Aphorismes 139

J’attends inféodé que l’abus de mes transparences fassent de moi un homme du troisième rang.


Plus on se mesure à la vie, plus on est agité, et jusqu’à nos verdicts, la perfection insane qui fait salon, se tient dans cette désolante plénitude, parements de nos façons d’être et de nous contenir.


Il y a quelque fièvre à se conduire en homme irrésolu, comme il faut quelque force pour le combattre.


Du dégoût(conscience d’un temps enfiévré par nos tristesses(je retiens sa redoutable pureté et son odeur de paradoxe.


Je cherche l’apaisement dans les alcools et les soporifiques, anticipation d’un cercueil idéal, d’une tombe où fleuriront toutes mes inanités.


Quelque soit mon extravagance, elle est toujours en étiage de cette inféconde nostalgie, où j’ai placé un enfant dans les bras d’une vierge, et moi-même sous une croix.


Chaque jour m’est un Golgotha en friches, et un Ararat en jachères.


Occupé à vivre dans l’entêtement d’une rhétorique de la vulgarité, j’ai préféré les bistros aux églises, et les filles équivoques à celles qui communiaient ,transpercées par nos vulgarités.


Mes agitations, simultanément à mes propos ,me semblent parfois considérées comme les soubresauts d’une matière singulière déplacée dans l’espace par une puissance sans nom, déçue de ne pouvoir s’endormir parmi les astres.


J’ai pris toutes les précautions pour n’avoir pas un jour à déambuler dans un hôpital, sans connaître les malédictions qui m’y auront conduit.


Falsifiés dès nos naissances, nous cherchons dans les yeux des femmes la trace de ce forfait, pour y remédier en adulte gâté, irrévérencieux et impénitent, sans pouvoir réparer les troubles qui les attendrissent.


La tristesse est substance autant que révélation, chacun s’y baigne comme un nageur averti, universel et gnomique, pris sous l’éclairage d’un projecteur qui ne laisse qu’une ombre sur le tableau de ses nuits grisées de mensonges.


Ma solitude, c’est ma santé, et je m’y dégrise dans ses ornières, parmi les églantines et les orties, parmi les odeurs d’une nostalgie outrancière et terriblement ancienne.


Mes générosités s’étendent jusqu’à ces nuits où le seul moyen de plonger dans Dieu est de devenir l’objet de ses convoitises.


Ma conscience s’altère par ces sonates, que la déception a poussé jusqu’à mes oreilles pour m’affliger de la connaissance de toutes les sonorités inconsenties.


Rien que je n’ai désiré des femmes, et qui ne se soit déverser dans mon sang, jusqu’à la dilatation de mon esprit même.


Je n’ai gardé du souvenir de mes gaietés que ce regard sur moi-même, là où il y avait des cordes et des nœuds pour agiter l’air de mes inconsolations.


Dans la pharmacopée du sentiment, l’amour est un antalgique qui pompe au cœur ce qu’il a de fondé, et à l’esprit, ce qu’il aurait voulu grandir.


Je me suis si souvent et si longtemps éloigné de moi, que du non sens de mes élucubrations sont nées ces insanes envies de crever sans larmoyer, et ces voix intérieures qui me guidaient pour m’en rapprocher.


Sans la souffrance avec toutes ses coutures, j’aurais été envieux, de quoi je l’ignore, mais envieux, bien plus qu’à côté de celle-ci.


Dans mon atelier sous les toits, accoutumé au peu d’espace, il me semble que le mourir y serait moins fougueux que si je m’embrasais dans l’éternité des villes.


Dans la torpeur de ce réduit où j’acoquine des visages, et m’épuise dans les traits d’une femme sans devenir, il y a cette clairvoyance nimbée d’incompréhension, qui me porte à croire que je suis le seul homme à la regarder de si près, que c’en est une indécence, tant je voudrais lui imposer la conscience d’être à ma vue.


Exister, c’est être approximatif.


A cette vieillesse du corps si prématurée, que je tente vainement d’éconduire, j’ai opposé mes verticalités de singe qui babille, sans être toutefois contraint aux lucidités que l’invasion du dormir déplace à moi, sans même s’être dissipé de cette vieillesse.


Tant tout me pèse, que dans cet espace où mes sens n’aspirent qu’à des abandons, je ne cherche plus que des amours épuisantes, agitées, pour les ratés d’un corps trompé par ses éternités.


Dans les cours moyens de mon existence, ma pudeur, sous l’emprise des gels et des engelures, a autant dégoutté que les larmes d’un saint déversées dans un sablier.


Vivre est une habitude que j’ai exténué jusqu’à l’hébétude.


Dans ces abîmes où le corps tremble et défaille, la souffrance tient du culte et du démenti, tous deux suprêmes oscillations entre l’enfer et Dieu.


