir, sinon en présence d’ un témoin obligé.

La nuit illuminée par mes nostalgies crée des enfants qui en secret se conduisent jusqu’au puits, ou jusqu’à la mine.

La réalité est affliction, combien aussi les objets sans substance supportent nos lyrismes et nos regards, impropres évidences, sans inspirer l’érotisme qui leur est dévolu quand nous les rêvons.

Il arrive que le regret me saisisse de sa main lépreuse et argentée, et que dans son élan elle agite mes souvenirs comme les grelots de toutes les fables où j’ai prononcé le mot « femme » et le mot « Dieu » sans qu’ils ne résonnent en aucun lieu..

Il y a des matins où aspiré par je ne sais quel souffle, je me sens détaché de tout, et ma vacance et mon épuisement me semblent des objectivités dérisoires, me semblent des accords avec la charogne.

A intervalles je me compromets avec l’homme, j’ai beau faire la promesse de ne pas me conduire en ingrat, en insatisfait, rien n’aboutit ;mon humeur est toujours dans le doute et le détachement.

Dans ce spectacle de présences, la mesure est à l’haro ou à l’applaudissement, quant à moi je me compromets dans le silence, faute de ne savoir proférer.

En l’audace de dépérir proprement, il y a l’idée que dans un ailleurs vertigineux quelqu’un nous attend et qui aimerait que l’on soit bien mis.

Tous les évènements de l’existence, s’ils ne sont pas examinés singulièrement, donnent accès à ces reculades qui sont autant de transes que d’oscillations.

Pousser sa vie dans le vacarme, mettre ses pas dans la cendre, et oublier combien un insecte montre la direction du ciel, et le livre celle d’un incendie.

La modernité tend des pièges entre la morale et la religion, toutes deux tonalités de nos propensions à oublier qu’il y a autant de place pour l’homme et pour Dieu sur les chantiers de la création.

L’intelligence est parfois une pathologie d’absolu.

Combien j’envie tous ceux qui peuvent dire « Je »,sans être traversés des mortes connaissances.

La perfection offre le spectacle du pitoyable, il n’y a rien qui y défaille ou s’y intimise, elle est cet argument que brandissent les mortels, comme un sceptre contre leurs propres dilutions, celles où je verse, pour devenir un objet de fatigue et de renoncement, voire un berceau initial et originel.

De toutes les contingences de mes possibles, la plus enviée est celle où l’intensité de mon existence égale l’intensité des crépuscules animés par les yeux des morts.

Dans la souffrance ,la respiration est un hymne, et la coloration de notre chair peut autant évoquer le singulier palimpseste d’une table de lois, que le sable aggravé des pleurs de toutes les Madeleines qui n’ont pas su se précipiter dans le pardon, sans passer par le labeur du lavement des pieds d’un Christ qui n’aurait pas fait l’aumône.

La nuit est une éternité bornée par nos rêves et nos souffrances les plus intolérables.

En ces occasions où l’amour se contient, puis est submergé par toutes nos neurasthénies, il m’arrive de croire que la matière même de mes désirs est une damnation, l’ultime éclairage que ma chair pourra traduire par ses débordements.

Comme rien n’arrive sans qu’il ait déjà été amoindri, j’anticipe sur les petits-tout crépusculaires, pour m’apaiser de mes crises d’inconsolation.

La tristesse est un filtre qui s’applique à toutes les voix intérieures, quand nous les décourageons de leur tessiture et de leur altération.

Rien que je n’ai tant vu défaillir que le mot,et qui m’ait dévitalisé au point d’avoir la révélation que toutes mes anémies passaient par l’abattement de tous mes arguments.

Sans mes élans, essors excessifs quand ils sont commis au détriment de ma conscience, j’aurais passé ma vie à m’inventer des dieux et des aurores, vers qui j’aurais pu gueuler et me confesser du prestige de mes stagnations, sans même en demander le pardon.

Il vaut mieux que je ne m’approche d’aucun homme, cette proximité me conduirait à de la morve, et mon sang ne faisant qu’un tour me mènerait à des roueries.

Après mes nuits mouvementées, la moindre de mes réflexions est un essentiel exacerbé qui monte vers le ciel comme un pacte ou une condamnation.

Dans mes dégoûts, j’ai été tenté par des déchéances sans propriété, par des fragmentations impropres aux commentaires, révélées par cette parole inconsentie ,autopsie d’un corps qui ne veut plus de ses quotidiennes roulures.

Les hommes n’auront plus besoin de moi, ni de ma sollicitude, fussent-ils poussés jusqu’à ma porte pour y convoiter toutes les tromperies dont ils m’ont fait le secret détenteur.

Mes larmes se sont multipliées dans cette fatigue et torpeur d’être, que ni le café ni les somnifères ne peuvent temporaliser, tant elle est le siège même de toutes mes soustractions.

Je suis l’héritier de ces fugitifs excédés par leur déplacement, et qui à chaque frontière touchent au fil électrifié de l’ennui et de la révolte, sans pouvoir, sans savoir où est la place réservée pour leurs contemplations.

