Aphorismes 167

Contre l’espoir, le discernement, mieux vaut une belle déception qui pousse à s’interrompre.

Une existence, d’accord, mais sans y figurer !

C’est la prostration qui m’a rendu élogieux, ma présence au milieu des hommes m’a transfiguré en gueux qui ne mérite aucune métaphore.

Je ne connais rien en dehors des simagrées du langage qui vaille la peine qu’on l’exerçât sans s’y cramponner ,que les afflictions qui mènent au poème.

Je souscris au laconisme, à tous les laconismes, deviendrais je imperceptible que je ne me manifesterais plus dans l’existence que pour y figurer en singe exténué et sans désir .

J’ai la charité en habitude, c’est un de mes torts, le luxe de me passer des autres me sera-t-il offert, afin que ma sagesse ne s’abâtardisse pas au milieu des inconfortés du verbe, au milieu des hommes désespérés de ne pas en avoir ?

Toute forme d’aveuglement équivaut à cette lâcheté d’avant que nous avons structuré en pauvreté d’intellect.

Toute douleur nous rapproche des faits que nous avons jugés superflus, voire sans consistance, et qui exigeaient de nous cette attention d’avant le dégoût.

Dégrader, tout dégrader, mais par le haut.

Si l’on songe à la somme des lâchetés qui ont conduit l’homme aux suprêmes dégueulasseries, on peut aisément voir qu’il a gardé le visage de celui qui s’en est rendu compte, et qui en rit.

Celui qui dort s’emploie à s’inanimer pendant quelques heures, celui qui somnole pousse ce même sommeil à de petites cécités, incarnations d’un homme sans spontanéité, qui aurait aimé être porté vers le songe pour de réelles sensations de vie.

Rien ne dure de ce que nous voulons voués à la durée, dure ce qui nous conduit à la stérilité, et que le ressort du dire n’a pu nommer que par des idioties ou des absurdités.

Le folklore du bavardage nous fait perdre le bon usage de la prière, qui ne témoigne plus de nos perfections ,pas plus que de nos intérêts pour cette même prière.

Ce n’est pas tant le faire qui nous rend vaniteux, avec l’humeur d’un qui ne s’ennuie pas, ce sont les déboires liés à ce même faire, lorsqu’il n’ pas été exécuté avec le sérieux fixé à la réussite ou à l’échec.

Je n’ai pas cherché à paraître, je dors dans l’impression d’un qui a redouté d’être de peur qu’on ne lui interdise l’action.

Est sérieux tout ce qui est douleur, le sérieux passe par l’inapparence, c’est l’épreuve du sang et de la sueur qui se traduit par le mot, héritier d’une sensation qui s’est contorsionnée pour donner une idée juste du savoir et de l’être.

Le moment choisi, voulu, c’est le moment qui fait le moins mal.

A vingt ans, je choisissais de me consacrer au doute et à ses charges, je préfère aujourd’hui me proclamer d’une fatigue tout aussi inquiétante.

J’avance pour vérifier le pas.

Mes passions sont sans apothéoses.

Je rêve d’un amour obligé.

M’investir me paraît de l’ordre de l’égoïsme, je préfère m’effacer de tout et en tout, pour me garder du mode supérieur du faire qui pousse à la vie qualifiée comme telle.

Les évidences m’ont mené à la rébellion, j’ai cherché à n’en pas être la victime, je réside tout entier dans cette amputation.

J’ai appris à ne rien garder ni gagner, je dors dans la pire des inclusions.

Le propre de l’indécence c’est d’étaler sa vigueur, une indécence plate, en demie mesure s’appelle « Rôle ».

L’utopie infecte et délicieuse d’un régime sans professeurs.

 Séduit par les tentations, toutes les tentations, pour un non, un seul, je me suis épuisé dans le rêve d’en retenir .

Cet incroyable incident qui nous fait, et que nous cessons de distinguer, sitôt qu’entrés dans la parole, nous restons inentendus.

La toute puissance de cette ambition d’être et de le savoir, sitôt que j’y réfléchis, fait place au pourquoi, au pourquoi si suspect à tous les pourquoi.

Il ne suffit pas de développer une idée, je cherche à ce qu’elle ne souffre pas de mes hésitations, de mes foutus discernements.

Lire, se donner à la conscience de l’auteur, et finir sur le canapé comme un cadavre sans importance.

Tout bien considéré, je ne considère pas grand-chose qui vaille la peine de me donner plus de désagrément que d’être tout court.

Ne plus réfléchir jusqu’à comprendre pourquoi on ne veut plus réfléchir.

Vivre c’est discerner, discerner c’est déjà mourir.

