Aphorismes 36
Etre serait savoureux sans l’ignoble idée du paraître et du devenir.
Je me suis attendri sur l’idée du suicide, sur celle de n’être plus, les ai entretenus comme on lisse un pont, polit un miroir, jusqu’à en oublier de quelles puanteurs elles émanent vers quelles profondeurs elles me tirent.
Je me suis nanti de prières comme d’un nécessaire viatique, pour aller jusqu’à Dieu avec la gravité d’un moribond sur le chemin des prodigalités.
Tout ce que j’ai conçu a concouru à me perdre par ses inanités, je n’aurais d’ailleurs de salut qu’en étant redevable de constructions, de conceptions moins abruptes que ces mêmes inanités.
La somme des mes insanités vaut la somme de mes agonies, l’une dans l’autre équilibre mon ambulance et mes déambulations.
Je resterai cet inactuel avec les yeux emplis de dédain et de rage.
Je déborde d’une inadaptation aux utopies et craque de toutes parts dans les estuaires de l’impassibilité.
Ce qu’il faut d’exagération pour ne rien exagérer.
Dans mon sommeil,les interventions d’un diablotin douteux me relèguent dans le souci de ne pas le doubler.
Je ne conçois rien sans doute, c’est ainsi que j’ai pris le parti d’être insaisissable, le parti de ne pas tendre la main, sans lui avoir adjoint la déliquescence d’une anémone.
Depuis tant de temps, dans la foutaise et la baliverne.
Comme si d’une main je tenais un poignard, et dans l’autre la sainte coupe débordant de ciguë.
Le plus court des chemins pour aller au suicide est la déception.
Lorsque je suis dans le refus du sommeil, élevé au devant d’un vide ou d’une désolation, je sens que battre la pavé prolonge une enfance et un ennui aussi funèbres que ces inspirations venues un soir parmi les tombes.
Plus ailleurs qu’en moi-même je vois des sicaires exaltés qui doutent de leurs origines.
J’aime que dans mes hautes faiblesses ,quelque femme me suggère combien j’ai encore de vitalité pour un ultime combat dans l’enceinte de Dieu.
Être confiné dans un excès de vide et de vie.
Plusieurs choses que je sais de la solitude, elle tient autant de la zoologie que de l’angélisme, toutes deux impériales virtualités que nous ne prenons au sérieux que dans le négatif de l’existence.
Dans cette torpeur irrespirable, mourir est couronné de l’hypertrophie d’un soupir et d’un râle.
L’idéal serait d’entrer dans la vie en scaphandrier et d’en ressortir en apnée.
Aucun de mes souvenirs n’est plus distinct,je poursuis des images constituées d’une évidence qui m’échappe,je procède du deuil de la constitution de mon ancien monde,de celui où j’avais conscience qu’être c’était aussi revendiquer sa somme de clichés.
Plus nous sommes désolés,plus nous usons de l’euphémisme et de la litote.
Parcequ’il m’est donné la présence de Dieu en toute chose,chaque objet figure pour moi le visage d’une individualité qu’on ne peut altérer.
Combien j’ai dû m’expliquer sur des crimes que je n’avais pas commis,et que j’aurais aimé accomplir fut ce dans la hâte de l’approximation.
Passer sa vie dans les nocturnes divagations afin qu’à la lumière des jours elles nous révèlent combien la pensée s’absout des efforts qu’elle aurait dû faire pour ne pas les contenir.
Etre est un crime à l’intérieur de nous sans matière et sans contenu.
De cette connaissance muette d’où je tire la vanité de me taire,qu’y -a-t-il de profond et qu’y-a-t-il d’altéré qui n’ait été souillé par mon côté larvaire ?
Mes tristesses et mes hontes n’ont pas la rigueur de ces liquidités que je retiens et qui font carrière dans la logique d’un silence de présomptueux.
À l'origine de mes maux, l'homme , l'homme avec ses abjectes proférations face à l'ultime.
Je n'ai pas de réelles dispositions pour l'existence, je dure parce que j’y perds pied avec toutes mes inconséquences ,celles où je sévis comme quelqu'un qui oublie qu'il a trépidé.
Je resterai un affairé de l'existence, impermanent et ébloui par ce qu'il a constitué, paresse et dilettantisme, tous deux impliquant que rien jamais ne m'assaillit.
De déconsidération en déconsidération, ma foi en l'homme a pris les proportions d'une sale conscience que j'ai revendiquée pour n'être pas dans le pire des maux, la solitude.
La pitié arrive toujours du côté où on la discerne le moins bien.
J'ai si souvent contrarié Dieu que je doute d'une inversion de ses sentiments mon égard.
Si j'avais davantage réfléchi à l'homme, je me serais flingué ou pendu.
Condamné à vivre, l'homme penche tant pour l'unique, qu'il en oublie que ce qu'il perçoit de lui-même n'est que l'ordre du tic et non de la manie d'exister.
Ciel gris, lourd, neigeux, la forme même de ma mémoire, de mes nations extrêmes, c'est-à-dire de mes pensées est nauséeuse, je ne peux plus retenir que des aberrations.
Sempiternelle santé, suprême perversion de la matière, que ne sommes-nous nés malades pour être le témoin de nos plaisanteries, celle du sang qui circule, de la chair qui nous consume.
Après s'être contenu des années durant faute d'être primitif qui cherche la frappe, l'homme dans sa vieillesse se rappelle à lui pour une dernière érection en se souvenant qu'il peut cogner.
Jusqu'à notre propre famille nous sommes parfois confirmés dans nos fonctions de fils haï puis prodigue tant il a été qualifié de malsain.
Toutes nos fausses pistes vont du fanatisme à la croyance en passant par le théâtre des manoeuvres indigestes.
Dans mes insomnies, multipliant ma quarantaine, il me semble que le plus petit de mes projets est de l'ordre d'une trouvaille superflue.
Je me serais bien passé de toutes ces performances qui auraient pu m'amener à la réflexion sur l'inconvenance de l'équilibre et de ses évidences.
Je me suis toujours recommandé de ces musiques qui confirment la dignité et l'amour.
A chaque fois que j'ose avouer un bonheur, il me semble secouer une présence morte.
Toutes ces rencontres que j'aurais aimé justifier en les insultant!
Lorsque vous avez envie de disparaître, insistez, vous commencez savoir le fond des choses .