Tout est soporifique, et Dieu substance impropre à le digérer.

Dieu absent, malade, les bénitiers font dans l'énurésie.

Toutes les confessions me ramènent à moi, vers ce conspirateur qui chuchote et s'étrangle.

Que de fautes qui nous donnent du prestige!

Scélérat lié au néant, j'ai des écarts consacrés, que la machinerie du subir pousse vers des dégringolades.

Insatisfait, las, aucun évènement ne peut, ne pourra mieux m'arranger que ma dernière exposition.

Il m'est impossible de dialoguer avec moi, la saveur de le savoir me donne quelques prérogatives sur mon corps.

Prendre une pause, s'arrêter entre la litote et le masque, dans le linéaire de leurs hantises.

Tout récit traduit la forme obscure du dire, qui se définit parfois par une psychologie qui ne nous est d'aucune contribution.Les ascensions suggèrent l’œuvre.

L'écriture et la peinture, j'y ajoute l'amour, trois des formes que j'ai choisies pour m'épuiser.

L'action nous place au centre de tous les manques.

Si je pouvais de quelque manière que ce soit, contribuer à la vie, je contribuerais à la rendre impossible.

Je crains de ne pouvoir être qu'incertain.

Je me reposerai des vérités à répétition dans cette vieillesse du corps, et m'endormirai dans l'illusion d'un plein idéal sans déranger les morts.

J'ai tant déprécié le tout, qu'il m'est devenu douloureux de remédier à ses promiscuités.

L'homme incompatible avec la vie, s'est vengé de la puissance de l'éternité des astres, en niant l'existence de leur ardente coloration.

La mélancolie donne un sens à nos territoires hostiles à l'existence.

Inanité de mon émancipation, j'oublie toujours que je me suis fixé dans les anomalies du verbe, dans ses manques, et qu'il m'est impossible de traduire toutes ses érosions.

Le désespoir, c'est le centre de toute vie.

Toute œuvre invente un nouveau monde qui se régénère en elle.

Toutes les exigences de mon corps se fondent en dehors de la parole; je me tais et je suis, mon salut est dans ce tassement

Il y a tant de terreur en moi que je ne sais plus où projeter ce qui me dépasse, et consent à tonifier mon cœur pour des accords ou des élans.

Dans la discrétion des solitudes, le silence apparaît comme la pointe empoisonnée des orgueils, le pic des vanités.

Notre indéniable fonds de décomposition éthère ce suicidé perpétuel que nous sommes, et qui ne s'altère que dans ses liquoreuses vapeurs.

Crier est de l'ordre de l'hémorragie d'un corps dissocié, où le sang atteste qu'on est toujours trop loin de tout, en adhérant en n'importe quoi de l'existence.

Mes replis atteignent à l'agonie quand mon instinct tire vers le néant ses verticalités, virtualités d'un autre moi.

Du lointain à venir où s'élaborent mes vides, je n'ai aucune image, me restent les niaiseries liées au prestige d'y penser avec des métaphores.

Je me suis arrêté entre la réussite et la tentation qu'offre le jeu de ne pas y parvenir, je me suis transformé en générateur de hâte, je me désole aujourd'hui de ne m'être davantage acoquiné à ces virtuosités.

Tout en moi, prête à l'impureté et à l'impunité qui y est associée, nul ne sachant d'où toutes deux sont issues, me voici en possession d'un secret pesant et innommable.de peurs; je m'y suis englouti, reste l'onde pour en dénoncer toutes les noyades.

Et pour ne plus me pencher sur moi, je me suis inventé des lordoses...

Indigent, de tout et en tout, seules me restent les larmes pierreuses de mon corps.

Abandonnant tout et tous, vers quelle ignominie je cours et qui m'agrémente en rien?

De quel esprit endolori et qui circule en moi, naît ma pensée, aussitôt dissoute quand elle se vautre dans mes profondeurs.

Tant de constructions mentales qui s'étagent dans cette même incompatibilité qui fait tragiques les maladies et impossibles leurs guérisons.A trop prier, je suis devenu un parasite de Dieu.

J'accuse le monde de vouloir que je me dérobe à lui.

Malheureux, voilà mon seul présent, faudra t'-il que je vide mes veines pour en goûter l'authenticité ?

Me reste le dérèglement des sens pour m'user désespérément, jusqu'à ne plus pouvoir me servir de mes armes; discernement et raison, pour de grossières évasions à commettre quand je me suis appuyé sur les excès, tous les excès qui mènent à l'impatience et à l'impertinence et qui ne m'ennuient pas.

Un supérieur ennui, pour la plus noble des maladies.

C'est dans une répugnance ininterrompue que je vis, répugnance des êtres, des histoires, des mots, des humaines chiotteries; seule ma santé me permet de ne pas sombrer dans leurs infernales insalubrités, superficialités de ceux qui sont sans mal.