Aphorismes 69


L’assurance d’une disqualification m’amène à célébrer ma misère comme si je pouvais la répéter à l’infini sans qu’elle me rende admirable.


Comment tout ce qui nous fut impropre a pu nous guider vers l’intuition et l’invention ?


M’étant préparé à me comprendre, je fus étonné de n’y rien voir de personnel et j’en suis resté là.


La seule cause qui aura ma considération est celle qui ne réveillera personne.


Obscurci, amer presque malgré moi, comment aborder qui que ce soit sans y voir un moribond ou un ange détestable?


J’entre en déception pour la plus petite des anomalies qui n’indisposerait personne, mais me rend aussi malade que si j’avais regardé l’homme des heures durant.


Je récuse ces guérisons que la ténèbre n’a pas chapé.


Mes froides tyrannies ont été les seuls mouvements contrôlés auxquels j’ai donné du sens.


C’est dans un âge gâché et plein de gâchis que je me conclurai.


Rien de beau qui ne me fut permis ou autorisé, je suis donc passé par l’insulte ou le silence avec l’illusion de croire qu’on pourrait me consulter pour mon souverain désarroi.


Idéal :hydre acéphale


Il y a tant de lourdeur chez l’homme qui avance que j’ai opté pour la pause et la pose, toutes deux me comblant par leur décevante invariabilité.


Tous les airs sont désolants.


Appliqué à ne rien créer qui vaille la peine qu’on le regarde ou le cite, ma vie se sera située entre le canapé et le strapontin.

Comment Dieu peut-il rester indemne avec tout ce que je lui fais subir ?


Ma conduite ne doit rien à mes virtualités, mais bien à cette faillite anticipée que mon corps traduit par du retrait.


Ma patrie est dans l’ébriété ,et rien d'autre...


Au spectacle de toutes ces vitalités qui font de l’existence un cirque idéal, je ris et pleure comme un enfant apeuré par sa paresse et son crépuscule.

Les saisons fleurissent dans mon sang comme des éternités malades, et seuls mes souvenirs me rattachent à ce qui est, à ce qui me rachète d’être.

Je bois pour consciencieusement participer au monde, c’est de l’ordre d’une sainteté que de vouloir marcher jusqu’aux autels pour des libations, cette vitalité seule peut me faire déborder dans la parole et la prière.

Temps, positif et négatif de nos religiosités intérieures.

L’homme est une bête pratiquante postérieure à toute vie, et qui devrait considérer cette postériorité comme un délit.

Tous les imbéciles ont des occupations, ils n’ont  aucun besoin d’aucun effort pour être !
Je resterai ce permissionnaire qui prie dans un désert et se retire dans une cité en flammes.

Lorsque tout me devient impalpable, et que mon cerveau s’agite autour de cette constatation, je cherche à me déchirer pour une autre lucidité.

Je suis né vieux, avec la nostalgie de cette douloureuse enfance tant elle s’est précipitée dans le monde pour y noyer ses ubacs et ses adrets.

Je me suis répandu en mortes vérités, et n’ai pas songé un seul instant que toutes mes dispersions avaient à voir avec mes propres déserts, avec les plus sales de mes désespoirs.

La maladie couve effectivement des déserts d’affection.

Il arrive que d’abjectes pensées me parviennent toutes auréolées d’un devenir de grandeur, et que dans l’entreprise de les commettre, j’y trouve un prestigieux dégoût, mélange de boue et de sanie.

De l’ennui il y en a toujours là où je suis mis à mal, là où je me suis déchargé de toutes les vieilles vérités du monde.

Combien dans le tumulte où j’ai éparpillé des propos sur Dieu, j’ai cru m’élever, et combien de barrages se sont dressés devant moi, avec leurs cintres lourds, et leurs haubans si hauts.

La vie pousse trop loin et trop vite ses propres exagérations.

L’esprit est sans objet, sans dessein, l’esprit c’est le moment et l’espace où fleurit Dieu.

Que reste t-il de cette enfance bourbeuse comme un terrain vague où ses sont dessinées toutes les terreurs du monde, dans la promiscuité de tant de solitudes, dans la proximité des agitations acharnées, profondes comme l’amertume, initiales comme les erreurs ?

J’aurais la vieillesse en marge des aises, et retirées toutes mes parts d’homme, il me restera une immense tristesse comme en un jour d’autopsie.
Vivre est toujours tardif.

L’amour est une tromperie des sens qui se répète jusque dans le souvenir qu’on en garde, quand on a été assujetti à ses assèchements et à ses glaviots.

Mes agitations commencent par un regret et finissent dans la vulgaire moribonderie d’un assisté que le pathétisme pousse dans le mécanisme du vivre, encombré par toutes les innocences, par toutes les formes obsolètes de ses propres vulgarités.

Que fais je sur cette terre ,si ce n’est d’y entendre des hymnes, funeste consolation d’un pour qui la musique ne fut qu’un réel étouffement ?

Le monde n’a de valeurs qu’ajustées et ajoutées, et nous les mesurons dans l’insane volupté de l’amour et de la nostalgie.

L’art est un instant exténuant où nous puisons du cliché et de la nostalgie pour de l’effet et de l’apparat insupportables.

Mourir introduit en une femme comme en une tombe anticipée…

Dans la mélancolie tout est insupportable, et ce qui ne l’est pas le devient.

Je souffre d’une absence de souvenirs comme un damné de son châtiment, et dans mes marges, mon cerveau élève des musiques effroyables par leur cérémonial.

Il y a tant de solitude dans mon sang et jusqu’à mes os,que je ne sais plus où la placer sans qu’elle me donne le sentiment de l’ensevelir.


Tout se réduit à l’homme et le traverse.

Dans cette thérapie de la rédemption qui ne me fait entendre l’homme que comme un tumulte, je tente de me perdre en appels, de me pétrifier dans mes honteux soupçons.