Aphorismes 162

Je redoute que ne considérant plus la vie comme une tragédie, j’ai à monter sur les planches pour une sotie ou un vaudeville.

Tous les matins de mon monde, sont des matins passés au tamis de la concorde.

Mon audace est une audace tranquille, qu’on me laisse à ma pauvreté de me déplacer d’un suicide à l’autre, sans rien retenir de ses enseignements.

Cynique abusé par son cynisme, je doute que ma conscience veuille suivre cette inflation sans même m’envoyer au tapis.

En moi un abusé et un désabusé se tyrannisent à mes dépens.

Tant demain me semble fragmenté que j’y ferai figure de patenté de l’ébriété.

Tout ce qui s’accomplit dans la grâce est commis sans hésitation, dans l’imposture suprême d’un dieu qui a vitalisé tous les possibles.

Ma langue tient de l’onomatopée et de la décharge.

N’exulter ni dans la maladie, ni dans la guérison.

Issu d’un mal inné qu’on a appelé vie.

Tout est néant, et l’homme néant idéal.

Faut-il que vieillissants, nous avancions des idées justes qui ne tiennent ni de l’aberration ni de la supercherie, ou faut-il cesser de se soutenir, de tout soutenir, pour comprendre que l’existence est un pari risqué et rien d’autre ?

L’espoir est un sujet infecté.

L’illusion du bien faire pousse parfois au bien vivre.

Rien de ce que je désire ne peut être atteint, me reste le courage de le comprendre et de m’en persuader.

Tout ce qui est interne est intense , et est prolongé par un sourire ou un rictus, seul ce qui est visible et poignant sert d’antidote à nos demi mesures.

Plus je crois m’éclairer par moi-même et en moi-même, plus cette singularité tourne à la douleur  d’être d’une généralité funeste et malveillante.

Comme tous mes projets restent de l’ordre de l’inabouti, je me dis que le faire que j’anticipe, n’est qu’un bavardage, qui doit autant à la supercherie qu’au blâme que je m’adresse.

Courir après l’existence, quelle imbécillité, l’existence ne supporte pas l’idée d’une curée ou d’un rattrapage.

Si je n’étais tant secondaire, je passerais des journées entières à me demander pourquoi je ne le suis pas.

La vie va d’une extrémité à l’autre en empruntant tour à tour le visage de l’imposture et de la sincérité.

Je vais du peu vivre au trop vivre, en passant par les divagations que tous deux étalent comme une nomenclature.

Est raisonnable tout ce qui compte un peu,le reste est du domaine de l’hyperbole ou de l’autopsie.

L’ivresse des profondeurs, ivresse des heures profondes.

Tout a commencé avant que nous soyons là, tout finira après que nous ayons passés.

Le temps est imaginatif, il nous pousse à toutes les curiosités, les siennes entre autres, mais ces curiosités ne survivent pas, et nous voilà obscurs et rangés.

Toute lucidité est corrosive, est une forme d’abâtardissement, combien j’aurais été un chien honteux d’être surmené et en laisse, un chien effondré d’avoir compris.

Ma vie aura été une méthode contre toutes les méthodes.

Ne rien faire, n’être ni un jouet ni un manipulateur, n’être qu’une respiration, mais une respiration étouffée.

Être dans une rage constante et finir dans le dialogue, pauvre pauvreté !

….après il faut en découdre avec soi-même, c'est-à-dire se rafistoler.

Tel sur sa fin est furieux de n’avoir pas pu, tel autre se distingue en n’ayant pas voulu.

Entre le café et la bière, entre le TNT et les somnifères !

Tant de concessions, dois-je en conclure que jamais je ne pourrai être dévastateur ?

Toutes les conventions m’emmerdent, j’y vois l’exploitation des esprits désagrégés et toutes les réserves impropres à mes satisfactions.

Tant de mes sensations sont dans l’abandon de la parole, de maints propos ,et plus je reste silencieux plus me viennent du pugilat et de la sentence.

Combien de possibles ont été écrits avec l’indécence de la lucidité !

A l’hôpital, tant de grâces qui ont été suspectes et qui sont à présent sur l’étal de la correction !

Tout ce qui tient du miracle, se venge un jour pour n’avoir pas été appréhendé par un regard commun.

Hors de toutes les aises dans cette vie, comment serai-je dans la mort avec ses garnisons ?

La parole est un dissolvant lié à nos péripéties gestuelles, et qui nous convie aux noces du singe et du mouton.

Est, ce qui n’est qu’une seule fois.

