Aphorismes 106


Pourquoi diantre secrèterais je de l’existence, tout ce qui survit en moi en appelle à la chimie des écœurements ?


La lucidité m’a rendu précis, non loquace, c’est parce que cette faveur m’est donnée que je fais autant dans le prosaïsme que dans ses contraires.


La science par trop aboulique a oublié l’homme au profit du mépris de celui-ci.


Me convient ce qui ne triomphe pas, tout ce qui s’établit dans la certitude et ses hiérarchies n’a pas mes réflexions.


Toutes mes douleurs outre qu'elles traduisent quelque mollesse de mes intimes biologies, procèdent aussi du mal d'avoir mal été.


Ce sont nos fatigues, toutes nos fatigues qui nous font entrer dans la mélancolie et nous nourrissent jusqu’à la défection.


L’ennui a été une de mes résolutions, il ne m’a fourvoyé que lorsque je m’en suis délecté sans m’allonger, ni réfléchir.


Ma chair me mène parfois dans quelque extase que mon esprit tourne en virtualité isolée.


Entre la farce et le prodige, une altération de l’esprit et rien d’autre.


Rien ne me pousse plus à bout que cette position entre le vide terrestre et le vide céleste.


La philosophie a eu mes égards, de cette indiscrétion me sont venues quelques suffocations et quelques prières.


Fanfaron que la tragédie d’être pousse parfois jusqu’aux sanglots, il me faudrait exagérer tous mes crimes pour durer, mais je me ravise aussitôt rien qu’en y pensant.


Il faudrait chaque jour abuser de tout et n’en pas garder le souvenir.


Ma nature est dans la souffrance, elle seule ne me fatigue pas par ses systèmes et par ses bavardages.


Doute en degrés, je cherche dans la biologie un remède attestant de la suprématie de la fiole et du poison pour parer au raffinement, à l’excellence d’un doute d’introspectif.


Un à peu près par étapes, voilà ce qu’il me faut afin que j’aboutisse dans l’idéal du superlatif.


Tout regard en profondeur sur la littérature la dessert, restons dans cette inanité de la surface que la lettre ne réduit pourtant pas au sens.


La fatigue est mon seul département non immergé, lorsque ayant tout perdu me reste l’idée de la noyade, pour me divertir de ce Noé que je n’ai pas été.


Né pour m’entrevoir, pour m’entrouvrir, je me suis corrompu jusqu’à cette infecte séduction qui m’a promu dans les onomatopées.

Chiens inertes, pourquoi les crocs de l’homme sont ils si bien ordonnés, si ce n’est pour rogner sa propre chair?


Chacun se voit en majuscule.


De mon inquiétude est née son contrepoint, je doute d’avoir à chercher une patrie ailleurs que dans les glandes et leurs évaporations.


Je me démarque, je me démasque par mes dégoûts.


C’est au-delà de l’idée même de vivre que je vais parfois, dans d’indéfinissables retraites où rôdent la mort et ses renouvellements.


Tout est dépravation, la vie suprême dépravation, cracherais sur toutes les impostures qui y sont liées, que mon dégoût ne serait ni un épanchement, ni une révélation?


Que pourrais je ajouter à ma soif de corruption, si ce n’est une ruine, de celle où interviendrait Dieu et son attirail de contraintes?


La vie, rien que des humeurs et de la bile, puis l’hygiène de la mort, la vaste pharmacopée du blanchiment à outrance.
Mes folies fragmentées ne m’ont augmenté d’aucune soif, d’aucune faim ,je cherche un désert idéal pour d’inconcevables géométries.


Tout ce qui fut impropre à mon sommeil m’a rapproché des hommes, le reste a eu mes complaisances.


Rien sinon l’ennui ne m’a fait dissemblable ,je me suis crée de plus hautes déceptions, pour n’avoir pas à sombrer dans des individualités qui m’auraient aussitôt mener dans le repentir.


