Aphorismes 100


Malade de désespérer de moins en moins.


Dormir est de l’ordre d’une condamnation, veiller tient de la même supercherie ;c’est exister qui nous abuse tout entier, jusqu’à l’ultime retranchement.


Etre futile en profondeur.


A chacun sa fièvre, la mienne réside toute entière dans l’idée que je me fais de mon propre cirque.


Commettre, toujours commettre, dans sa manière de stagner ou d’avancer, mais commettre pour des sensations d’être.


L’œuvre qui en appelle à des commentaires participe de la noblesse et de la maladie, toutes deux semblables à bien des égards.


Timonier de mon ennui, combien j’ai transformé dans mes cimetières marins, de crimes en suicides, et de suicides en échappées célestes.


J’ai beau croire que les apparences sont une pente abrupte, ma réflexion me mène toujours vers ce point initial, qui est une descente plane ou un à pic sans profondeur.


J’ai perdu en lucidité ce que j’ai gagné en nostalgie, et tout ce qui me reste de mes anciens soubassements n’est qu’un décor qui s’impose par ses archéologies ostentatoires.


Je ne peux me soumettre à rien, cette expression traduit mes connivences avec cet autre rien auquel j’ai abouti malgré moi.


Derrière tout ce qui est visible, de la passion et des larmes, de la terre et de l’eau, de la sueur et de la morve ;bref, le spectacle insane de nos vitalités et de nos vanités.


Où que j’aille, et en quelque lieu où je me trouve, la fonction d’y être mal, cette forme d’infatuation est matière à ne pas en témoigner davantage.


En perdition dans cette existence où ma condition d’homme n’avait de délicieux que ses emblées, je me considère aujourd’hui comme un asservi qui se console de ses anciennes vertus en étant indulgent.


Je considère parfois l’existence comme une réponse que l’univers a conçu pour donner un pouls à ses immédiatetés.


Restons incurables ;c’est le seul moyen de n’être pas pris dans la faillite d’un mourir innommé.


Je ne peux rien faire de ce que je n’ai su faire, c’est cela aussi mon inconfort.


Etre demande du fermenté.


Dans l’éventualité d’un marasme sentimental, je me suis jeté dans la lassitude de mon propre corps, et mesure combien je n’aurais plus à m’époumoner dans les chiffons sales du désir.


S’ajoutent à mes silences tous mes vertueux mensonges, entre mes arrêts et mes absences, entre mes échappatoires et mes soupirs, et là encore la divine morve me fait verser dans la voix suave d’un nocher qui ronfle.


Nous atteignons tous à la dignité quand notre ignorance nous désarticule devant un autel ou un ostensoir.


Rien ne pourra m’être enseigné qui n’ait été éclairci par la connaissance d’un qui vit retiré de toutes les sphères ajourées.


De toutes les visions que me donne le monde, celle qui me restera atteindra à la blancheur idéale d’une vierge qui marche dans la neige.


Dans cette lassitude où même les objets sont en mal d’éternité, je ne distingue plus l’existence que comme un manque d’esprit.


La solitude est affaire d’arithmétique, j’y dénombre les ultimes moments où j’ai approché des déserts de proximité, et ne suis parvenu qu’à rendre provisoires toutes leurs fermentations.


Las de m’entortiller dans des accomplissements, je cherche à ne rien faire sans que ma vie n’en soit emplie, puis repliée.


Dans la soudaineté des exercices de la raison, parfois une odeur d’éternité me rend à la fièvre du faire, je ramène une nouvelle fois tout à moi.


Puisque tout savoir, vaut ne rien savoir, je vais chercher une voie à l’élimination des parallèles.


Ma vocation est de m’époumoner contre la fatuité, toutes les fatuités, fatuité suprême.


Lorsque je dirige mes pas de bouges en bordels, en plein essor dans cette foutrerie sans rémission, il me semble que tout le ramassis de mon être cherche un royaume pour y nicher ses scléroses.


