Aphorismes 73



Il faudrait que toutes les sensations qui font coller au monde, ne m’animent plus que d’un paroxysme de bête qu’on traque, dans la distance qui va d’un vivre à un mourir, sans passer par le regret.


Qu’y a-t-il de prévisible si ce n’est la souffrance et la mort, la souffrance avec ses basses tonalités et ses éclats de voix, ses sanglots dans le crépuscule, et la mort, unique réalité qui ne se soit pas émiettée dans ce temps où l’on a gâché sa vie à l’attendre, dans l’angoisse d’un devenir par trop mal rêvé ?


Mon obsession de la contemplation ne m’a donné le goût de celle-ci que dans d’éphémères joies, quand j’étais sans agitation dans les bras d’une femme aux douleurs plus grandes que les miennes.


J’atteins à l’ombre parce que je m’ y conduis un peu plus chaque jour, comme un exalté qui croira y trouver la trace d’un ancêtre qui lui enseignera où sont ses véritables ennemis.


Mes pensées les mieux fondées s’établissent toujours dans cette morne attitude que j’ai quand ma colère tient de l’harmonie, celle qui clarifie mes sens, en aiguisant mon regard sur le monde.


Dans les extases fécondes et réciproques qui vont de l’homme que je suis, à la femme qui consent à mes baisers, il y a le sourire universel d’une nature qui n’a été envenimée par aucun néant.


Je m’imagine parfois que mes racines ont recueilli tant d’humidité, tant de putridité, que je ne pourrais plus rester debout, et qu’aucun fruit ne naîtra plus de mes pensées fussent elles fécondes, c’est là que je deviens insignifiant.

Il faut penser l’amour respectueusement comme lorsqu’on rentre dans une église pour y rencontrer Dieu, dans la nef, la flamme étourdie d’un cierge, là où nul ne pose son regard, si ce ne sont les vieillards avec leur humble prunelle.


Le monde ne peut se passer de l’oubli, s’il s’en passait nous crèverions tous des douleurs qu’il a mis dans les prodigieuses musiques.


Dans chacun de mes atomes, dans chacune de mes cellules, s’endort le chaos, il y stagne, de sorte que je vais toujours vers l’homme avec mon rire jaune, et un sourire biaisé.


Ecoute Dieu quand il traverse ta solitude et ta tristesse, il veut t’apprendre à ne pas le chercher dans ces instants où tu meurs dans le moderne héroïsme des suicides à l’extérieur.


Siècle de vulgarité phénoménale, et que nous soutenons en étant des prototypes, des métaphores éteintes, une ombre profilée de la mort qui ne donne plus même d’inspiration.


Objet extérieur que ce sourire indéfinissable et qui témoigne aussi bien de notre insensibilité, que ce dont nous sommes pourvus pour nous dilater ailleurs qu’en nous même.


Quand je pars d’un moi instinctif j’arrive à un moi restrictif.


Tous les objets douloureux qu’on affectionne, comme dotés d’une noblesse qui nous échappe, s’ils savaient combien nous ne caressons que leur extérieur, pour ne porter notre regard que sur ces parts de nous qui leur ressemble.


Je ne pardonnerai jamais à l’homme de s’être vidé de son malheur, pour  des partages qui sont autant de glissements vers les non sens des contemplations obligées.


Toutes les purifications vont jusqu’aux soubresauts de cette âme qui ne nous regarde qu’au travers de nos peurs et de nos pâleurs.


Je m’agite, et l’expression est regrettable, je m’agite sans motif, et ça l’est davantage.


Quels que soient mes accès à la mélancolie, ils gardent de leur vulgarité l’attendrissant cliché d’une pente avec un calvaire.


A chaque fois que je me suis lassé de la vie, j’ai appliqué à mes propos l’imbécillité du dormeur, l’idiotie du moribond.


Que je me sois tant trompé sur l’existence n’explique que mes antiques impressions tiennent autant de l’amertume que de la concession.


Vivre en paresseux, mourir en exalté.


