Aphorismes 184

C’est la douleur et elle seule qui comme une commise d’office ,suit de si près notre existence, qu’on dirait une seconde nature qui aurait conspiré pour notre condamnation.

Quand altéré par cette grise étendue où j’ai posé mon corps, dans l’espace gras, acide du commentaire, et du sombre exercice d’y répondre, j’ai l’indécente idée qu’il vaut mieux ne pas s’y agiter, puis je bois jusqu’à l’ivresse la plus insensée et je pleure.

Je me suis contraint à m’égarer autant dans du désastre que de l’écœurement, pour des pardons aussi douloureux que des excuses à la bouche d’un moribond.

Il me semble que retiré dans cet autre moi, où tout jugement tient du dégoût et de la contrainte, je ne sais plus me demander si ce vertige vaut par ses consolations et ses détentes, ou par l’arrêt subi d’une grâce altérée qui cherche à s’y suspendre.

Douleur indésirable de toutes les dimensions du parler et du dire, et qui me confère des airs de singe exténué que d’anciennes érections ont assimilé à un poseur surmené par des nuits de sollicitude.

Etre pousse à d’intenses ou de petites exagérations prolongées dans la fièvre, éteintes dans le jugement.

Combien j’aspire à un idéal repos, où mourir serait se pousser dans un corps terrifiant et grandi d’un homme qui n’a d’égard que pour Dieu et son propre jugement.

Dans l’ennui comme dans les activismes, combien je m’éloigne de toutes les agitations hostiles où la proximité des hommes ne vaut que par leurs bras qui s’élèvent pour d’hypothétiques prières.

Je garde pour les heures tardives toute cette part de réel où j’ai serré contre moi une femme que l’apparence a mis de plain pied dans le douloureux métier d’être et de s’oublier.

Mes mouvements sont des oscillations dont je ne me serais jamais soucié si j’avais consenti à être sans les devoirs liés à cette tragédie d’exister.

Nulle part ailleurs que dans mes économies sentimentales je ne rencontre l’ignoble vérité que l’humanité entière regarde comme une échappatoire à quelque sainteté.

Mon temps a l’épaisseur des enrouements et l’excessive raideur d’une berne au vent d’automne.

Tous les instants de ma vie sont les faces de l’histoire d’un Dieu et d’un suaire que je ne veux pas embrasser.

Dans cet univers intronisé par la création, nous boursicotons avec un dieu sans adversaire, pour qu’il dévoie des anges qui s’adresseront à nos démoniaques saletés.

Dans le doute, avec la complicité des formes que prend mon désespoir, je cherche des munitions pour me griller la cervelle, ou quelque lieu improbable pour y faire germer mes balourdises.

Mon statut est celui d’un pharmacopiste qui éprouve ses équilibres en plaçant des somnifères à sa droite, et des narcotiques devant lui pour l’abjecte sensation d’un sentiment.

Vivre ,c’est subir, c’est se subir.

Me répugnent tous ces livres conçus comme des permanences, que des lecteurs infatués, insanes corrupteurs de mots, acharnés d’un verbe inconfidentiel ausculteront pour des déconsidérations et des artifices.

Etre lucide ,c’est à un moment ou à un autre s’effondrer et prier.

Tout ce que nous accomplissons dans cette carrière d’exister, n’est qu’une contrefaçon des toutes premières créations.

Ma fatigue figure un débarquement sur un quai de gare, où se sont dépêchées des filles muettes d’une solitude avérée comme une recommandation.

Dans ce sommeil où j’adresse quelque supplique à une sœur amicale, me vient l’idée d’un bousillage, bousillage de toutes les idées.

Je suis un nonchalant de la foi, un perplexe efusif, qui se rend furieux de n’avoir pas su se considérer autrement qu’en adulte gâté.

Dans cette indisposition de sens et de sensations, j’en appelle au suicide comme à la plus extrême des suretés.

Le sérieux nous convie à ses nuits blanches.

L’amour est la dispense d’un corps dévolu aux tâches d’admiration, et qui dans les soubresauts de l’immodestie ne répugne pas à se prolonger pour une affection ou une infection.

Mes crises d’existence sont tempérées par cette écriture qui me garantit d’une souffrance à mon goût, d’une épreuve de pétrification.

Dans la mouvance de toutes mes participations à l’existence s’est glissé un ludion primitif qui se confesse par la musique et râle de cette méprise.

