Aphorismes 95

Les faits, tous les faits me stupéfient, j’y vois cette rage de la vérité à s’ancrer dans nos esprits, pour donner à nos stupeurs nos raisons d’être, et transformer nos mensonges en litotes ou en hyperboles.

Nous allons de mal en malgré, comme des itinérants imbéciles que l’on atteint plus, si ce n’est quand ils respirent.

Je suis un déçu spontané, s’il m’arrive à réfléchir sur ces déceptions, me voilà aviser d’autant d’existence molle et inutile.

Toutes mes stupeurs, mes craintes, mes hantises, viennent de cet autre qui est contenu tout entier en moi et que j’abandonnerais s’il me faisait moins mal.

La vie se gâche, s’essouffle dans les métamorphoses et les prodiges qu’elle corrompt sitôt qu’elle les comprend.

Le processus de toute imagination ne saurait dégénérer en névrose s’il n’a pas connu le miracle du vague et de la nonchalance.

La calomnie de vivre passe par ce partisianisme de la matière, de ce corps que l’on bafoue pour qu’il serve à nier l’univers qui le tient pour portefaix de sa propre grandeur.

Je me dérobe à la tragédie de vivre mollement en faisant de mes os et de ma chair une affaire au caractère funèbre.

Au plus profond de nous se planque le rire amer de nos origines.

L’ennui nous fournit autant de fadaises que l’éternité, l’ennui, c’est l’état larvaire du temps où on ne compte plus.

Promontoire de mes idées, de mes idéologies, la chaise reste pour moi une forme d’indisposition qui m’envoie sur les trottoirs.

Une douleur aboutie nous rend aussi fécond, aussi orgueilleux que si nous avions gravi un Ararat.

Effroyable siècle, on peut y crever en spécialiste ou en larve, nous y serons toujours considérés comme des défecteurs de métier, qui se sont pointés entre le zéro et la marge.

Superficiels, nous nous serions peut être désespérés de ne rien comprendre, pas même notre propre simulacre de vivre.

L’amour glorieux bave sur les effectifs de ses victoires à domicile.

Je débouche sur l’insomnie toutes les fois où j’ai acquis un avantage, sur quoi, sur qui, c’est bien là le sujet de ces veilles ?

Vivre est une étourderie qui n’exclue pas la lâcheté de s’y cramponner, comme le dernier arrivé ,et qui pose son assise sur un strapontin.

Amour :tempête, sauvagerie des muqueuses..

Ne s’attendre à rien, et pourtant toujours guetter dans la perspective d’une horreur ou d’une renaissance, signes géologiques du tremblement, qui éveillent en nous la vague idée d’un amour qui se déroberait sitôt atteint de cécité. 


Je ne crois rien qui n’ait fait, ne fait surgir de moi l’incarnation d’un homme qui migre, faute de trouver sur sa propre terre les hallucinations qui le pousseraient à croire.


De toutes les hontes, de toutes les humiliations, de toutes les avanies que j’ai subies, ne subsistent que de toutes petites économies d’être, et qui m’ont valu une objectivité de putain étourdie et qui rêve.


Dans mes dégoûts, majestueux endossements, je me suis enrichi par la fumée des cigarettes et des cafés qui me rendaient plus vigilant qui si j’avais eu à franchir un Himalaya d’expiations.


Dans ces nuits où la prière était à l’aune de l’horreur, mon âme s’est dégradée en intimidation, et rien ne m’a servi, si ce n’est cette profondeur où s’ourle tout mon sang.


Quand j’ouvre un livre, je m’astreins à la lèpre de l’auteur, à celle de ses sentiments et je me promets de n’y apporter aucune correction, aucun secours.


Je ne crois en rien qui ne me fixe dans la matière de ces journées, où j’évolue sans les enseignements liés à toutes les inflations.

Dans mes crapuleries, mon anatomie tient de celle d’un singe qui tire vers sa cage une femelle indifférente et exaspérée.


Je supplée à ma colère en me dédoublant ; d’un côté la musique, et de l’autre le despotisme de la cigarette et du somnifère.


Pour m’être introduit dans la musique par l’ébriété, j’en suis ressorti tout hagard d’adieux, sans en comprendre leurs souverainetés.


Comme je ne sais pas cédé aux tentations de l’orgueil, je râle et grogne dans ces déconvenues qui vont des glandes aux charmes malsains des onanismes outranciers.


Je n’ai usé du verbe être que dans cette grâce muette de l’entre deux amours, et n’ai su qui m’y accorder que dans mes restrictions.


Dans mes apathies, toutes mes prières penchaient par là où je ne me convertirai jamais, pornographie, instinct.


Ma timidité a été de l’ordre de cette déficience qui rapproche les désirs d’une dérive, et la dérive d’une entrée dans l’irrespectabilité.


J’augure d’une nuit orchestrée comme des abandons, et je m’y vois tel un purificateur qui cherche dans la foi à mourir éloigné des hommes.