La santé et la lucidité nécessitent d’incessants contrôles, contrôles auxquels je ne me suis pas soumis, pour me dresser sanguinolent parmi les hommes, et donner à voir ce qu’il y a de vivace dans la désolation.


La vie, c’est de la matière obligée à paraître, et qui montre jusqu’où la supercherie du voir peut nous conduire, sans que nous y ayons aspiré.


Tous les jours me semblent si tardifs, qu’il me faudrait une immensité de temps pour les caler dans ma fatigue de ne pas avoir pu y faire entrer ma connaissance et ma tristesse.


Je n’ai pas eu d’entrain, je suis resté en ma réserve, comme un animal inavoué, et qui pense, tout en regardant le ciel, que toutes les transparences ne viennent pas de la lucidité.


Il y eut tant de temps où je ne sus pas avoir de place que les strapontins me semblent la seule assise qui vaille pour le théâtre de mes humeurs.


Je cherche une Atlantique à nulle autre pareille, une Atlantique de torts et de ressentiments, pour y noyer mon besoin d’écouter les orgues et de me consoler par ses vertigineuses musiques.


Aux ouvrages que la solitude corrompt, j’ai préféré la colère, cette fin sans élémentaire participation qui précède toute chose, et se pose sans qu’on l’admette en tous lieux ;j’ai préféré aussi l’indéniable nécessité, énigme réprimée de rester incompréhensif ,dans le déni des belles formes rétribuées, cette sotte faculté d’être amer ,en en faisant le vœu, par imprudence et impudence.


Aux ouvrages que la vie même corrompt, j’ai préféré l’impassibilité d’un tableau, instrument de ma vanité, de ma passion pour des inerties sans visage, et cette pratique de me fondre dans le vaste souci d’être sans exister, entre la fatigue et l’embonpoint.

Aux ouvrages que l’orgueil altère, j’ai préféré la repoussante déraison de demeurer raisonnable, l’impersonnelle lourdeur et douleur d’être prisonnier de mon travail d’homme, d’homme sans étendue et de sous-entendus.


Aux avantages que confère l’insulte, j’ai préféré les négatifs du silence, tirant sur l’éternité des astres, sur l’insupportable matière à sédition des étoiles.


La logique est de l’ordre du poison, et quelle volupté insane que de la verser dans son sang, que de s’y résigner jusqu’aux morbidités.


Un Tourgueniev sans tourment, voilà ce qui m’aurait comblé.


Mon besoin d’étanchéité recouvre mon besoin de replâtrage, et je sais combien mon corps ne peut s’offrir à l’existence que dans ces mêmes solutions.


Combien j’aurais aimé être fou ou mendiant, fou pour ironiser sur les principes mêmes de toutes les deïtés, mendiant pour montrer du doigt vers où est la prière.


Mon mode d’amour est dans la faillite de nombre de mes organes, ceux qui se sont mal érigés dans le manège des muscles et du sang, autant que dans celui du cerveau.


Le temps est un passage dégradé quand nous regardons avec attention tous les instants où l’on est dans sa propre indulgence.


Je me suis appuyé sur les degrés de mon ignorance, pur n’avoir pas à considérer le monde, tel un guetteur du haut de ses créneaux,et qui voit l’univers tout entier comme un vaste cimetière.


Il est des pauvretés plus nobles que les richesses arrachées aux entrailles de la connaissance,et que nous portons notre vie durant comme des peurs de proximité.

Parfois mon arrachement à l’ennui est plus dramatique que si je m’y épurais en y songeant moins.


Je m’agite dans un monde où le cours de mon existence est en étiage de toutes les sensations,et vais du pathétisme au vulgaire sans passer par du vœu ou de la prière.


Dans l’odeur âcre et la fumée des bistros il me semble que je suis parfois un Narcisse doctrinal qui ne sait plus où est son infortune.


Au silence auquel je m’adresse quand le pathos de l’évidence me pèse comme une absurdité,j’adjoins ma douleur d’être un gnome exténué,et qui rougeoit dans son chagrin.


De tous les regrets organiques,je retiens celui où le sort s’acharne dans mon sang,et procède de la mélancolie ou de la conscience d’une fatigue importée.

La plus éthérée de mes absences se fait dans l’ombre la plus ténébreuse.

Tant le temps a de poids que ma fatigue même me semble une charge née de cette étendue.

J’ai mesuré combien j’avais perdu de temps à chercher à m’assoupir, sans qu’aucune verticalité ne me porte aux exigences d’être, et n’y ai décelé que la sanie.

Il se peut qu’au nom de l’homme, je n’ai voulu qu’être apparent et sans soutien, et que tous mes penchants passaient par de l’entretien.

