Aphorismes 46


Entre la nostalgie d'avoir été ,et le regret d'une autre condition d'extrémisme et d'insoumission s'est glissé le pathétique objet d'y prendre goût. 

Satisfait, oui mais de quoi puisque tout est abus, puisque tout est vicié, jusqu’a cette souffrance que je consomme sans expier ces mêmes abus, ces même vicissitudes. 

Les paumes des femmes sont des abimes où nos pleurs ne sont que le surplus de nos suées d'après l'orgasme, de nos glaires et de nos sanies. 

J'ai fixé ma conscience sur tout ce que j'aurais voulu verrouiller, et qui va de mon intérieur vers cet amour du dessous de tout, vers ces individualités qui puent la neurasthénie. 

Mon dégoût de tout ce qui vit manque de fluidité, d’où mes relents de drame et de pourriture.


Vivre dans la lucidité, mourir par ce même poison. 

Si l'existence était la plus absolue des valeurs, resterions nous les yeux dans l'ombre, et dans cette ivresse de l'aveuglement? 

Quelque forme que prend mon corps dans la désolation, le devoir d'avoir été affecté l'emporte sur le devoir d'avoir été sain. 

Quand l'amour avec son vieil espoir et ses idéales inerties me manque, j’entre dans la forme élevée de la souffrance, et je ris ou je pleure ,déjà rattaché aux formes les plus banales de les regretter. 

Dans ce vaste cimetière, reflet du plus ancien de tous les renoncements, il y a toujours le plus petit et le plus sombre des vocabulaires, la plus petite des inclinations. 

A l'instant où je ferme les yeux, dispensé de louer la lumière, et tous les parfums, tous les objets de ma vie ressemblent à un jardin muet et sans balançoire. 

J'ai gaspillé en larmes et en prières pour gagner en repos, je suis pourtant resté dans la répugnance d'un dieu embaumé, tenté par d'autres ratages, par d'autres ratés. 

Je me suis suggéré de ne plus perdre de temps, mauvaise impulsion et improvisation; je dérive sur les derniers degrés de l'être, à proximité de parents plus pauvres que moi.. 

N'être tenté par rien, et dans tout ce qui ne nous appartiendra jamais, souffrir comme si tout était épineux, comme si tout était mort debout. 

Sous les ciels lourds ,quand l'obscurité gagne jusqu'à la substance même de ma tristesse, je me dis que mon âme est traversée de tant de déserts, que jamais plus aucune lumière ne m'atteindra, si ce n'est celle qui vient de ma fatigue, de toutes mes fatigues. 

Peut-on décemment aimer sans passer par les glandes ou les glaires? 

Terreur d'être et de le savoir, et frayeur, suprême empire sur lequel nous n'avons pas prise.


Dans cet art grotesque qui a fait du déchirement un étal de nos sexualités, l'image, odieuse réduction de nos sens, témoigne d'une sainteté à rebours, d’un infini d'inconsolations. 

Que serait l'existence sans tout ce qui s'inaccomplit ,sans cet ennui, combinaison d'une nervosité rentrée, et d'un songe perverti?. 

Dans mes mythologies, là où s'est installé un faune irréligieux, posté sur un tertre et sans jamais défaillir, un autre flutiste verse dans la mélancolie ses chants aussi funèbres que ses propres violences; et qui n'ont pas été déjectées. 

La parole déborde de barbarie. Ne rien savoir, ne rien vouloir connaître ni commettre, et mourir comme si nous avions tant accompli... 

Lorsque tout nous dirige vers la solitude, dans l'ascétisme avantageux que confère le confort du jeûne, l'ultime désir d'être encore parmi les hommes se fait dans les péninsules de nos pires manques. 

Dans les antichambres de la raison, lieu de vacuité , j'ai laissé mon cœur en étude de lui même, et mon sang y bouillir, comme si je devais agrémenter tous les ossuaires de pleurs et de repentirs avec les couleurs du renoncement.


