Aphorismes 164

Monter vers moi m’a demandé tant d’effort que je ne sais plus si j’ai gravi un Golgotha ou échoué sur un Ararat.

J’ai projeté dans mes déficiences toute cette vitalité avec laquelle j’avais composé pour parvenir.

Qu’attendre de ce moi subversif qui ne soit pas perméable aux réductions de l’esprit, ces élégies qui tombent comme des couperets.

J’aurais eu sans cesse la prétention de devenir, de devenir quoi, je l’ignore, et c’est cette ignorance qui atteint à ma santé.

Combien j’aurais aimé avoir d’indolores émotions, et y sombrer.

Dans l’ascendance de cette fatigue, où toute ma pauvreté apparaît comme le seul solde à mon inopérance, me voilà suscitant du sentiment, comme la matière la plus purulente à laquelle je ne veux plus céder.

Intoxiqué par toutes les lucidités qui émanent de l’homme, qui déterminent leur ignoble nature, tous mes actes s’achèvent dans la peur de m’y reconnaître.

Dans le snobisme de l’irréparable apparaît toute ma fatuité, et ma vacance n’est que l’illusion d’un chaos orchestré par mes sens et non pas ma raison.

Même mourir n’entre plus dans mes anticipations, j’aimerais tant atteindre à l’indifférence sans passer par la maladie d’être seul et de le montrer.

Mon inaptitude à l’existence a-t-elle été de mon gré ,ou n’ai-je cherché à légitimer cette fonction que pour avoir un surplus d’égard sur moi-même ?

Avoir raté ma vie et mes suicides, rien que pour ça je me suiciderai.

Affligé ou borné par l’amour, du bercement à la dérive le monde m’apparaît comme un univers de réflexes pornographiques, quand la sensation d’être passe par tout ce qu’il y a de plus en dessous que moi.

La tristesse d’être m’a fait organique, et dans mon sang où se désorganise toute vie, mourir n’est qu’une infatuation de plus.

La maladie m’aura accompli, mes gestes comme mes approximations ne sont plus tournés vers la matière, mais vers cet esprit qui la distingue et s’y fixe.

Ayant abusé des solennités que prodigue la mélancolie, je me suis retrouvé au rang des contagieux, parmi les bannis du sens et de la volupté.

Le seul moyen d’échapper au monde et d’y gangrener ses idées.

Il y a tant d’exercices que je n’ai pas voulu accomplir de peur d’y assécher la beauté.

Né vieux parce que ne voulant pas participer au monde, j’ai tourné mon esprit vers les belles ignorances, et j’en suis resté là, contraint qu’à ne figurer.

Mon orgueil a été le seul adjuvant qui ait détourné de moi tous les soporifiques de la parole et de l’entretien ,et ceci jusqu’à d’infinies profondeurs.

Mes agitations vont du tremblement aux tics, la variété de tous mes soubresauts à quelque façon de descente aux enfers, ou d’un Golgotha bas perché.

J’évoque toujours la fatigue qui m’a fait renoncer, aux objets, à l’amour, aux rencontres, à la connaissance, et si certains élans m’ont rendu oublieux de ces soustractions, je les ai commis bien plus vers l’intérieur que vers l’extérieur.

Dans les rêveries sans excellence, quand le corps n’est plus d’utilité, nous pouvons comprendre ce que la vie attend comme égarements..

Ma conscience est de l’ordre d’une gêne et d’une ébriété, je veux bien admettre quelques nuances à ce pathos, mais rien de plus.

Dans ce monde où les divinités sont un surplus qui nous rachète de nos états larvaires, y a-t-il assez de prières pour qu’elles nous étreignent ou nous astreignent à les penser ?

L’ennui restera la forme goûteuse des excès, où j’ai regardé mon ignorance comme le seul rapport que j’avais avec le monde.

Sur le sein d’une femme ,la place d’un front constitue le plus doux seuil des enivrements, ou le lieu idéal d’un suicide différé.

Qu’ai-je retenu de ma mesure qui fut en harmonie avec les commentaires que je tins, si ce n’est celui d’avoir ressuscité de la paresse ?

Faut-il que la foi aille toujours vers les hommes ou vers Dieu ?

Me reste encore la vanité, la vanité et ses proximités, comme une suprématie, comme ce que je suis encore capable d’étendre à toutes les architectures de l’esprit, là où il fut question de l’homme.

La plupart de mes préoccupations ont été organiques, et si j’ai centré mes émotions, ce ne fut que pour des vertiges aussi funèbres que lorsqu’on rentre en soi pour y crever proprement.

