Aphorismes 108


Barbarie d’exister dans cette haute torpeur où je pressens des fins sans élan, des détonations sans revolver.


Tant me reviennent toutes mes stérilités que je ne sais plus où m’accomplir sans sacrifier à ma vraie nature, misanthropie et erratisme.


Il y a dans toute lucidité un délice inaltérable qui confine à l’épreuve ou à l’hystérie.


Trop de larmes m’ont rendu inintelligibles les objets sans clé, représentation subtile des palliatifs de mon existence, et que j’affronte du regard pour leur rendre leur singulière violence.


J’avance ennuyé et ennuyeux dans un monde sans contenu, où mon devoir est de m’y défigurer dans la position d’un méditatif qui n’a pas eu de malheur décent.


Parfois le vide prend le visage d’une femme furieuse de nous avoir imaginé autrement contrefait.


Il m’arrive parfois dans l’idée que si je n’avais rien été je n’aurais eu d’intérêt qu’en naissant.


J’ai toujours cru que le monde était en apparence d’être, et que ma particularité d’homme lui conférait l’air d’un éternel teigneux.


Tout ce que j’ai voulu savoir sur l’autre, je l’ai d’abord nuancé en moi, pour mieux me dispenser d’avoir à le considérer ailleurs.


Je rêve de me convertir en apparence et en rumeur, et de réfléchir sur tous les prétextes d’être.


En danger dans un corps où culmine l’éternité d’être une restitution à l’éternité, je cherche à percer dans mes néants des portes qui donneront sur la plus absolue des tristesses.


Dans la diversité des caractères, le mien m’apparaît comme une liquidité sans glandes, une parade dans les commencements.


Carrefour des sentiments ;de quelle sombre portée achalandée à ma droite, jaillissent ces femmes sans rayonnement, et qui me distraient de toutes mes impuissances ?


Rester rudimentaire, devenir rudimenteur !


Dussé-je me prolonger jusqu’au siècle, m’infliger encore quelques décennies, je ne trouverai pas de remède à mes effarements, à ce dilettantisme primesautier, qui tiennent du délice de l’abstinence et de la boulimie à le montrer.


A tant fréquenter les hommes je suis devenu gravement ennuyeux.


Dans cette solitude où je m’enorgueillis d’une cécité, ma santé atteint à l’inutile, et mon corps tout entier dans cette vitalité sans motif se prend à rêver de somnifères.  J’ai tenu l’ennui pour une idéologie proche d’un apogée et j’en suis resté là.


Dans tous les propos que j’ai tenu sur l’amour ,il y avait de la momie et des fadaises sur son entretien.


J’ai suffisamment été insincère pour n’avoir pas aujourd’hui à édulcorer toutes les biologies qui me poussaient dans l’amour.
Quoique je fasse, je le fais dans la lucidité du lieu commun, et j’en vomis.


J’ai parfois atteint au statut de bourreau suffisant.


Dans ces bonheurs que confère la croyance ou l’hypostasie, les mots « Dieu »et «  Amour »viennent de si loin, qu’il faudrait les dire en latin, et prévoir une bouche sans crachat pour les tirer de la profondeur des siècles.


Pour me punir d’être, je me suis jeté dans les ignominies de l’intellect, et y épuisant tous les thèmes, je m’aperçois, que mes soupirs ne sont pas assez amers pour m’en désoler.


J’ai beau ouvrir les yeux sur les officines du cœur, je ne trouve rien pour me guérir d’exister.


Comme il me fut d’aise de m’encombrer de tant d’abâtardissements, je ne peux me considérer que comme un animal sans pudeur, qui peine dans l’impossible et se niche dans la vermine.


Ecrire c’est se vider de ses substances c’est participer avec ses nerfs à de vulgaires exercices de vivre, que jamais nous n’aurions entrepris dans la dentelle ou la broderie.


Je me perds dans les mots comme dans une province sans stèle et sans mausolée.