De l’aube au crépuscule, dans ce brouillard qui révèle les avantages de la parole, est il un instant où j’ai été profond, et où j’ai obéi à l’étrange cruauté de débattre sur l’infini du n’importe quoi ?


Rien ne saurait davantage me pousser au crime que cette vie que je ne comprends pas, et qui est légitimée par tous les signes qui créent des espaces où je dois contrer ou me taire.


Il y a dans  toutes les oppressions qui m’ont accablé comme un besoin de prière, de remords ou de mélancolie contre lesquels mes potentialités de sicaire ne peuvent rien…

L’amour est une révulsion du mensonge, et s’il ne l’est pas, c’est que notre lucidité est une reconnaissance nourrie d’un passé où nous avons failli.


La pensée est un fil rouge, un fil de sang converti en foudre et en éclair, une fois que l’on a palpité ou tonné, la pensée n’est plus qu’une pulsation de regrets chromatiques.


Créer dans la frénésie fulgurante qui va du cœur à la main en passant par les couleurs et musiques d’un cerveau qui cherche à évoluer.


La matière en fouillant dans ces passés où nous avons régurgité nos vies, n’y trouve que la trace d’un voile sali par nos distractions de solitaire.


Toutes les géométries de nos êtres sont d’étroites colonnes serrées comme des arbres dans une saulaie où les branches en se voûtant font des arcs et des cintres que nous ne savons plus contempler.


L’air est jaune, il augure d’une respiration fétide, nous voilà comme des bêtes entremêlées et qui courbent l’échine, puis s’écrasent sur le sable des torils où l’homme se rue pour les caillasser.


On regarde toujours trop haut.La musique est vapeur, la mélancolie aussi, nul  doute alors que toutes deux passent par les désastres du sang et de la chair. 

La vie est une accoutumance indolore, qu’on peut parfois douter d’être. 

Dans ces ivrogneries aiguës où je me fixe, est ce la souffrance ou la plénitude qui m’atteint, ou l’idée de m’absenter pour descendre en un dieu réhabilité dans toutes la apparences.


Le temps est la révélation d’un supérieur assassinat.


L’amour pourrit nos tendances à la misanthropie, seule et réelle conscience de soi.


Lorsqu’on s’est consolé du chaos, toutes les voix intérieures qui poussent au suicide, sont les lamentations de ces instants où tout avait un terme et non une issue.


Dégoût, phénomène de double vue.


L’intelligence est la forme diffuse d’un dieu pathologique.


Lorsque tout devient indolore, quelle forme de sensibilité pourrait mieux nous effleurer, que celle qui va du vide au néant sans passer par les déserts du sens ?


Que rien de ce que j’ai pu percevoir de l’homme ne m’ait conduit à la santé me condamne aujourd’hui à quelque élévation, qui tient du mysticisme et de la gloutonnerie.


Je n’ai jamais prétendu qu’être était douloureux, de cette imbécillité sont nés mes rapprochements d’un prodige établi dans la tentation du suicide.


Dans les tâtonnements voluptueux où le  corps s’engage, quelle est la part de Dieu qui reste saine et libre et qu’on ne maîtrise pas ?
La plupart de mon temps est un temps d’inconsolation où je parviens cependant à me rendre compte, rendre compte de quoi, je l’ignore, mais ça au moins je le sais !


La lucidité tient de la zoologie, elle nous pousse dans la connaissance de l’homme, mélange de glandes et de matières sanieuses, attributs de ces singes devenus muets de peur qu’on en fasse des entités qui souffrent et le montrent.


La poésie ne se limite pas à de l’insupportable, et c’est de là qu’elle tire son mépris pour les psychologies.


Lorsque mes vitalités rejoignent les  sommes de philanthropie que m’ont attribuée mes pairs, je me vois comme un Antée inébranlable et qui s’assèche, les deux pieds dans la tourbe.


Toute douleur gagne sur nos vitalités et soit nous apaise, soit nous courrouce jusqu’à devenir muets.


A aucun moment mon scepticisme n’est passé par quelque volupté, quelque tension qui auraient été une révélation de la mélancolie.