Aphorismes 35

Toutes les questions m’emmerdent, et celles qui m’emmerdent le plus tournent autour de l’âpreté du sentiment, autour des non-sens de l’amour voulu pour se racheter des magnanimités mal digérées.

Ma rancœur est un écoulement qui s’ourle de la stupeur de vivre.

Dans l’amour le corps est une imposture, le temple des lourdeurs, et l’âme une effluve qui s’applique à la lame et à la larme.

Je ne considère rien auquel j’ai du obéir, et que j’ai aussitôt dénié par le désastre du faire.

Dans les déserts du sens, ma neutralité est plus réelle que les idoles qui s’en désolent.

J’ai le goût douteux du disparaître, et celui agrandi de rester dans l’effroi d’un funèbre devenir.

Dans la solitude j’ai cherché à vénérer un dieu indifférent à cette même solitude.

Là où je me rejoins, tous les nœuds de ma condition coïncident à des accidents, à l’expression de la douleur de cette conscience d’être, et de singe exténué.

J’aurais renoncé à tout ce qui aurait pu faire mon bonheur, un bonheur d’effusion et d’instinct, pour une croisade vers les paradis de la pulsation, et ceux des lentes exaltations qui dérivent d’une extrême lassitude, éternelle et sans but.

Je me retirerai de l’existence comme du bas ventre d’une femme haïssable, tant elle aura parfumé ma ténèbre d’essences excrémentielles.

Il existe en moi un Job pulvérisé que l’excès d’endurance pousse dans le messianisme et la théocratie.

Tous mes actes sont le positif d’une défaite anticipée.

L’amour tient de l’impression, procédé émulsif de toutes les correspondances de l’esprit, quand il s’est doublé d’un combattant et d’un lâche, tous deux saisis du pressentiment d’une indétermination, du vague, du lourd, du lent, du lent, du lent et de la nécrose.

Ma douleur est du chapitre des attablements pour une cène sans apparition et sans partage.

Dans l’amour comme dans la souffrance, le désordre est la seule dimension qui vaille la peine qu’on le quantifie ou le sanctifie.

Ma soif d’illusions vaut ma soif d’illusoire
Barbarie d’exister dans cette haute torpeur où je pressens des fins sans élan, des détonations sans revolver.

Tant me reviennent toutes mes stérilités que je ne sais plus où m’accomplir sans sacrifier à ma vraie nature, misanthropie et erratisme.

Il y a dans toute lucidité un délice inaltérable qui confine à l’épreuve ou à l’hystérie.

Trop de larmes m’ont rendu inintelligibles les objets sans clé, représentation subtile des palliatifs de mon existence, et que j’affronte du regard pour leur rendre leur singulière violence.

J’avance ennuyé et ennuyeux dans un monde sans contenu, où mon devoir est de m’y défigurer dans la position d’un méditatif qui n’a pas eu de malheur décent.

Parfois le vide prend le visage d’une femme furieuse de nous avoir imaginé autrement contrefait.

Il m’arrive parfois dans l’idée que si je n’avais rien été je n’aurais eu d’intérêt qu’en naissant.

J’ai toujours cru que le monde était en apparence d’être, et que ma particularité d’homme lui conférait l’air d’un éternel teigneux.

Tout ce que j’ai voulu savoir sur l’autre, je l’ai d’abord nuancé en moi, pour mieux me dispenser d’avoir à le considérer ailleurs.
Je rêve de me convertir en apparence et en rumeur, et de réfléchir sur tous les prétextes d’être.

En danger dans un corps où culmine l’éternité d’être une restitution à l’éternité, je cherche à percer dans mes néants des portes qui donneront sur la plus absolue des tristesses.

Dans la diversité des caractères, le mien m’apparaît comme une liquidité sans glandes, une parade dans les commencements.

Carrefour des sentiments ;de quelle sombre portée achalandée à ma droite, jaillissent ces femmes sans rayonnement, et qui me distraient de toutes mes impuissances ?

Rester rudimentaire, devenir rudimenteur !

Dussé-je me prolonger jusqu’au siècle, m’infliger encore quelques décennies, je ne trouverai pas de remède à mes effarements, à ce dilettantisme primesautier, qui tiennent du délice de l’abstinence et de la boulimie à le montrer.

A tant fréquenter les hommes je suis devenu gravement ennuyeux.

Dans cette solitude où je m’enorgueillis d’une cécité, ma santé atteint à l’inutile, et mon corps tout entier dans cette vitalité sans motif se prend à rêver de somnifères.
J’ai tenu l’ennui pour une idéologie proche d’un apogée et j’en suis resté là.

Dans tous les propos que j’ai tenu sur l’amour ,il y avait de la momie et des fadaises sur son entretien.

J’ai suffisamment été insincère pour n’avoir pas aujourd’hui à édulcorer toutes les biologies qui me poussaient dans l’amour.

Quoique je fasse, je le fais dans la lucidité du lieu commun, et j’en vomis.

J’ai parfois atteint au statut de bourreau suffisant.

Dans ces bonheurs que confère la croyance ou l’hypostasie, les mots « Dieu »et «  Amour »viennent de si loin, qu’il faudrait les dire en latin, et prévoir une bouche sans crachat pour les tirer de la profondeur des siècles.

Pour me punir d’être, je me suis jeté dans les ignominies de l’intellect, et y épuisant tous les thèmes, je m’aperçois, que mes soupirs ne sont pas assez amers pour m’en désoler.

J’ai beau ouvrir les yeux sur les officines du cœur, je ne trouve rien pour me guérir d’exister.

Comme il me fut d’aise de m’encombrer de tant d’abâtardissements, je ne peux me considérer que comme un animal sans pudeur, qui peine dans l’impossible et se niche dans la vermine.

Ecrire c’est se vider de ses substances c’est participer avec ses nerfs à de vulgaires exercices de vivre, que jamais nous n’aurions entrepris dans la dentelle ou la broderie.

Je me perds dans les mots comme dans une province sans stèle et sans mausolée.