Etre serait savoureux sans l’ignoble idée du paraître et du devenir.


Je me suis attendri sur l’idée du suicide, sur celle de n’être plus, les ai entretenus comme on lisse un pont, polit un miroir, jusqu’à en oublier de quelles puanteurs elles émanent vers quelles profondeurs elles me tirent.


Je me suis nanti de prières comme d’un nécessaire viatique, pour aller jusqu’à Dieu avec la gravité d’un moribond sur le chemin des prodigalités.


Tout ce que j’ai conçu a concouru à me perdre par ses inanités, je n’aurais d’ailleurs de salut qu’en étant redevable de constructions, de conceptions moins abruptes que ces mêmes inanités.   

La somme des mes insanités vaut la somme de mes agonies, l’une dans l’autre équilibre mon ambulance et mes déambulations.

Je resterai cet inactuel avec les yeux emplis de dédain et de rage.


Je déborde d’une inadaptation aux utopies et craque de toutes parts dans les estuaires de l’impassibilité.


Ce qu’il faut d’exagération pour ne rien exagérer.


Dans mon sommeil,les interventions d’un diablotin douteux me relèguent dans le souci de ne pas le doubler.


Je ne conçois rien sans doute, c’est ainsi que j’ai pris le parti d’être insaisissable, le parti de ne pas tendre la main, sans lui avoir adjoint la déliquescence d’une anémone.


Depuis tant de temps, dans la foutaise et la baliverne.


Comme si d’une main je tenais un poignard, et dans l’autre la sainte coupe débordant de ciguë.


Le plus court des chemins pour aller au suicide est la déception.


Lorsque je suis dans le refus du sommeil, élevé au devant d’un vide ou d’une désolation, je sens que battre la pavé prolonge une enfance et un ennui aussi funèbres que ces inspirations venues un soir parmi les tombes.


Plus ailleurs qu’en moi-même je vois des sicaires exaltés qui doutent de leurs origines.


J’aime que dans mes hautes faiblesses ,quelque femme me suggère combien j’ai encore de vitalité pour un ultime combat dans l’enceinte de Dieu.


Être confiné dans un excès de vide et de vie.


Plusieurs choses que je sais de la solitude, elle tient autant de la zoologie que de l’angélisme, toutes deux impériales virtualités que nous ne prenons au sérieux que dans le négatif de l’existence.


Dans cette torpeur irrespirable, mourir est couronné de l’hypertrophie d’un soupir et d’un râle. Nous avons tous eu le désir lourd et lent d’être en hostilité contre l’homme, contre nous-mêmes, cette hostilité est la voix de l’épuisé qui veille.


Parfois mes élans poussent ma survie sur les pentes de cette souffrance qui me ferait encore rougir et rugir.


Je manque de rampes, de bastingages pour m’accrocher à l’existence, et reste sur les paliers et les ponts comme sur un ramassis d’exaspérations.
Souvent dans mes fureurs d’écrire ,je ne sais ajouter à ma désolation que les mots foutre et dieu, sans en être dissocié.

Toutes les vérités ont été sous serre, c’est en cela qu’elles puent ou embaument selon les circonstances.


Le cynisme dans mes réconciliations, tient de cette nervosité à piétiner sourdement des  êtres d’aise et de séance.


On tombe amoureux comme on tombe dans Dieu, en des endroits qui ondoient de toutes nos misanthropies.
La  délicatesse d’être volumineux, et s’en tenir là…


J’ignore jusqu’où je serai indésirable, et fatigué de me porter vers des espaces laminés par l’ennui, qui pourra alors me réveiller sans les sels et les eaux putrides ?


Je me suis défendu d’être un homme altéré par l’ennui, tant j’avais d’élans pour me rendre dans une réalité vierge de toutes ces résonances.


Toutes les religions confèrent à l’éternité les mêmes degrés de notre existence, je préfère ne pas m’y déverser.


Quel dommage que le temps ne soit qu’un mouvement qui tournoie comme un néant de prolongations.


