Aphorismes 122

Je ne possède rien qui ne me fasse envier une autre possession.


L'art est l'élaboration de ce qui n'aurait pas eu d'intérêt si un dieu d'esprit et d'effort ne s'était trouvé là.


L'art donne de la lumière aux plaidoiries et plaidoyers de nos natures les plus médiocres.


J’ai toujours considéré ma vie comme une moribonderie, j’assiste à ma décomposition depuis tant d’années, que ce que je puise dans mes réserves tient de la voltige et de la corruption.


Vivre nécessite quelque ordre désintéressé, que l’imagination fait ressembler à du confort.


Le sérieux n’est pas entré dans ma vie, ou s’il y est entré, il n’a eu de mouvement que pour m’en détourner.


Détaché de tout et de tous par impulsions et par répulsions.


Rien que je ne fasse sans en être aussitôt indisposé.


Vivre agite en moi ses clochettes de lépreux.


Je ne m’adresse à moi qu’avec du pire et de l’inconsolation.


L’ennui m’a inféodé, m’a poussé dans le sérieux de la prière que j’ai convertie en offense, n’ayant pas trouvé de dieu pour la contaminer.


Au triomphe de la parole étendue comme un oriflamme, je lève moi, un râle infectieux qui ôte tout doute sur mes velléités.


Dans la faillite de ce langage que je considère comme une infirmité, parfois se lève quelque expansion, et son mystère est expliqué.


J’ai beau me dire que le monde peut vieillir et finir sans moi, je me lève pourtant tous les matins dans l’ignominie de l’imitation et de la singerie.


Je ne considère rien qui vaille la peine d’être regardé de l’intérieur.


Mes désirs suggèrent une forme de pardon que je dois à mes essoufflements et à mes éreintements.


Tous les maux, nous font veilleurs, c’est ainsi que nos organes se signalent par leurs substances et leurs déconcertantes lourdeurs.


Rien contre quoi je n’ai dirigé mes injures, et qui ne m’est atteint dans ma vitalité.


Je suis cet ahuri, spectateur qui fermerait les yeux si on le forçait à regarder la vie qui se poursuit pour d’infectes explications.


Vivre nécessite quelque justification que je ne peux produire qu’en hurlant.


Tous ces jours où je n’ai rien eu à écrire, je les réduis à de la sentence et à de l’épitaphe.


Vivre nous oblige à de la médiocrité, dès lors que nous nous en accommodons


Ma mémoire ayant répugné à garder tous mes souvenirs, j’use ma vie deux fois plus vite que si j’avais tenu à la curiosité de ses vestiges.


Je répugne au charme discret et distinct qui se tient entre la lettre et son destinataire.


Trop raisonnable, je me suis figuré que toutes les abstractions auxquelles je donnais du sens étaient les seules péripéties que je pouvais commettre sans impunité.


Depuis trente ans mes fatigues sont instantanées.


A la prodigieuse vitalité de ceux qui cherchent à évoluer, j’oppose mes petites émergences, entre la borne et le contour.

Combien j’ai pu mesurer l’ignominie de la naissance, et combien j’en ai été affecté mais prodigieusement.


J’aurais tant voulu qu’on m’avertisse du contenu de l’existence, pour me vouer d’emblée à des dissolutions.

La lucidité laisse indemnes les esprits occupés à l’assujettir.


La seule forme sérieuse que puisse emprunter la parole est dans les livres, précisément les livres qui nous découragent de vivre.


L’existence n’ayant que des effrois à me proposer, je songe à m’allonger pour n’être pas cet ensommeillé qui marche et s’use par les bornes.


La vie est un à pic métaphysique.


Au demeurant je suis resté un enchaîné souffrant de l’éclat de toutes les tromperies, au restant, il me demeure l’étonnement de m’être retenu d’en finir.


L’accès sur la vérité s’effectue par défaut ,l’accès sur le mensonge par anticipation.


A mesure que j’avance dans l’existence, je ne m’acharne plus dans les sensations de mon corps, que l’amour a rendues aussi diaphanes qu’un ange resserré dans son chagrin.


Tout est crépuscule, et au bord de ce crépuscule, tout est pleurs qui finissent dans un bénitier.


Mes tête- à -tête restent des réflexions sur cette matière intervenue dans mes organes, et qui me pousse jusqu’aux écoeurements.


Devenir aussi indulgent qu’un saint rentré dans sa douleur, et qui dans cette vitalité introduit le mot foutre ou le mot dieu.


J’ai filtré toutes mes erreurs et catégorisé celles qui faisaient de mon inconsolation, l’espoir de me retrouver naturellement admis parmi les hommes.


Et j’ai vu décliner des sourires ,comme ces lettres posées sur d’irrévocables bouches.


Rien ne me consolera d’avoir tant fait mon vivant, pour avoir tant bien voulu faire le mort.


Je me suis adressé aux hommes que l’art avait placé dans le soporifique des éternités, pour y déplacer des idées et un idéal, irisés au noir dessein d’exister dans les mêmes proportions.

L’existence tend vers les nœuds et se coule dans les coquilles évidées par la matière, écoeurée d’y voir une posologie à ses déconvenues...