Le jour et la nuit touchent à la débandade, et je ris de tous ces poissards qui vont vers les passions et les crimes.


Dans ces jours où toutes les expressions de mon cynisme ont des relents de pouffiasseries établies dans les crépuscules, je vais tel un prince défroqué crever dans les latrines.


Vivre demande quelque force bien employée, et quelques faiblesses mieux appliquées encore.

Il se peut qu’avec tous mes somnifères je n’ai cherché qu’à endormir ma conscience de l’humain.


Le plus douloureux des mondes ne peut être que celui là.


La vie ne peut être qu’une expérience étendue en toutes choses ,en tous lieux et de tous les instants, une expérience ruineuse et mal accomplie, mais une expérience.


Dans ces nuits où la substance même de vivre vire à l’hallucination, mes sentiments rejoignent des espaces plus funèbres que toutes mes solitudes, celles où je me suis apparenté à de la forme.


Dans cette chambre sans décor, plus aucune nuance dans l’obscurité, tout est si noir qu’on dirait que la plus ignoble des vérités s’est arrêtée là.


Pourrais je comme compensation à ce naufrage, échouer sur une île moins immense que mon chagrin ?


Tant elle était prestigieuse ma solitude, tant elle est devenue la seule excuse pour devenir fou ou faux.


Toutes mes idées coïncident avec de la barbarie, celle de l’entretien autant que celle de l’absence, et si je ne doutais d’être ordinaire, elles me conduiraient jusqu’au tombeau.


J’ai été digne jusque dans mes excès, par réflexe et par nécessité ,je regrette aujourd’hui d’avoir commis tant de méfaits sans aucune trace de dégoût.


Je fais peu cas de l’homme, et encore moins de moi, c’est de là que me vient ma propre considération.


Tous ces instants où j’ai été pitoyable, combien j’aimerais les revivre pour être plus pitoyable encore.


Penché sur des bassesses où mon mutisme traduit mon amertume, je regarde le monde comme un souteneur plus résolu à décliner qu’à s’élever.


Je voudrais n’être pas désespéré en mourant, c’est assez d’avoir vécu ainsi.


Que j’ai tant cherché à me désengager de la souffrance n’atteste pas que j’avais du poison en bouche, voire quelque insignifiance, pas plus que j’y ai pris goût pour m’individualiser.


Parfois tout se semble si clair,et la distinction, cette autre décadence de l’imperfection, ne passe plus par mon immobilisme, ni par mes apartés.


L’implacable idée du suicide me fut souvent douce, que je ne sus en mesurer l’exacte tonalité, et sans même savoir si elle me valut quelque autre altérité.


Plus je considère que la création ne s’est pas faite dans la douleur, moins je réussis à voir dans les élans de ma vie un acte qui pourrait encore être devant moi.


Les joies ,toutes les joies m’irritent, sitôt que retourné à ma misère, j’y sens les frissons de tous les êtres qui mourront sans y avoir déplacer d’abjectes générosités.


Toutes mes anémies m’ont encouragé aux mornes certitudes, aux mornes horizons.


Toutes les nuits où mon sommeil ne fut qu’un repentir de solitude, je n’ai rêvé que de ce cadavre philosophique qui traîne son ennui comme la plus pathétique de ses maîtresses.


Comme tout me devient étranger, je n’existe plus qu’au travers de ce néant que je déplace vers les dépotoirs.

Terreur dans ces affections qui ont pour objet tous mes dédoublements.


C’est souffrir qui m’a donné toutes ces impulsions, ma punition est d’avoir trop bougé, ou de m’être borné dans d’ultimes réductions, je fais à présent dans l’approximation des verbes déchoir et décevoir.


J’ai eu si peu d’accords avec les hommes, que dans chacun d’entre eux il y avait de la morve et du crachat.

Ca n’en finira donc jamais d’exister !.


Monter vers moi m’a demandé tant d’effort que je ne sais plus si j’ai gravi un Golgotha ou échoué sur un Ararat.