Toutes les routes se perdent dans les vallées sans profondeur et sans adret de nos saloperies existentielles.

Dépourvu d’actions, n’en désirant pas au point de m’étrangler jusque dans le dire, ma vie n’aura eu de valeur et de savoir que dans l’ébriété et les déconvenues.

Nous avons tous à un moment quelque chose d’autre à faire, et c’est ce quelque chose qui nous parvient avec la fréquence d’un fait gangrené par la parole.

Est-il un réconfort qui puisse m’être dispensé et que je n’ai pas à ruminer dans la cour d’une école ?

C’est dans la mélancolie que l’existence prend les valeurs fractionnées d’un accident de la matière, d’un succédané du temps.

Même mes larmes n’atteignent pas à la douleur cosmique d’être un damné, et qui rêve.
Est religieux tout ce qui ajoute à mon épouvante d’être, le sceau d’une angoisse sans objet, le poinçon ineffable d’une concession faite aux autres et aux astres.

Dans l’étendue de mes peurs, celle qui se manifeste par mon dégoût de l’homme me semble justifier tous les phénomènes de mes retraits, de mes vacances.

Abîme ogival, et dans cette cellule mon sang atteste, grouille d’arguments pour me soustraire à la vie.

Existence, lourd et cher tribut à payer à toutes les planètes mortes.

Je suis d’une nature plus triste que tous les éloignements, que toutes les fêtes où se sont chargés des sourires dessinés aux saintes et pitoyables exagérations.

Délice de se suicider virtuellement, d’y rêver, et d’en revenir plus douloureux encore que si j’avais renoncé à ce qu’une femme, une seule ,s’incline sur mon urne.

Il suffit d’oublier une seule seconde que la mort est en toute chose, pour aussitôt faire dans l’excès et l’excédant.

Que ne puis je exister sans déguisement, et dégrisé, occuper à froid tous les espaces appauvris par les représentations de vaines existences ?

Penser me rend excessif des faveurs de l’ordinaire.


Ce qui m’oppresse, c’est l’apaisement qui vient après la grandeur d’un amour qui n’a su s’arrêter que parce qu’il a  été englouti dans la fierté de se taire, tel celui qui n’a pas su marquer la halte, ni y monter la garde.


La profondeur de ma tristesse, je m’y déverse jusqu’à sublimer ce monde qui m’a donné le goût de la douleur et de l’habitude à la grandir, pour pouvoir en parler comme un infini de séduction, comme à une femme qui en fera un hymne à l’amour que je lui portais.


Dans cette obscurité où s’englue mon esprit qui n’attendait d’autre plaie que celle de vivre à la juste place, voilà que de la pourriture me vient dans la bouche, et j’en vomis.


Saisi de plein fouet par une conscience abrupte de souvenirs qui ne sont pas vertueux, mon élan pour l’existence est celui d’un aveugle qui marche sur des braises, pour faire la démonstration que le feu ne pourra l’anéantir que par le haut.


Au commencement est un désir bestial exacerbé par nos glandes et nos démangeaisons, puis vient du mysticisme qui nous conduit à la lucidité ou aux larmes.


Il faudrait que toutes les sensations qui font coller au monde, ne m’animent plus que d’un paroxysme de bête qu’on traque, dans la distance qui va d’un vivre à un mourir, sans passer par le regret.


Qu’y a-t-il de prévisible si ce n’est la souffrance et la mort, la souffrance avec ses basses tonalités et ses éclats de voix, ses sanglots dans le crépuscule, et la mort, unique réalité qui ne se soit pas émiettée dans ce temps où l’on a gâché sa vie à l’attendre, dans l’angoisse d’un devenir par trop mal rêvé ?


Mon obsession de la contemplation ne m’a donné le goût de celle-ci que dans d’éphémères joies, quand j’étais sans agitation dans les bras d’une femme aux douleurs plus grandes que les miennes.


J’atteins à l’ombre parce que je m’ y conduis un peu plus chaque jour, comme un exalté qui croira y trouver la trace d’un ancêtre qui lui enseignera où sont ses véritables ennemis.


Mes pensées les mieux fondées s’établissent toujours dans cette morne attitude que j’ai quand ma colère tient de l’harmonie, celle qui clarifie mes sens, en aiguisant mon regard sur le monde.


Dans les extases fécondes et réciproques qui vont de l’homme que je suis, à la femme qui consent à mes baisers, il y a le sourire universel d’une nature qui n’a été envenimée par aucun néant.


Je m’imagine parfois que mes racines ont recueilli tant d’humidité, tant de putridité, que je ne pourrais plus rester debout, et qu’aucun fruit ne naîtra plus de mes pensées fussent elles fécondes, c’est là que je deviens insignifiant.