Aphorismes 157

Méfiez vous des discrets, ils sacrifient à leurs paroles leur soif de se taire pour nous égarer dans leur perplexité.

Employez-vous à rester ce sceptique que la vie corrompt pour ne pas le mener au vandalisme de la parole.

La certitude n’est pas de l’ordre de la perfection, la perfection et dans la quête, toutes les quêtes qui prêtent  à l’insoluble.

C’est mon incompétence qui m’a fait déceptif ; sans anomalies je me serais égaré dans la peau de ce personnage que rien n’exaspère, si ce n’est Dieu.

Les apparences s’arrangent avec du possible pour nous mettre sur la piste du glossateur.

Se débarrasser du réel, et plonger dans le doute et ses engourdissements.

Qu’ai-je acquis qui me donne envie d’acquérir, rien, et ce rien m’engage dans la négation ?

S’affréter pour de l’ennui et ne lâcher du lest que ne pour être abattu, abattu mais en fonction.

Faut-il avoir raison de la raison, pour par la suite crouler sous les emprises des folies nécessaires ?

C’est par amour pour le naturel que j’ai si longtemps utilisé les douleurs et les couleurs comme telles.

Les gens sérieux se distinguent des autres par leur disposition à voir de la médiocrité en tous lieux.

Je vais vers le mieux quand le moins bon à exagéré son emprise sur le réel.

Une civilisation de roulures jamais n’en finira de perpétuer sa race.

On voudrait croire que l’esprit est sociable, l’esprit est aussi effrayant que la santé ou le poison.

Toute poésie consiste à vouloir rester vierge, et à n’être déflorée que par ceux qui sont se lassés de la contempler comme telle.

Tout ce qui est considérable est pervers.

S'ennuyer d'arranger le monde,voilà qui me semble une juste compréhension de celui-ci.

Toute métamorphose est l’œuvre d’un démiurge généreux qui s’enorgueillit de ses facéties en allant dormir dans l’homme.

Chacun n’existe pas.

Les nuits que l’on aliène se souviennent de nous en nous donnant plus tard des lits dans les hospices.

Les victimes sont terrifiantes.

J’exagère tout ce qui se cache, comme si l’art de tromper passait par un entretien avec ses démons intérieurs.

Arrive que l’amour soit propre, ainsi la sale besogne est encore pour soi.

Le bonheur a été inventé pour nous gâter ces jours où notre conscience cherche un malheur à sa mesure.

La sagesse si profonde soit elle, ne peut léser que ceux qui penchent pour les heureuses superficies.

Je n’ai qu’un mot à vous dire : crevez.

Je ne suis pas généreux, j’ai la générosité du côté de la crapule.

L’intérêt que j’ai pour l’inutile me vient de ce que je regarde le monde comme tel.

L’imagination est ce qui nous dérobe au monde, la réalité est assez perfectionnée pour que j’y trouve ce qui aurait du s’offrir à moi ailleurs que dans celle-ci.

Un type, c’est un personnage sans nom.

L’homme est une bête pratiquante postérieure à toute vie, et qui devrait considérer cette postériorité comme un délit.

Tous les imbéciles ont des occupations, ils n’ont  aucun besoin d’aucun effort pour être !

Je resterai ce permissionnaire qui prie dans un désert et se retire dans une cité en flammes.

Lorsque tout me devient impalpable, et que mon cerveau s’agite autour de cette constatation, je cherche à me déchirer pour une autre lucidité.

Je suis né vieux, avec la nostalgie de cette douloureuse enfance tant elle s’est précipitée dans le monde pour y noyer ses ubacs et ses adrets.

Je me suis répandu en mortes vérités, et n’ai pas songé un seul instant que toutes mes dispersions avaient à voir avec mes propres déserts, avec les plus sales de mes désespoirs.

La maladie couve effectivement des déserts d’affection.

Il arrive que d’abjectes pensées me parviennent toutes auréolées d’un devenir de grandeur, et que dans l’entreprise de les commettre, j’y trouve un prestigieux dégoût, mélange de boue et de sanie.

De l’ennui il y en a toujours là où je suis mis à mal, là où je me suis déchargé de toutes les vieilles vérités du monde.

Combien dans le tumulte où j’ai éparpillé des propos sur Dieu, j’ai cru m’élever, et combien de barrages se sont dressés devant moi, avec leurs cintres lourds, et leurs haubans si hauts.

La vie pousse trop loin et trop vite ses propres exagérations.

L’esprit est sans objet, sans dessein, l’esprit c’est le moment et l’espace où fleurit Dieu.