La mélancolie est colorée d’un néant irisé aux équateurs du sang intérieur au grondement même des exigences de toutes les noirceurs putréfiées.


Quand on s’est donné les moyens d’entrer dans le prestige des existences vouées au culte des sentiments, il me semble qu’adoubé et aguerri, je doive partir, éclatant de misère et de rigueur, aux antipodes de toutes les consolations.


Tout est acharnement, et la vie acharnement suprême, acharnement de trop.


L’ennui a été mon moteur, j’y ai concilié toutes les banalités de l’amour et de la religion, de l’art et de ses subterfuges ;c’est ainsi que de la fatigue m’est venue ;tombe idéale, pour absorber ma paix et mes déveines..

Pour me venger des servitudes, je me suis montré tel un malade dans une décharge pleine d’abjections et de foutreries, un malade que la réconciliation n’a pas rangé parmi ceux qui prospèrent, et qui ne s’élèvent que contre eux-mêmes.

Rien qui ne me soit apparu comme plus indispensable que toutes ces incommodités où je rangeais Dieu dans des écarts, et usais de la prière comme un avatar de parole pour le dissuader de se pencher sur moi.

Eprouvé, pas encore affadi, je tente de recenser toutes les acclamations que j’ai lancées jusqu’à Dieu, en les portant sur cette gauche où le cœur seul est resté en contact avec les hommes, sans en tirer aucun bénéfice.

C’est l’aveu d’une rancune ancestrale, d’une peine inavouée, qui m’a fait aussi ébranlé que si je devais solliciter un entretien avec une pègre sentimentale.


Secondaire,essentiellement secondaire,je puise dans mon néolithisme ce qui un jour me révèlera.


Spectateur imparfait d’un présent qui se coule sans y parvenir dans des gloses ordurières,aucune de mes répliques n’aura ses essences dans le mode inférieur de la parole.


Les nuances participent de l’effacement et du retrait,autant dire d’une modestie incarnée en décharge.


Tous les artifices nous survivent, au spectacle permanent de nos simagrées,préférons l’idiotie inhérente à nos actes,et cet insupportable besoin d’être déçus ou incontentés.


J’ai fraudé sur ma langue, mon langage aussi, poussé par ce goût maladif voire ordurier pour l’insulte ou l’interjection,

j’admets pourtant que mon existence est vouée au virus d’une forme de parole que je décrie sans pouvoir m’en passer.


Entre temps, entre temps quoi ?

Est-il un autre temps,et peut –on s’y immiscer dans cette stupide conviction qu’il est la plus parfaite des alchimies qui nous momifie à sa guise ?


En rupture avec les hommes, en totale rupture et depuis fort longtemps,qui s’en plaindrait,si ce n’est moi qui ,tant ce qui m’en a rapproché a été pénible.


J’ai la sensation que j’abandonne, qui , quoi,je l’ignore ;mais cette sensation est si vivace qu’elle est la matière même de mes inconforts,e mon éloignement,de ma simultanéité d’être proche et lointain pour aussitôt m’en plaindre.


Tout ce qui est sérieux est pour moi de l’ordre du phénomène, m’ennuie et me dérange ;ce degré de l’existence,que ne m’amène t-il pas à me dérober au monde pour entrer dans la maladie ou la grâce?


En dehors de ce qui nous épuise, l’acharnement qu’on met à être est un tour de force,que seule la réplique à la vie,à toute forme de vie parvient à contrôler.


Ma veine est d’être crispé, d’arriver au plus haut degré de la crispation sans en être excédé, voilà pourquoi mes outrances sont de l’ordre d’un manège et d’une révélation.


Ces instants d’avant l’instant, et dire qu’il a suffit d’un seul souffle d’une seule de mes secondes, pour à jamais le regretter.


Je m’éparpille à mes dépens, défunt j’aurais dans l’éternité cet air de parcellaire mais sans ses rafistolages.


Je m’épuise à perdre ma volonté, tant d’heures qui ne m’ont servi qu’à voir jusqu’où une malchance idéale aurait dû m’aider à servir la conscience d’être.


Je fonce dans le malheur comme si en dépendaient toutes ces maladies qui m’incommoderont au point d’en faire un « néanmoins » de la mort.


Manquant d’envergure, mes secrets retournés à leur limon d’anonymat,que me reste t-il pour être indisposé,si ce n’est ce peu de raison,parodie d’une déveine à mon goût?


Ecœuré dès ma naissance, écoeurement suspect dès lors qu’il est identique à tous,mais combien il m’ont aidé à sévir au nom du « non être ».


Combien j’exècre les sérieuses divinités éprises d’un portefaix, d’un sicaire,ou d‘un néant dont elle n’ont pas mesuré l’envergure.


Ce qui m’a conduit à la littérature m’en écartera, ainsi disposé à l’acte et à l’ambition,les mots s’écarteront de moi pour une perte dont je ne saurais me contenter.


J’ai en permanence le réflexe de la réflexion, après coup, après tous les coups je m’endors dans l’acte, je devrais dire dans l’irréparable, dans son irréparable.