L’urgence que je mets à vivre demande que je me traite comme un être doctrinal, qui a perdu sa souplesse, sans toutes les transformations que son esprit voulait méthodiques et à leur apogée.

Je retiens que je n’ai eu que des petites dispositions, et qu’à la vue de celles-ci, j’ai opté pour un jardin clos où je tempère des démons tant ils voudraient être d’une humaine condition.

Convaincu que clandestin et touriste attitré d’une existence devenue sensible par tous les soupçons que j’y porte, j’ai décidé que mon pathos ne servirait plus qu’à préciser la nature des objets qui m’auront servi à y composer des façons d’acquiesceur.

S’introduire dans l’existence bien trop tôt, en ressortir bien trop tard.

Je me suis attaché au sommeil, intemporalité du faire, comme en toute magie du renoncement, pour n’avoir pas en ma totalité à supprimer cette présence jaillie d’un vain transport, et qui intimement raisonne sur l’insuffisance de l’amour, et celle de la tâche.

La moralité est un état de veille imperceptible où pèse toute la tangibilité de ce qui nous enchantera ou nous désolera.

Combien j’ai protesté contre les bonheurs de la proportion, et combien j’y ai succombé jusqu’au vertige.

Dans cette époque où les élans vitaux vont vers les promontoires, je suis resté sur un site institué pour y réfléchir aux extrêmes tentations des croyances, celles qui nous feraient pleurer tant elles sont obsédantes.

Vivre est un crime recommandé.

L’amour est l’instrument d’une misère vivace qui se meut horizontalement de la tentation à la litote.

La douleur mobilise de vulgaires enchantements, que notre condition de mortel rend méthodiques et vains, quand vautrés sur un canapé nous les argumentons avec la précision d’un lapidaire, son stylet à la main.

Je me voudrais atonal jusque dans le geste, cette quête où je n’ai pu saisir que l’objet de cette compromission, que la parole aurait voulue sage, et que je vois comme insane.

Etre est un défi de boiteux qui suggère la marche et se meut à cloche pieds.

L’existence est un docte assujettissement auquel nous nous sommes voués pour nous préserver des provocations de l’infini.

Est vertueux tout ce qui se dérobe aux vouloirs, aux systématismes de l’instant, quand la colère avec sa légèreté et sa mouvance s’insinue dans ce qui se doit au partage et à la retraite.

Dans le sérieux de l’exercice d’être ,me paraît crucial tout ce qui figure un infini de tristesse, et s’établit dans la transe d’une musique suggérée par l’insaisissable besoin de réel.

L’idée d’une agonie m’enchante, comme si dans le murmure de ce malentendu, je prenais le parti d’un corps démesuré qui n’a de place que dans l’éthique abrégé des questions qu’on garde pour soi ,pour ne les répandre que dans la bière.

Dans mes insomnies, passages obligés de tant de mes nuits, j’altère tous les sens de l’existence, c’est là que mes défaillances prennent les formes d’un amour fortuit, vulgaire par ses systématismes.

Etre exige des vérités et des vérifications qui nous arrangent ou nous dérangent.

Dans l’insidieux mélange de plaisir et de dégoût que la parole traduit par des crachats, ou des foutreries ogivales, parfois se glisse l’exacte mesure d’un sentiment qui nous rachète de toutes les pestes d’avoir dit.

Dans mes intimités je me nourris des images d’une femme adultère, qui dans ses intériorités intègre un corps idéal pour toucher à l’impassibilité.

Plus je veux toucher à l’expérience, plus je me compromets  avec de la déconvenue.

Je me figure toujours l’existence comme l’évidence d’une nature intraitable, qui s’est pourvue du vivre pour y exagérer ses propres façons de pitié.

L’amour est une tromperie des sens qui se répète jusque dans le souvenir qu’on en garde, quand on a été assujetti à ses assèchements et à ses glaviots.

Mes agitations commencent par un regret et finissent dans la vulgaire moribonderie d’un assisté que le pathétisme pousse dans le mécanisme du vivre, encombré par toutes les innocences, par toutes les formes obsolètes de ses propres vulgarités.

Que fais je sur cette terre ,si ce n’est d’y entendre des hymnes, funeste consolation d’un pour qui la musique ne fut qu’un réel étouffement ?

Le monde n’a de valeurs qu’ajustées et ajoutées, et nous les mesurons dans l’insane volupté de l’amour et de la nostalgie.

L’art est un instant exténuant où nous puisons du cliché et de la nostalgie pour de l’effet et de l’apparat insupportables.

