Aphorismes 85


De naissance j’ai été immédiat, et n’ai rien pu contempler qui n’ait été incurable de ses soudaines commisérations.

Il est des jours où l’existence est compréhension, ces jours là il me semble qu’incoupable, je pourrais faire le plus ignoble des actes et poser mon front sur un caveau, sans qu’aucune convulsion ne me secoue ni ne m’abaisse.


Nulle part ailleurs que dans la maladie le chemin vers Dieu n’est grevé de paradoxes et d’audaces.

Dévoreur de larmes, il me semble qu’un Saturne plus intime que mes dérélictions, rend instinctifs mes penchants pour l’horreur tout en s’y annelant.

Embarrassé par la primauté et le perfection des mots, je cherche dans mes silences à interrompre ma participation à leur ascendance, et les sous multiplie pour d’indéfendables théories.

Épuisé et sans asile, mes errements me mènent malgré tout dans la désinvolture.

Dans mes fièvres, ma transparence prend la forme d’une détermination, condition essentielle pour être dans l’actualité du dire, dans la fanfaronnade d’un dynamisme organique.

Premier degré de la monotonie, un phénoménal mouvement de retrait, un ancrage dans les proximités des solitudes diaphanes.

La nature en quête d’un sens à ses occupations a mis l’homme dans ses temporalités et s’est contrainte à en accepter tous les inconforts.

Tout pèse, intérieur et extérieur, et plus je tremble, plus je touche à l’expérience de ce portefaix que l’excès de viatiques empêche de dérouler son pas.

J’aurais consacré une partie de mon existence aux inerties épuisantes, que ma vitalité mettait à l’abri de tous les regards.

On localise mieux les hommes dans la douleur.

Ma vacance est la vision d’un monde assujetti, et pour n’y pas participer, je cherche dans le vague d’écœurantes occupations, trouver la juste impasse, la juste dérobade.

C’est par excès autant que par défaut, que toutes mes soustractions ne furent que fausses dépenses et fausses hémorragies.

En matière d’homme qu’ai-je à apprendre de l’homme, qu’ai-je encore à chercher qui ne le dégrise de ses affolements, de ses invocations nauséeuses ?

Désert de sens et de sensations, de sentiments aussi, et dans ce mécanisme, je tente de calmer ma misère, en sarclant tout ce que j’ai arraché à des misères plus ancestrales.

Rien de sérieux dans la forme accoutumée du regret, si ce n’est cette obligation de le satisfaire avec les yeux humides..

Je retiens de la musique que je me romps en elle comme sous l’œil d’une déité muette qui m’observe sans m’accorder de souffle et de reconnaissance.

Plus vite j’arrive à mes fins, plus vite je m’en arrange.

L’existence est un dimanche en exil, en heures pesantes à l’intérieur, de tous les intérieurs.

Je me traite comme on déprécie un objet qui a suscité de l’amour puis de l’écœurement.
Mon salut serait de sortir un aveu, un seul,et qui pourrait justifier toute mon existence.

Sans le poids du paradis, le ciel couverait-il autre chose que le foutrerie funèbre des orages, que l’oratoire d’une eau qui nous rapprocherait d’une autre éternité ?

J’ignore combien j’ai pu m’endormir à la vie, de tout et de tous, et ne revenir de ces sommeils que pour les augmenter davantage.
Tout ce qui est objectif tourne autour de la mort.

J’ai fixé mes yeux et ma conscience sur le monde, pour me tendre en intensités et en extases, mais dans une vocation d’ennuyeux et d’ennuyé.

Il y a des jours où tout m’engloutit, et jusqu’à la musique je ne sais plus rien affronter qui me révulse où me révolte.

Rien n’existe en dehors de ce qui s’attarde à la périphérie de l’âme et que je regarde avec l’entendement d’un oisif qui s’est trop rapproché des inquiétudes de l’homme, de ses vicissitudes.

J’étouffe de ma mémoire et m’y sens complaisamment passif.

Je rêve d’un lieu innommé où je pourrais dormir à l’ombre de touts mes cécités.

Nous mourrons droits, d’une trompeuse droiture, comme pour regarder vers nos souvenirs leur rang et leur tonalité.

Ce n’est pas un mépris d’apparence que j’ai pour les hommes, c’est un mépris cultivé, justifié, mépris qui m’a précédé et que j’éprouve dans l’incommode philosophie du sang froid.

Vivre exige des panoplies et des apparences appropriées.

Comment n’être pas, et jusqu’à la folie, inconsolable d’être, quand sans l’aide des hommes on a été saisi par toute l’inanité de parler et de faire.

Dans ces moments où tout naturellement nous trouvons du sens à l’existence, est –il besoin d’aussitôt s’en consoler dans l’immodeste façon de le montrer ou de le dénier ?

Combien j’ai du lutter contre cette timidité, nuance d’une sagesse viscérale, que je pressentais comme une âme qui ne pouvait s’épancher que dans les recréations, les éternités à domicile.

Je crains de n’augmenter mon vivre qu’en m’emportant.

Il y a dans la conscience comme la perfection d’une funeste entreprise, que nous n’entreprenons pas, parce qu’elle s’ourle dans nos aspirations à l’ignorance.
Dans mes déficits d’allant, je reste malgré tout absorbé par la marche du monde, et je m’y démène à la manière d’un inconsolidé.

Dans mes ascétismes provisoires, et mes boulimies nomades, j’augure d’un corps falsifié qui se planquera dans les lieux d’aise ou de prière.

Ma mémoire est d’alternance et je m’y déplace à la manière d’un portefaix qui plie sous le poids des divines affections.

Une fois pris dans la vie notre cesse n’est que d’être une anticipation de cadavre.

Dans la lèpre du sentiment tout ce qui tourne autour de la bouche n’est que morve et vulgaires sentiments.

Une fois que l’on a compris que rien n’est profond, il suffit d’ironiser sur tout, et laisser à nos sensations leur caractère d’inanité, leur accent hybride de neurasthénie et de tendresse.

Plus je hais, moins je suis, ma gravité même ne peut me soustraire à ces méditations exsangues sur les incendies du verbiage.

J’ai beau me répéter qu’à la vue de tant d’ignominies, ma méthode pour me pousser vers le néant n’est qu’une occasion d’être extérieur, rien n’y fait, la méthode résiste, l’ignominie aussi.

Titulaire d’une existence où la licence est d’être, d’être et de le montrer pour de viles considérations.

Autant dire que c’est diminué que je me refuse résolument à l’excellence et à la singularité de l’instinct.

Avoir sa vie durant manqué de dignité et agonir de cette révélation.

C’est en vain que je me suis voué et attaché à la sagesse ;mon acharnement ne m’a pas mis dans la faveur de cette actualité où tout ce qui est visible est sauvé par les propriétés de son langage inaltéré.

Mes désirs n’ont pas toujours été de m’écarter de l’existence, d’y élever des estrades, d’y construire des ponts, tout comme ils n’ont pas été de me pencher sur les sarcophages ou de m’agenouiller devant des stèles.

La plus éthérée de mes absences se fait dans l’ombre la plus ténébreuse.