Mon but est d’errer, d’errer mécaniquement, comme en une Babylone de troubles et de blasphèmes, et d’y rajouter toutes mes répugnances.


On triomphe d’une faiblesse, quand penché sur les plus hauts degrés de notre être, nous pouvons y voir la suspension de tous nos actes voués à l’extinction ou à la débâcle.


J’ai peu et mal aimé l’existence pour être autrement que je ne suis..  

Évoluer, amputé de toutes ses histoires, vers les néants vides de nos éternités douteuses.


Si j’avais eu la force de me conduire en homme, vers où me serais-je conduit ?


Mes mobiles sont d’exister, j’explique ainsi mon impuissance à en finir.


C’est dans une cour de cassation que je finirai, ayant pris la précaution d’y venir en damné.


Peut-être ai-je connu trop tôt les extases du corps, et n’y ai pas introduit l’amour inexpliqué ?


Que puis-je faire d’autre que d’être moyen, si petitement moyen !


De la peine il en arrive toujours par là où je suis inoccupé.


J’ai fanfaronné dans toutes ces couillonnades où la merveille d’aimer était aussi ennuyeuse que les fictions où je me réfugiais pour en imposer à l’amour.


Lorsque je me remplis d’être, je crois rayonner pathologiquement ;cette insane lucidité m’écœure autant que si je reniais mes propos et mes actes.


Défaillant dans cette morne curiosité qui me pousse dans l’entreprise ou dans l’ennui, je commets parfois de la verticalité, vague posture pressentie pour douter efficacement.


Derniers soubresauts de l’histoire, elle se penche sur les tares des élus, pour nous montrer combien ils sont vains et accessoires, et combien ils sont nôtres.


Dans cette thérapie de la discrétion, j’ai été un onaniste manchot, un cul de jatte verbeux, un borgne, tous s’exerçant à s’exténuer.


Dans cette extrême tiédeur où j’exagère mes sentiments, je me vois en sicaire exténué, qui rajoute à ses crimes la foutrerie des mots.


L’homme a l’excuse trop praticable.


Je suis un valet converti à l’apathie pour n’avoir pas à servir des maîtres aux convictions ontologiques.


Tout ce que j’ai honoré a gardé sa part d’homme et m’a décidé à être.


Sans nouvelle d’un ami ancien, il me ferait fondre en larmes s’il revenait transi d’une même déception que moi, auréolé d’une même souffrance et d’une même pénitence.


Sous la pression de mots, me voilà obligé à des surimpressions, où j’adhère à la bande, où je colle à la marge et à l’impertinence.


Ma solitude est le cœur de mon naufrage, de celui que j’ajoute à toutes mes cosmogonies ,mes équivoques de plaisirs, de plaintes et de prières.


Je ne suis sûr de rien, et j’oublie jusqu’à ces instants, où dans un rare bonheur d’identité, je me suis mis en accord avec celui des hommes, avec celui d’être dans le regard d’une femme vouée aux évidences.


Je ne sais plus comment embraser cette existence où le sang est amer et dans tous ses états.


Ma vitalité vaut mon épuisement, tous deux s’équilibrent dans l’abjecte objectivité d’une anémie subjective.


La réalité rend discordants mes saluts, et mes gestes en déambulation attestent de ma réelle cruauté, de son réel élan de séduction.


Lorsque les conséquences de mes actes m’établissent dans l’obligation du respect à la vie, j’ai la sensation d’avoir été mordu par un serpent, et que mon cerveau entier s’abstrait de ces lésions.


Plus je remplis mon verre, plus je cherche à atteindre dans mes ébriétés de convulsions, un dieu malade de ses éternités et qui vomit sur mes mysticismes.Tout ce qu’on peut nommer ne devrait s’épandre que pour de la maladie.


Je falsifie tous les univers pour n’avoir pas à trouver de lieux où me planquer.


Tout ce qui est, est usé d’être.