Mourir introduit en une femme comme en une tombe anticipée…

Dans la mélancolie tout est insupportable, et ce qui ne l’est pas le devient.

Je souffre d’une absence de souvenirs comme un damné de son châtiment, et dans mes marges, mon cerveau élève des musiques effroyables par leur cérémonial.

Il y a tant de solitude dans mon sang et jusqu’à mes os,que je ne sais plus où la placer sans qu’elle me donne le sentiment de l’ensevelir.

Tout se réduit à l’homme et le traverse.

Dans cette thérapie de la rédemption qui ne me fait entendre l’homme que comme un tumulte, je tente de me perdre en appels, de me pétrifier dans mes honteux soupçons.

J’aime que les voyages me rendent tristes, et que le ciel évoque un Staël suicidé, indifférent à mes secrets et à mes peurs.

Les points de suspension sont des yeux morts qui fixent les parallèles de nos désenchantements.

Plus remonte le ciel, plus l’existence me pèse comme un objet retiré d’une noyade ou d’une confession.

Maladie, accoutumance des désastres virtuels.

La musique restera un de mes ressentiments, combien j’aurais aimé que brûlent toutes les partitions, pour qu’un feu éternel s’accorde à mon malheur de n’avoir su la comprendre, à la retenir.

L’aise nous limite dans le champ des prodigalités.

Mineurs sont tous mes mensonges, mais j’en possède tant, que je peux vivre sans m’acharner à des vérités muettes et aux assagissements qu’elle commande.

L’éternité me donne suffisamment de motifs pour ne pas entrer dans ses actualités.

Terroriste de la connaissance, mes désenchantements touchent à sa charge, à la grâce épuisante de toutes ses sonorités.

Vivre est une audace, un abord dans l’ardeur, de celle qui gonfle nos veines et qu’on met au compte de l’amour ou de la fatigue bariolée des faussetés de notre ego.

Dans les après midis de ma pensée, les quarts sont parcourus par des anges aux aguets dans ma barbarie de les décomposer.

Je me réduis de toutes mes sensations dans cette quarantaine sans croyance, où tous mes abîmes sont regardés par les yeux insanes des frontaliers du pleur.

Trois ou quatre degrés au-dessus de ma désolation, une désolation plus vulgaire, tendue comme des haubans, comme des traînées de peur.

Je resterai un bénévole nuancé que l’expérience de la misanthropie a fait échouer dans du culte.

La souffrance obéit à la vie, et dussions nous nous conduire sans en être affectés, elle sera toujours une forme de vitalité qui cherche à s’accorder à notre état de perpétuel moribond.

De pratiquement partout, je suis pétrifié par du remords.

Dépositaire d’une ténèbre, le peu de chose que je sais de l’existence me vient du sang et du berceau.

Pourquoi sous les ciels gris, les existences semblent des natures affectées par la neurasthénie, ou la pâle lumière d’un cœur qui se languit?

Je suis encore vivant ,et c’est cet encore si excessif soit-il ,qui contient toutes mes lucidités.

Il est de l’odeur violette du gisant comme d’une évanescence abjecte, et qui s’épuise dans les formes muettes de la mélancolie.

Je me vois parfois comme un Adam voûté et qui s’engourdirait dans ses premières virginités.

Mes circonstances auront été que dans tous mes désastres, je n’ai jamais voulu avoir accès à des crimes orchestrés comme des soupirs longs et violents.

Seule la souffrance peut nous faire comprendre qu’en toute chose, une ineffable pureté cherche à concilier notre être avec ses dénégations.

J’ai souvenir que dans mes confusions sentimentales, le corps d’une femme me rendait incurable de mes appréhensions.

Je ne cesse d’avoir peur de ne pouvoir recouvrer tous mes esprits que dans un cimetière.

Aux accents violents d’une gorge qui se noue, j’ai préféré le silence avec ses frémissements, ses tremblements, pour m’absorber de mes profondeurs.

Je me dois de rester dans cette grâce hygiénique commandée par le diktat de l’amour, pour qu’aucun dégoût ne me donne l’avantage d’un individu qui laisse des traces.

Toute lucidité est déterminée par la logique du vu et du su, chacun correspondant à la fièvre introduite dans la séduction.

Le temps me semble parfois être une palpitation de sens filtrés par la fadaise du sentiment.

Quand le corps est conscient qu’il procède tout entier d’une insuffisance temporelle, il ne nous reste plus que nous appliquer à mourir.