Souffrir nous inféode, nous pousse à de le réceptivité, je hais ces guérisons qui nous ramènent à nos propres ténèbres.


Ma modération m’a transformé en un enragé de l’intérieur, je salive et bave en guise d’écriture, je me punis d’être taiseux, je me heurte en le sachant.


Vie, esbroufe de la matière que le temps corrompt, pour le bénéfice de cette même matière.


Malheur à qui gâche son chagrin! Je me supporte, je vis, cela suffit à écœurer, c’est la volonté de ne vouloir triompher en rien qui me rapproche des pharmacies, et me fait m’allonger sur le divan des psychanalystes.


Il faudrait que l’on me maudisse davantage ,pour être enfin dans mon propre contresens.


Tête à tête avec moi-même, suprême orgueil du dépassionné.-


Quand tout me dépasse, j’entrevois l’existence comme un mode et un monde que je n’ai jamais composés.


J’ai des dispositions pour la science, quand elle ne descend pas en moi.


Je n’exècre pas la vie, c’est la vie qui m’exècre, comme si je vivais dans une fraude permanente.


Entre la disgrâce et l’écœurement, l’inexcusable inertie dont nous nous satisfaisons pour douter jusqu’au forfait.


Si je me figeais dans de la susceptibilité je n’avancerais que mieux vers l’homme en l’ignorant.


Je ne suis à l’aise que dans le tout dernier lieu.


J’ai pitié des pensées qui se sont organisées à partir de nos réactions raisonnées, j’ai été dupe du premièrement, pourtant je ne peux remédier à ces évènements ; je m’endors doutant et révolté.


La philanthropie m’a fait confident, j’abhorre de m’être persuadé de servir, quand il ne faudrait qu’élever des gibets.


Parfois je me sens plus poche d’un sicaire que d’un curé, Dieu a-t-il mis de la grandeur dans l’un et de l’ennui dans l’autre, ou s’est –il rapproché de chacun pour une étrenne ou une éternité ?


Nous nous agitons tant et tant comme des insectes douloureux sur une charogne, aveugles et implacables, jusqu’à souiller chaque pli, chaque ossature que la terre réclame comme une obole à ses transparences.


Chaque objet atteste de nos rejets et de nos déliquescences, et nous devrions baisser les yeux sur les vérités abjectes qu’ils retiennent par leur présence et leur représentation.


La  tristesse est une des primautés de la connaissance, on ne peut regarder les hommes avec lucidité sans que notre esprit ne s’englue dans cette même connaissance.


Dans ces zones où l’univers tout entier résiste aux larmes et aux tressaillements des hommes, je veux que mon surmenage passe pour une indécence et que l’espace résonne de mes confusions et de mes contusions.


Chaque jour davantage, l’idée de la mort m’apparaît comme une honnêteté verticale, un reversement effilé dans l’onde insondable, image blanchie de tous les endormirs.


A l’endroit où refluent toutes mes réflexions, celles qui m’ont mené aux insomnies, la banalité y est d’une telle résistance qu’on dirait que toutes mes contagions y ont leur origine.


J’ai très tôt compris que mon existence serait vouée à l’attente, culte du délicat et de la profondeur ;j’ai encore aujourd’hui la sensation de guetter, les pieds dans un bourbier quelque indéchiffrable révélation, un appel, mélange de musique et de demande. 

La musique est la larme convertie d’une divinité muette, morte de n’avoir pu rencontrer les hommes, et se prolonge dans le halètement des sources, dans la respiration des plantes.


Mon but serait d’être enclin à une morosité si monstrueuse, que la terre même ne pourrait s’infiltrer dans les estuaires de cette imbécillité.


Tout ce que j’atteins est entaché du dormir, forme idéalement vague de l’assujetti et du commerce des sens, auxquels je n’adhère que dans mes pauvretés.


Les envers sont les prolongations de nos heures de déficience, celles où nous avons vu les choses de près, et les avons vidées de toutes les substances qui nous articulent.