J’ai projeté dans mes déficiences toute cette vitalité avec laquelle j’avais composé pour parvenir.


Qu’attendre de ce moi subversif qui ne soit pas perméable aux réductions de l’esprit, ces élégies qui tombent comme des couperets.


J’aurais eu sans cesse la prétention de devenir, de devenir quoi, je l’ignore, et c’est cette ignorance qui atteint à ma santé.


Combien j’aurais aimé avoir d’indolores émotions, et y sombrer.


Dans l’ascendance de cette fatigue, où toute ma pauvreté apparaîtcomme le seul solde à mon inopérance, me voilà suscitant du sentiment, comme la matière la plus purulente à laquelle je ne veux plus céder.


Intoxiqué par toutes les lucidités qui émanent de l’homme, qui déterminent leur ignoble nature, tous mes actes s’achèvent dans la peur de m’y reconnaître.


Dans le snobisme de l’irréparable apparaît toute ma fatuité, et ma vacance n’est que l’illusion d’un chaos orchestré par mes sens et non pas ma raison.


Même mourir n’entre plus dans mes anticipations, j’aimerais tant atteindre à l’indifférence sans passer par la maladie d’être seul et de le montrer.


Mon inaptitude à l’existence a-t-elle été de mon gré ,ou n’ai-je cherché à légitimer cette fonction que pour avoir un surplus d’égard sur moi-même ?


Avoir raté ma vie et mes suicides, rien que pour ça je me suiciderai.


Affligé ou borné par l’amour, du bercement à la dérive le monde m’apparaît comme un univers de réflexes pornographiques, quand la sensation d’être passe par tout ce qu’il y a de plus en dessous que moi.


La tristesse d’être m’a fait organique, et dans mon sang où se désorganise toute vie, mourir n’est qu’une infatuation de plus.


La maladie m’aura accompli, mes gestes comme mes approximations ne sont plus tournés vers la matière, mais vers cet esprit qui la distingue et s’y fixe.


Ayant abusé des solennités que prodigue la mélancolie, je me suis retrouvé au rang des contagieux, parmi les bannis du sens et de la volupté.


Le seul moyen d’échapper au monde et d’y gangrener ses idées.


Il y a tant d’exercices que je n’ai pas voulu accomplir de peur d’y assécher la beauté.


Né vieux parce que ne voulant pas participer au monde, j’ai tourné mon esprit vers les belles ignorances, et j’en suis resté là, contraint qu’à ne figurer.


Mon orgueil a été le seul adjuvant qui ait détourné de moi tous les soporifiques de la parole et de l’entretien ,et ceci jusqu’à d’infinies profondeurs.


Mes agitations vont du tremblement aux tics, la variété de tous mes soubresauts à quelque façon de descente aux enfers, ou d’un Golgotha bas perché.


J’évoque toujours la fatigue qui m’a fait renoncer, aux objets, à l’amour, aux rencontres, à la connaissance, et si certains

élans m’ont rendu oublieux de ces soustractions, je les ai commis bien plus vers l’intérieur que vers l’extérieur.


Dans les rêveries sans excellence, quand le corps n’est plus d’utilité, nous pouvons comprendre ce que la vie attend comme égarements..


Ma conscience est de l’ordre d’une gêne et d’une ébriété, je veux bien admettre quelques nuances à ce pathos, mais rien de plus.


Dans ce monde où les divinités sont un surplus qui nous rachète de nos états larvaires, y a-t-il assez de prières pour qu’elles nous étreignent ou nous astreignent à les penser ?


L’ennui restera la forme goûteuse des excès, où j’ai regardé mon ignorance comme le seul rapport que j’avais avec le monde.


Sur le sein d’une femme ,la place d’un front constitue le plus doux seuil des enivrements, ou le lieu idéal d’un suicide différé.


Qu’ai-je retenu de ma mesure qui fut en harmonie avec les commentaires que je tins, si ce n’est celui d’avoir ressuscité de la paresse ?


Faut-il que la foi aille toujours vers les hommes ou vers Dieu ?