Chaque fois que je considère mon sommeil comme une expérience de la mort, un point de vue direct sur ce phénomène, j’ai l’impression de me diriger avec frénésie dans une des formes du désarroi.

Être, c’est jouer au phénomène.

Si je ne m’étais étendu tant et tant, comment pourrais je répugner à la parole, comment pourrais je chercher à cette langue, si je ne l’avais déjà quittée..

Tout ce qui est profond nous donne le sentiment d’avoir atteint un but, d’avoir trouvé, mais d’avoir touché à quel but, et d’avoir trouvé quoi !.

L’intensité de mes silences est mesurée par l’arrogance de mes propos, si je parlais davantage, je ne pourrais qu’encore fanfaronner, toucher à l’exécrable

Tout ce qui dure n’est que trop étendu, combien j’aime le laps qui est le meilleur du temps compté, autant du regret que du soupir.

Il suffit de souffrir pour se justifier, pour tout justifier.

Mes articulations craquent autant que mes sentiments, je ne peux ni aboutir à une idée, pas plus qu’à un amour sans me détériorer, sans m’apitoyer sur cette part de moi qui n’en finit pas de s’exténuer.

Je suis et resterai un transfuge du bonheur, à quoi bon quitter le meilleur de mes désastres pour m’alourdir d’une autre souffrance qui ne serait pas à mon goût.

Autant prosterné que consterné, autant évoquant Dieu que le dissolvant, autant jeûnant que dans la boulimie, c’est dire que je déteste les demi mesures qui vont si bien aux illusifs de métier, aux suiveurs et aux dépendants.

Après les excuses ,le dégoût ;on croit toujours toucher à l’euphémisme par la parole qui s’en délie, pris au piège d’une rancune que n’affecte que le venin de l’anémie.

Que celui qui a une mission mesure jusqu’où il doit parvenir pour s’acquitter d’une vie vouée à sa disparition.

Toute expérience est unique, c’est l’excuse que nous pouvons invoquer pour laisser à notre conscience le droit de jubiler d’un phénomène.

La musique nous fait entrevoir jusqu’où la vacuité des mots peut nous conduire, c'est-à-dire à la prière ou à l’injure, variétés d’un aparté que seul nous approuvons.

Tout ce que nous ressentons, et par là même que nous vivons ,n’a d’échos injustifiés que lorsque nous sommes assurés.

Quand mon sérieux m’essouffle ,je me ramène à moi par des grondements et des pitreries, triomphes d’un imbécile qui a trop parlé.

Toutes les vies privées sont des détroits où coulent des intentions.

En vérité je n’aurais été qu’un fanfaron tourné vers ses inepties, ses erreurs et ses maux, un spectateur sans aise, qui n’applaudit pas, et qui s’ennuie, qui s’ennuie…

Toutes les questions sur l’ailleurs, à quoi bon en parler, puisqu’elles ne touchent qu’à la bière et aux enterrements.

Plus je me désole et plus j’écris, je n’ai de cesse de penser que cet avenir ne sera que le juste milieu entre une attaque et une défense…

Je m’accommode mal de tout ce qui s’avère faux, autant de ce qui est tangible, bref mon existence est vouée à d’autres désirs que je ne sais nommer, peut-être parce qu’ils sont inconvenables.

Réunions ,comités, podiums, estrades, combien dans les sphères où la parole n’est qu’agrément,  j’ai pu rester silencieux pour préserver mes identités, sans m’insinuer dans une quelconque intention de dire..

Impropre à mon goût de moi-même..

Une autre vie pour d’autres idées d’idéal, et toujours des mots pour des désirs en aberration de sens.

Tant l’examen de moi-même me pousse à l’incuriosité de l’homme, tant je considère cette évidence comme ma propre suffisance..

Ce qui nous paraît essentiel , est ce que nous pouvons atteindre, et qui atteste de nos capacités à vivre.

Combien j’aime les esprits qui ont eu le souhait, le désir de disparaître, et se sont tant ignorés qu’ils moururent sans s’être trouvés.

Toute lucidité passée au peigne fin, commence par un acharnement et finit dans la confidence..

Combien j’aimerais renoncer à la parole ,toutes les paroles, et ne plus me servir que du signe pour entrer dans du secret.

Est insondable ce qui ne se prête pas au spectacle du voir..

Tant de vies qui n’auraient d’intérêt sans leur carrière, tant de carrières qui ont commencé avec un désaveu de la vie.

Mes échecs m’ont ordonné, c'est-à-dire qu’ils m’ont appris à m’effacer en entrant dans l’incuriosité et par là même la sottise..

Vivre, c’est faire preuve.