Le mal d’être est un prurit de nos lucidités.


En face d’un sourire, on ne peut qu’être indisposé.


La mélancolie entre de plain-pied dans notre histoire, comme pour nous faire adhérer à des circulaires qui nous épargnent des apothéoses du pire.


Ma conscience a l’immobilité de ceux qui se sont bercés d’un ciel ,où toutes les exaspérations du monde montaient pour trouver un portique digne de cintrer leurs fatigues.


Il y a des horizons où l’on aimerait disparaître, et allégé de l’existence, errer ou s’éteindre dans le fouillis des astres épuisés par nos solitudes.


Submergé d’apparences, le monde étreint ses propres mirages et s’étend sur les objets que nous convoitons, dans ces vapeurs qui nous rappellent les procédés d’un corps qui cherche à se dérober à ses inerties.   

Nos origines sont dans l’obscurité et la boue, et ce monde en est réduit à ne nous dispenser que les mêmes confusions d’où nous venons.


Ma discrétion est le contrepoint d’un temps où par dégoût des objets inconsolables, je clamais que le ciel pouvait les inonder de tous les pardons que je ne leur accorderai pas le mien.


La peur parfois rogne jusqu’à mes os et coule dans mes veines comme la forme inspirée de cette lâcheté où je convoitais la parole pour un dernier mot d’esprit ou une épitaphe.


Tous les jours sont pour moi des austérités posées dans ma nuit, et je les regarde comme une exécution légitimée par des tribuns, pour qui la mort n’est qu’une hémorragie.


Dois je croire que mes vitalités sont ces simples oboles que des mains de vieillard posent dans ma besace, ou dois je les compter comme la prime récolte d’un corps ramassé qui cherche le chemin des manques ?


L’amour, rencontre de deux divinités insanes qui n’ont pas projeté la destruction de leur corps  dans l’attachement à l’existence, et rêvent de mourir dans les ondoiements de l’orgasme, dans l’âcreté des volutes qui s’élèvent d’une cigarette.


Dans la solitude tout est nocturne, et ce qui ne l’est pas, enveloppe nos larmes des couleurs de l’horizon, noyé de naufrages et de neurasthénie.


A quoi bon se déchirer dans l’ascétisme ou les dédoublements, quand il suffit de la géographie d’un corps qui marche sur un quai ?


Vivre c’est cracher du sang sur le monde et vouloir le noyer dans ses globules mêlés à la paresse d’un virus qui cherche impunément à se multiplier, avant de nous précipiter dans les océans violacés par notre douloureuse condition. 

Toutes les décisions sont droites, et dans le confort de l’équilibre, elles révèlent leur suspension instantanée, et tous les guillemets des archipels de notre sang.


Je me consolerai de n’avoir pas eu ma place parmi les hommes en ayant celle-ci auprès des morts.


Primauté nauséeuse du corps quand il veut s’étendre et séduire.


Tant je n’ai pas voulu accumuler de rencontres, tant je me résigne à m’approcher de moi, de peur d’y trouver la trace de tous ceux que j’ai écartés, pour n’avoir pas à porter le poids de leur chétive destinée.


On remue tant et tant, que la faiblesse nous vient comme l’unique architecture qui ogive nos os.


L’ennui est la sensation pesante du corps quand il s’est trop rapproché de la règle ou de la marge.


L’essentiel en tout commence toujours par les solutions d’un devenir qui réconcilie l’homme et la religion.


Tous les jours que la banalité recouvre de sa chape d’aveuglement, je vais parler honnêtement de moi dans les bistrots et les bouges.


Je n’ai souvenir de rien que je n’ai gardé en mémoire, pour le surmener sur les ondes qui traversent les airs et mes os. 

Dans cet espace ou mon retrait tient de la consolation et de la quarantaine, les abords sont trop cotonneux, et les arbres même ont le visage des connaissances mal éveillées.


C’est déjà trop que d’être ,comment faire pour devenir ?