Si l’on pouvait crever sans devenir fou, généreux, ingénieux, quel progrès ;soudain limiter ses forces à être, rien qu’à être.

Tout schlingue l’autrui.

La mort c’est notre côté le plus sain, le reste n’est qu’un biais organisé en existence, en vie comique.

Tout ce que j’ai cru faire de beau ne m’a mené à aucun bout, je cherche à converger vers ce point, où toute honte, où tout délit procurent quelque véritable effet de vie, effet de dégoût.

Après le remords se réorganiser pour quelque horrible cliché sur ce même remords.

Montrer, démontrer confèrent cet air d’imbécile qui pense, et qui s’abstient d’agir.

Je suis un énergique que le verbe horripile, et qui se détend par ce même verbe.

Rien qui ne mérite le meilleur de moi-même, je ne peux que susciter de la morve, ou cette gangrène de la parole qui passe par quelque insomnie, ou quelque corruption.

Dans cette transition, j’aurais indéfiniment penché pour l’affront, tous les affronts, y compris celui de ne rien estimer sans que j’y réfléchisse une nuit durant.

Peut-on jouir de cet impossible là, que tous les mots contrarient jusqu’à la prière ou l’agonie ?

Le réel s’évanouit à mes yeux, sitôt que je me compromets avec quelque acte fait pour m’éclairer.

C’est le dire qui a été le plus bas de mes grés, le plus vivace aussi, parler ne m’a tourné que vers moi, vers rien d’autre ;je veux dormir dans un silence capital, que l’immédiat désir de somnolence ne poussera pas dans les exagérations du verbe.

Pour une seule idée, mais une idée juste.

Tout acte, tout faire sentent la nauséeuse aventure de vivre.

Malade de désespérer de moins en moins.

Dormir est de l’ordre d’une condamnation, veiller tient de la même supercherie ;c’est exister qui nous abuse tout entier, jusqu’à l’ultime retranchement.

Etre futile en profondeur.

A chacun sa fièvre, la mienne réside toute entière dans l’idée que je me fais de mon propre cirque.

Commettre, toujours commettre, dans sa manière de stagner ou d’avancer, mais commettre pour des sensations d’être.

L’œuvre qui en appelle à des commentaires participe de la noblesse et de la maladie, toutes deux semblables à bien des égards.

Timonier de mon ennui, combien j’ai transformé dans mes cimetières marins, de crimes en suicides, et de suicides en échappées célestes.

J’ai beau croire que les apparences sont une pente abrupte, ma réflexion me mène toujours vers ce point initial, qui est une descente plane ou un à pic sans profondeur.

J’ai perdu en lucidité ce que j’ai gagné en nostalgie, et tout ce qui me reste de mes anciens soubassements n’est qu’un décor qui s’impose par ses archéologies ostentatoires.

Je ne peux me soumettre à rien, cette expression traduit mes connivences avec cet autre rien auquel j’ai abouti malgré moi.

Derrière tout ce qui est visible, de la passion et des larmes, de la terre et de l’eau, de la sueur et de la morve ;bref, le spectacle insane de nos vitalités et de nos vanités.

Où que j’aille, et en quelque lieu où je me trouve, la fonction d’y être mal, cette forme d’infatuation est matière à ne pas en témoigner davantage.

En perdition dans cette existence où ma condition d’homme n’avait de délicieux que ses emblées, je me considère aujourd’hui comme un asservi qui se console de ses anciennes vertus en étant indulgent.

Je considère parfois l’existence comme une réponse que l’univers a conçu pour donner un pouls à ses immédiatetés.

L’homme est une borne de l’évolution, nul doute que dans les millénaires suivants nous saurons n’avoir été qu’une étape de la conception à venir.

Au plus sale de toutes nos œuvres, la tension infecte ,qui nous a donné une raison de commettre.

Nous ne devrions être poignardés que par l’ennui.

Chaque jour me tire de la raison ,pour me plonger en naufragé volontaire dans les tourbillons du désabusement.

Ai-je tant ,et trop fréquenté l’impunité d’être, au point de divaguer dans la mégalomanie des buveurs et des bavards?

Est utile tout ce qui nous pousse à l’écœurement.

Dans cette pause accidentelle qu’est l’ennui, parfois mon état s’aggrave, me voilà tragédien ou pamphlétaire.

Être, c’est être victime.

Je me pèse, je me pèse nerveusement par mes refus et mes acquiescements, s’il me venait à renoncer aux deux, je ferais dans un romantisme d’apparat, dans l’improvisation ou le jeûne.

Une telle en aval, moi en amont, point de rencontre possible, c’est ainsi qu’on se fabrique une solitude.

Psychose de singe atteint de cécité..