Dans mes vulgarités, tout mon organisme est poussé vers cette glose indélicate qui justifie mes renoncements et mes demi-sommeils.


Il en est de la lucidité comme il est d’un détergent, elle fait s’en aller nos proches et se rapprocher esprits voués aux salissures.


J’abdiquerai à l’extinction de ma soif de souffrance.


Il est des jours où la mort est la matière d’une conscience qui s’aiguise par les insomnies et les soumissions.


Depuis des années, je ne suis tenté ni par la raison, ni par la connaissance, j’augure d’un mal immense qui se perd dans l’immensité de mes propres tromperies.


Chaque heure me paraît être un excédent de temps ajouté à ma fatigue et à mon ennui excessifs.


J’ai toujours pris soin de n’avoir dans l’oubli grandi mes erreurs au point d’ironiser sur moi à mes propres dépens.


Dans le choix immense d’exister, Dieu a surgi entre deux pôles, le chemin des haines et celui des abandons.


Au faîte de mes souleries, je prie, et mes prières sont de cet esthétisme qui a fait élever des cathédrales et construire des cachots.


Dans ces désirs immédiats dont se nourrit ma conscience, il y a toute l’énergie d’un désespéré incapable de mesurer ses propres abstractions.


Tant tout me semble vain, que même la musique m’est une source d’épuisement, entre la vulgarité et la prosternation.


Quoique je fasse, je le fais pour approfondir les gouffres dans lesquels j’élargis mes insomnies en m’y logeant verticalement.


Seuls les actes, dont l’immensité relève de la perfection, me permettent de dire que j’ai regardé l’homme par le haut, et ne m’en suis écarté que par la fatigue du voir.


La solitude est cette forme d’expiation que la douleur tangible tant elle a puisé dans la terreur d’être, une définition à la mesure des ses ambitions.


Toutes les musiques, si on les comprend, sourdent de ce besoin extrême d’épanchement.


Je ne me consolerai jamais d’exister autour d’un vide que j’ai construit pour pouvoir respirer seul et comme un idiot.


Dans nos impétuosités, nous entendons combien l’indifférence de nos propos s’étend, et combien elle justifie nos besoins de prières et de lamentations.


En déficience d’orgueil, voilà mon orgueil même.


Les mots ont des aspérités qui nous lient à l’existence, cet attachement nous les rend aussi intimes que si nous les avions dépucelés sur un terrain vague.


Mes passions avouées ou non, se sont tant attiédies que je ne sais que m’exprimer par de l’inimitié.


Je cherche une perfection indicible, inaudible, et qui se voit.


Je suis trop plein d’un moi ordurier qui la dernière et véritable substance qui me particularise.


On meurt de trop vouloir s’étendre dans cette incompatibilité d’humeurs devenue une expérience.


Lorsque ma déveine porte les traces d’une initiale démesure, vanité et opprobre m’apparaissent comme les faces d’une identique langueur, où j’aimerais tordre le cou de tous ceux qui ont mesuré mes déceptions.


L’idiotie du pathos se diffuse dans, et par tout ce qui est objectivé, et ne supporte pas la verticalité de toutes nos réprobations.
Toute musique rend persistant mon désir de vouloir mourir intoxiqué.


Tous les actes me semblent être des démesures, celles d’un cerveau qui cherche à évoluer impunément.


C’est aux endroits où s’est répété l’ennui que nous revenons toujours, pour prier ou vomir, selon qu’on soit enclin au salut ou à l’ivrognerie.


Je manque d’ardeur, mes incuriosités sont des ailleurs où l’aise est une réserve, et le déclin une forme de savoir qui m’érode et me ronge.


On ne saurait être que ce que l’on est, c’est en cela que consiste la sagesse, et si l’on fait un détour, il ne faut revenir qu’à soi.

Toutes les apparences ont ceci de remarquable, qu’elles ne se font face qu’à nos intersections de solitude et de superficialité.


Mon besoin de silence et de désespoir, est la réminiscence d’un temps ancien où je ne pensais pas à la dépense.


Dans ces demi sommeils où j’ai déversé tant de larmes pour de fétides divinités ,Dieu s’est parfois interposé pour me donner à réfléchir sur les déliquescences de la chair et du ciel.


Je suis en paresse de Dieu, je me contente du peu d’esprit que j’ai sous la main, dans l’intention d’un autre devenir, d’un autre service.


Nos maux, tour à tour, nous lassent ou nous élèvent, je cherche un promontoire pour jauger le peu de profondeur de cette croyance surannée.


Dans ce grand foutoir que la littérature corrige ou assassine, la déveine d’être, m’apparaît comme le seul cauchemar à thèmes.


Faute d’avoir quelque belle humeur qui nous tienne éveillés, hagards ou en péril, nous nous étourdissons avec le mot qui ne veut se prêter à aucune construction.


Obsédé par ce moi vulgaire et incohérent, et ne rien vouloir commettre.