Peut-on déserter son corps pour des introspections sans scalpel pour des organités sans bistouri? 

Quelque chemin qui m'ait conduit aux hommes est devenu pierreux, à mesure que je m'en suis rapproché. 

L'ennui a été la plus subtile et la plus saine de mes tentations, et j'y ai élevé tant de tromperies que mon corps ne sait plus atteindre à la moralité. 

Tant je me suis voulu en marge, que j'y ai pointé des milliers de divins zéros, et tant d'éros désappointés par leur instinct de velléitaire. 

Tout ce qui vit n'est pas, et tout ce qui est ne vit pas, serais je passé à côté de la plus idéales des tromperies, ou cette lucidité, dans l'amoncellement des regards complaisants ajouterait à ma conscience encore plus d'inadaptation? 

J'étouffe dans ce "Je" qui dort, pour n'être pas harcelé par ses dispositions à la noyade. 

Peut on mourir objectivement et positivement? 

Evoluer, oui ,mais vers quoi? 

Comment ceux dont les yeux se sont clos se représentent-ils la nuit, et cette nuit les voit-elle aussi attachés à ses dispositions et rouleries que nous le sommes?


J'ai éduqué ma tristesse à des extrêmes sans réduction où j'ai laissé des hommes dans l'embarras, mais m'y suis tant fourvoyé, que devenu impersonnel par tous les instants nauséeux et gâchés, je ne peux plus que faire illusion dans ces écarts, dans cette quarantaine. 

En théorie tout est tiré du néant, et le néant dans  cette optique n'est plus qu'un réduit où nous ne respectons même plus le mot "Dieu". 

Dans l'espoir d'un recommencement, j'ai abandonné tant de mes langueurs pour un rire saugrenu, mais ce rire n'est que le parfum proche d'une mort annoncée, qui ne m'aura même pas vivifié par ses distanciations. 

Le but d'être, est qu'une seule pensée, fut elle impensable, nous perpétue jusqu'aux idioties verticales et perpendiculaires. 

Toutes les musiques ne sont pas indolores, dussé je tourner mon imbécillité en hymne, que la terreur d'y entendre un dieu tonitruer ,me verrait sourd, voire hurlant pour masquer le son de ses atermoiements. 

Quelques que soient les formes que prend le bonheur, j'y vois les syllogismes d'une molle sensibilité qui va d'un cœur qui palpite à un autre sans ventricule. 

Instant, pathologie d'une éternité ,pathologie d'un iota de chaos accidentel.


Plus j'ai regardé les hommes avec cette connaissance des heures qui vont, avec leur sale fierté ordonnée comme des millimètres, plus ma terreur est devenue un état second où je me suis appesanti sur mes façons d'y prendre goût. 

Vivre est une habitude, qui fixée dans le temps devient la sourde et douloureuse mélodie d'un effort, d’un ahan primordial, essentiel, que nous n'aurions jamais commis dans la grâce des fonctions qui ne nous font pas défaillir. 

Est-il folie plus soudaine que de consentir à faire, à faire puis à douter de l'action qui aurait pu nous amener à la rédemption, si nous n'avions rien commis de sale, mais voilà ,nous sommes, cela aussi prête à toutes les ignominies? 

L'idée est une hydre qui niche dans la tourbe de nos fluctuations. Dans mes nuits blanches, ma vie m'apparaît comme un long boulevard où tous les suicidés du monde sont en récréation. 

Dans la mélancolie tout ce qui agonise s'inspire d'un autre moi. 

Toutes les vies sont des sanglots entre les déchirements de la hyène, le cliquetis du bec d'un oiseau, et les babillements d'un enfant qu'on endort dans le chant. Peut-on se guérir d'être sans passer par ses commencements? 

C'est d'être et de rester en vie qui est ma performance, le reste n'est que secondaire, voire d'une autre réalité.