Que reste t-il de cette enfance bourbeuse comme un terrain vague où ses sont dessinées toutes les terreurs du monde, dans la promiscuité de tant de solitudes, dans la proximité des agitations acharnées, profondes comme l’amertume, initiales comme les erreurs ?

J’aurais la vieillesse en marge des aises, et retirées toutes mes parts d’homme, il me restera une immense tristesse comme en un jour d’autopsie.

Vivre est toujours tardif.

L’amour est une tromperie des sens qui se répète jusque dans le souvenir qu’on en garde, quand on a été assujetti à ses assèchements et à ses glaviots.

Mes agitations commencent par un regret et finissent dans la vulgaire moribonderie d’un assisté que le pathétisme pousse dans le mécanisme du vivre, encombré par toutes les innocences, par toutes les formes obsolètes de ses propres vulgarités.

Que fais je sur cette terre ,si ce n’est d’y entendre des hymnes, funeste consolation d’un pour qui la musique ne fut qu’un réel étouffement ?

Le monde n’a de valeurs qu’ajustées et ajoutées, et nous les mesurons dans l’insane volupté de l’amour et de la nostalgie.

L’art est un instant exténuant où nous puisons du cliché et de la nostalgie pour de l’effet et de l’apparat insupportables.

Mourir introduit en une femme comme en une tombe anticipée…

Dans la mélancolie tout est insupportable, et ce qui ne l’est pas le devient.

Je souffre d’une absence de souvenirs comme un damné de son châtiment, et dans mes marges, mon cerveau élève des musiques effroyables par leur cérémonial.

Il y a tant de solitude dans mon sang et jusqu’à mes os,que je ne sais plus où la placer sans qu’elle me donne le sentiment de l’ensevelir.

Tout se réduit à l’homme et le traverse.

Dans cette thérapie de la rédemption qui ne me fait entendre l’homme que comme un tumulte, je tente de me perdre en appels, de me pétrifier dans mes honteux soupçons.

J’aime que les voyages me rendent tristes, et que le ciel évoque un Staël suicidé, indifférent à mes secrets et à mes peurs.

Les points de suspension sont des yeux morts qui fixent les parallèles de nos désenchantements.

Plus remonte le ciel, plus l’existence me pèse comme un objet retiré d’une noyade ou d’une confession.

Maladie, accoutumance des désastres virtuels.

La musique restera un de mes ressentiments, combien j’aurais aimé que brûlent toutes les partitions, pour qu’un feu éternel s’accorde à mon malheur de n’avoir su la comprendre, à la retenir.

L’aise nous limite dans le champ des prodigalités.

Mineurs sont tous mes mensonges, mais j’en possède tant, que je peux vivre sans m’acharner à des vérités muettes et aux assagissements qu’elle commande.

L’éternité me donne suffisamment de motifs pour ne pas entrer dans ses actualités.

Terroriste de la connaissance, mes désenchantements touchent à sa charge, à la grâce épuisante de toutes ses sonorités.

Vivre est une audace, un abord dans l’ardeur, de celle qui gonfle nos veines et qu’on met au compte de l’amour ou de la fatigue bariolée des faussetés de notre ego.

Dans les après midis de ma pensée, les quarts sont parcourus par des anges aux aguets dans ma barbarie de les décomposer.

Je me réduis de toutes mes sensations dans cette quarantaine sans croyance, où tous mes abîmes sont regardés par les yeux insanes des frontaliers du pleur.

Trois ou quatre degrés au-dessus de ma désolation, une désolation plus vulgaire, tendue comme des haubans, comme des traînées de peur.

Je resterai un bénévole nuancé que l’expérience de la misanthropie a fait échouer dans du culte.

La souffrance obéit à la vie, et dussions nous nous conduire sans en être affectés, elle sera toujours une forme de vitalité qui cherche à s’accorder à notre état de perpétuel moribond.

De pratiquement partout, je suis pétrifié par du remords.

Dépositaire d’une ténèbre, le peu de chose que je sais de l’existence me vient du sang et du berceau.

Pourquoi sous les ciels gris, les existences semblent des natures affectées par la neurasthénie, ou la pâle lumière d’un cœur qui se languit?

Je suis encore vivant ,et c’est cet encore si excessif soit-il ,qui contient toutes mes lucidités.

Il est de l’odeur violette du gisant comme d’une évanescence abjecte, et qui s’épuise dans les formes muettes de la mélancolie.

Je me vois parfois comme un Adam voûté et qui s’engourdirait dans ses premières virginités.