J’ai parfois considéré l’ennui comme une défaillance de mon corps, ce désenchantement m’a préparé à attendre, mais à attendre quoi ou qui ?

L’envie de ne plus combler les vides de mon existence a pris les formes d’une salacité, prétention absurde à ne plus vouloir vomir que du verbe.

Dans cet automne où mon indigence infléchit jusqu’à ma terreur d’être, je regarde l’existence comme un petit pas vers du néant, comme une vaine occasion, et j’en ris.

N’ayant ni faim ni soif, dans une anémie fantasque, je me débine de toutes les tentations en œuvrant dans les inepties de la méditation à domicile, et toutes les formes que prend mon corps sont des encouragements à poursuivre ce tourmentage.

Qu’en est-il de l’intelligence quand elle n’est que prétention ou prétendue ?

Mon sérieux est un sérieux d’insomniaque préposé aux somnifères.

Mon désir de gâchis témoigne que tout m’est arrivé gâché.

J’ai la pratique de l’existence douteuse, comme si j’étais né perverti et soucieux.

M’étant jadis appliqué à la réplique, je mets aujourd’hui de l’acharnement à m’en défaire.

Certains de mes mots me reviennent comme d’un pèlerinage, et s’exténuent aussitôt dans le lieu commun.

Plus je me tourne vers hier, plus j’ai conscience que j’ai renoncé à quelques essentiels qui vont de rien au rien.

Vivre est un héritage que tôt ou tard nous dilapidons, sans avoir composé avec ses exigences.

Être tient de la recommandation et du fanatisme.

Tant de racailles que nous devons subir, pour des hideurs dont nous nous rendons compte des années plus tard, et auxquelles nous renonçons pour de la sieste.

Tout m’exaspère, de l’ouverture à la conclusion, de la pause à l’hallali, du soupir à la note, que je ne sais plus si continuer est une extravagance ou un défi.

Arriver tard, bien trop tard, et ne pas savoir, si ralentir ou accélérer compromettent et éprouvent le pas.

Du matin au soir de l’endurance pour n’être pas perdu, pour être cet objet sans carrière et qui va à son terme.

Rien qui ne vaille la peine d’être concilié avec ses organes si ce n’est le vitriol.

Toutes les naissances se sont faites dans la tourbe, foutoir nauséeux, ou dans une morgue anticipée.

Dans cette solitude ou je suis à mon avantage, j’ai le sentiment de veiller sur des antiquités sur lesquelles la science n’a pas de prise.

Mes fatigues m’ont commandé autant de distances que de trahisons.

Être, c’est choisir d’être.

Mes mensonges dateront, c’est la seule forme de continuité que j’envisage.

Qu’y a-t-il d’obscène et de dramatique devant nous, si ce n’est l’existence ?

Que nul ne me défende, si j’ai tant tenu à décevoir c’était par goût des déboires, parce que j’y ai vu la seule forme de dialogue qui n’atteigne pas à la défiance.

C’est une belle trouvaille que la douleur.

Dans cette aigreur où mes seules cartouches sont dans la minutie du recroquevillement, tel un chien à l’arrêt, apparaît parfois de la patience, et j’ai une nouvelle raison d’espérer.

Le pardon est incompatible avec la douleur, ou s’il est, il est douleur.

En fin de journée j’ai le sentiment d’avoir suivi un corbillard, et cela des heures durant.

Aux mixtures nauséeuses que j’ai portées à ma bouche, j’ai parfois adjoint la vanité d’y penser, comme un damné de la réflexion qui entre en religion pour divaguer avec d’autres substances.

J’ai dans mes ébriétés suscité tant d’enfers auxquels je n’avais pas accès, que je n’ai jamais su s’ils ne furent que des transitions.

Je me lève, me lave, gestes de désemparé qui quoi qu’il fasse le fait dans un improbable demi sommeil où il s’est heurté aux mots.

Il arrive parfois que mes désirs visent à une perfection ,celle qui fait les ponctuels et les déçus.

L’action a eu mes intérêts, je l’ai toujours commise dans la grâce suspecte de ceux qui regardent la faillite comme une récurrence, et n’en n’ont point été sonnés.

La vie a des exigences qui se répètent comme des invitations, et dont nous n’avons cure par crainte de décevoir.

La souffrance est une invention qui se répète à l’envi, comme un secret sonore dans un univers de langues mortes.

Mes liens avec les hommes sont exagérés dans l’imitation.