Aphorismes 87


L’amour tient de l’impression, procédé émulsif de toutes les correspondances de l’esprit, quand il s’est doublé d’un combattant et d’un lâche, tous deux saisis du pressentiment d’une indétermination, du vague, du lourd, du lent, du lent, du lent et de la nécrose.

Ma douleur est du chapitre des attablements pour une cène sans apparition et sans partage.

Dans l’amour comme dans la souffrance, le désordre est la seule dimension qui vaille la peine qu’on le quantifie ou le sanctifie.

Ma soif d’illusions vaut ma soif d’illusoire
Barbarie d’exister dans cette haute torpeur où je pressens des fins sans élan, des détonations sans revolver.

Tant me reviennent toutes mes stérilités que je ne sais plus où m’accomplir sans sacrifier à ma vraie nature, misanthropie et erratisme.

Il y a dans toute lucidité un délice inaltérable qui confine à l’épreuve ou à l’hystérie.

Trop de larmes m’ont rendu inintelligibles les objets sans clé, représentation subtile des palliatifs de mon existence, et que j’affronte du regard pour leur rendre leur singulière violence.

J’avance ennuyé et ennuyeux dans un monde sans contenu, où mon devoir est de m’y défigurer dans la position d’un méditatif qui n’a pas eu de malheur décent.

Parfois le vide prend le visage d’une femme furieuse de nous avoir imaginé autrement contrefait.

Il m’arrive parfois dans l’idée que si je n’avais rien été je n’aurais eu d’intérêt qu’en naissant.

J’ai toujours cru que le monde était en apparence d’être, et que ma particularité d’homme lui conférait l’air d’un éternel teigneux.

Tout ce que j’ai voulu savoir sur l’autre, je l’ai d’abord nuancé en moi, pour mieux me dispenser d’avoir à le considérer ailleurs.

Je rêve de me convertir en apparence et en rumeur, et de réfléchir sur tous les prétextes d’être.

En danger dans un corps où culmine l’éternité d’être une restitution à l’éternité, je cherche à percer dans mes néants des portes qui donneront sur la plus absolue des tristesses.

Dans la diversité des caractères, le mien m’apparaît comme une liquidité sans glandes, une parade dans les commencements.

Carrefour des sentiments ;de quelle sombre portée achalandée à ma droite, jaillissent ces femmes sans rayonnement, et qui me distraient de toutes mes impuissances ?

Rester rudimentaire, devenir rudimenteur !

Dussé-je me prolonger jusqu’au siècle, m’infliger encore quelques décennies, je ne trouverai pas de remède à mes effarements, à ce dilettantisme primesautier, qui tiennent du délice de l’abstinence et de la boulimie à le montrer.

A tant fréquenter les hommes je suis devenu gravement ennuyeux.

Dans cette solitude où je m’enorgueillis d’une cécité, ma santé atteint à l’inutile, et mon corps tout entier dans cette vitalité sans motif se prend à rêver de somnifères.
J’ai tenu l’ennui pour une idéologie proche d’un apogée et j’en suis resté là.

Dans tous les propos que j’ai tenu sur l’amour ,il y avait de la momie et des fadaises sur son entretien.

J’ai suffisamment été insincère pour n’avoir pas aujourd’hui à édulcorer toutes les biologies qui me poussaient dans l’amour.

Quoique je fasse, je le fais dans la lucidité du lieu commun, et j’en vomis.

J’ai parfois atteint au statut de bourreau suffisant.

Dans ces bonheurs que confère la croyance ou l’hypostasie, les mots « Dieu »et «  Amour »viennent de si loin, qu’il faudrait les dire en latin, et prévoir une bouche sans crachat pour les tirer de la profondeur des siècles.

Pour me punir d’être, je me suis jeté dans les ignominies de l’intellect, et y épuisant tous les thèmes, je m’aperçois, que mes soupirs ne sont pas assez amers pour m’en désoler.

J’ai beau ouvrir les yeux sur les officines du cœur, je ne trouve rien pour me guérir d’exister.

Comme il me fut d’aise de m’encombrer de tant d’abâtardissements, je ne peux me considérer que comme un animal sans pudeur, qui peine dans l’impossible et se niche dans la vermine.

Ecrire c’est se vider de ses substances c’est participer avec ses nerfs à de vulgaires exercices de vivre, que jamais nous n’aurions entrepris dans la dentelle ou la broderie.

Je me perds dans les mots comme dans une province sans stèle et sans mausolée.

Etre serait savoureux sans l’ignoble idée du paraître et du devenir.

Je me suis attendri sur l’idée du suicide, sur celle de n’être plus, les ai entretenus comme on lisse un pont, polit un miroir, jusqu’à en oublier de quelles puanteurs elles émanent vers quelles profondeurs elles me tirent.

Je me suis nanti de prières comme d’un nécessaire viatique, pour aller jusqu’à Dieu avec la gravité d’un moribond sur le chemin des prodigalités.

Tout ce que j’ai conçu a concouru à me perdre par ses inanités, je n’aurais d’ailleurs de salut qu’en étant redevable de constructions, de conceptions moins abruptes que ces mêmes inanités.
 La somme des mes insanités vaut la somme de mes agonies, l’une dans l’autre équilibre mon ambulance et mes déambulations.
Je resterai cet inactuel avec les yeux emplis de dédain et de rage.

Je déborde d’une inadaptation aux utopies et craque de toutes parts dans les estuaires de l’impassibilité.

Ce qu’il faut d’exagération pour ne rien exagérer.

Dans mon sommeil,les interventions d’un diablotin douteux me relèguent dans le souci de ne pas le doubler.

Je ne conçois rien sans doute, c’est ainsi que j’ai pris le parti d’être insaisissable, le parti de ne pas tendre la main, sans lui avoir adjoint la déliquescence d’une anémone.

Depuis tant de temps, dans la foutaise et la baliverne.

Comme si d’une main je tenais un poignard, et dans l’autre la sainte coupe débordant de ciguë.

Le plus court des chemins pour aller au suicide est la déception.

Lorsque je suis dans le refus du sommeil, élevé au devant d’un vide ou d’une désolation, je sens que battre la pavé prolonge une enfance et un ennui aussi funèbres que ces inspirations venues un soir parmi les tombes.

Plus ailleurs qu’en moi-même je vois des sicaires exaltés qui doutent de leurs origines.

J’aime que dans mes hautes faiblesses ,quelque femme me suggère combien j’ai encore de vitalité pour un ultime combat dans l’enceinte de Dieu.

Être confiné dans un excès de vide et de vie.