Aphorismes 27

Etre, c’est jouer au phénomène.


Si je ne m’étais étendu tant et tant, comment pourrais je répugner à la parole, comment pourrais je chercher à cette langue, si je ne l’avais déjà quittée..


Tout ce qui est profond nous donne le sentiment d’avoir atteint un but, d’avoir trouvé, mais d’avoir touché à quel but, et d’avoir trouvé quoi !.


L’intensité de mes silences est mesurée par l’arrogance de mes propos, si je parlais davantage, je ne pourrais qu’encore fanfaronner, toucher à l’exécrable.


Tout ce qui dure n’est que trop étendu, combien j’aime le laps qui est le meilleur du temps compté, autant du regret que du soupir.


Il suffit de souffrir pour se justifier, pour tout justifier.


Mes articulations craquent autant que mes sentiments, je ne peux ni aboutir à une idée, pas plus qu’à un amour sans me détériorer, sans m’apitoyer sur cette part de moi qui n’en finit pas de s’exténuer.


Je suis et resterai un transfuge du bonheur, à quoi bon quitter le meilleur de mes désastres pour m’alourdir d’une autre souffrance qui ne serait pas à mon goût.


Autant prosterné que consterné, autant évoquant Dieu que le dissolvant, autant jeûnant que dans la boulimie, c’est dire que je déteste les demi mesures qui vont si bien aux illusifs de métier, aux suiveurs et aux dépendants.


Après les excuses ,le dégoût ;on croit toujours toucher à l’euphémisme par la parole qui s’en délie, pris au piège d’une rancune que n’affecte que le venin de l’anémie.


Que celui qui a une mission mesure jusqu’où il doit parvenir pour s’acquitter d’une vie vouée à sa disparition.


Toute expérience est unique, c’est l’excuse que nous pouvons invoquer pour laisser à notre conscience le droit de jubiler d’un phénomène.


La musique nous fait entrevoir jusqu’où la vacuité des mots peut nous conduire, c'est-à-dire à la prière ou à l’injure, variétés d’un aparté que seul nous approuvons.


Tout ce que nous ressentons, et par là même que nous vivons ,n’a d’échos injustifiés que lorsque nous sommes assurés.


Quand mon sérieux m’essouffle ,je me ramène à moi par des grondements et des pitreries, triomphes d’un imbécile qui a trop parlé.


Toutes les vies privées sont des détroits où coulent des intentions.


En vérité je n’aurais été qu’un fanfaron tourné vers ses inepties, ses erreurs et ses maux, un spectateur sans aise, qui n’applaudit pas, et qui s’ennuie, qui s’ennuie…


Toutes les questions sur l’ailleurs, à quoi bon en parler, puisqu’elles ne touchent qu’à la bière et aux enterrements.


Plus je me désole et plus j’écris, je n’ai de cesse de penser que cet avenir ne sera que le juste milieu entre une attaque et une défense…


Je m’accommode mal de tout ce qui s’avère faux, autant de ce qui est tangible, bref mon existence est vouée à d’autres désirs que je ne sais nommer, peut-être parce qu’ils sont inconvenables.


Réunions ,comités, podiums, estrades, combien dans les sphères où la parole n’est qu’agrément,  j’ai pu rester silencieux pour préserver mes identités, sans m’insinuer dans une quelconque intention de dire...


Impropre à mon goût de moi-même...


Une autre vie pour d’autres idées d’idéal, et toujours des mots pour des désirs en aberration de sens.


Tant l’examen de moi-même me pousse à l’incuriosité de l’homme, tant je considère cette évidence comme ma propre suffisance..


Ce qui nous paraît essentiel , est ce que nous pouvons atteindre, et qui atteste de nos capacités à vivre.


Combien j’aime les esprits qui ont eu le souhait, le désir de disparaître, et se sont tant ignorés qu’ils moururent sans s’être trouvés.


Toute lucidité passée au peigne fin, commence par un acharnement et finit dans la confidence..


Combien j’aimerais renoncer à la parole ,toutes les paroles, et ne plus me servir que du signe pour entrer dans du secret.
Est insondable ce qui ne se prête pas au spectacle du voir..


Tant de vies qui n’auraient d’intérêt sans leur carrière, tant de carrières qui ont commencé avec un désaveu de la vie.


Mes échecs m’ont ordonné, c'est-à-dire qu’ils m’ont appris à m’effacer en entrant dans l’incuriosité et par là même la sottise..

Vivre, c’est faire preuve.


Comme je n’ai rien voulu entendre, je me suis étendu sur moi, autant dire sur un non sujet.


De temps en temps mon cerveau m’accompagne, et me voilà encouragé..


Chaque fois que j’ai un argument qui vaut, je le rumine jusqu’à ce qu’il ne vaille plus la peine d’être exploité.


Si tu veux passer ta vie dans l’intranquillité , crève de rage en tout.


Tout va de paire avec l’embrouille ou la connaissance.


Ce que l’alcool réussit à effacer en moi lors de mes libations, le voilà le jour d’après comme une sous réalité sur laquelle je ne veux pas être entendu.


Le secret parade dans l’obsession de l’exclusion.


Tous mes déséquilibres sont dans l’exposition.


Quelque décision que je prenne, elle m’apparaît aussitôt comme de la bouffonnerie érigée en grandiloquence..


Tous les jours je risque ma vie, je suis, et cela n’est pas une mince affaire.


Judas reflète la joie du spectateur.


Etre forcé au « je »,être forcé à la maladie d’être.


Et dire que je me suis attardé sur tant de détails, pour n’en retenir que ce qu’ils avaient de moins saisissant.


Est libre celui qui n’a aucun lieu en lui pour s’y planquer.


Toutes les formes de souffrance que j’ai connues ont été des tabernacles, où j’ai caché tant de cette ténèbre pour n’avoir pas à m’exalter dans de l’obscurantisme.


Dire, parler, émettre, tous tiennent de l’autopsie et du corbillard.


Chez moi tout est finissant, tout a été finissant, et tant finissant que j’ai fait figure de vieillard, mais de vieillard qui s’éternise..
La curiosité m’a poussé vers l’argot, la roture et les alphabets..


Voilà qu’on assassine ma langue et mon pays, voilà qu’on m’exile une nouvelle fois, voilà qu’on me veut à nouveau dans la colère et le mépris.


Jamais ma gaieté ne m’ a délivré de tout ce que j’ai proféré comme insanités, pour n’avoir pas à souffrir le luxe des vanités.


N’ayant trouvé de sens à rien, comment considérer dès lors que ce rien n’ait jamais été définitif.


N’être pas privé du bonheur de tourner le dos et les talons.


Le moi sujet doit sa prolixité à toutes ces occasions manquées, qui m’ont fait assister à la vie comme à un complément à ma misère.


J’ai fait de tous les modèles de noirceur, des doubles adéquats qui m’ont défait, mais magistralement.


Qu’ai-je obtenu qui m’ait satisfait sans m’atteindre dans ma frayeur de le perdre aussitôt, parce que j’aurais été dans la constance de ne rien vouloir posséder ?


Plus ma vacuité me porte vers la cécité, plus j’ai en évidence que tout ce que j’ai entrepris je l’ai considéré comme l’incarnation même de tous les actes qui soulèvent la question de l’inexistence.


Qu’ai-je attendu qui me fut tant étranger, et m’a mis dans le désespoir d’être vertical et de le rester, si ce ne sont les mots, rien que les mots ?


Dans le n’importe quoi où s’est imposée ma présence, mon irrespirable solitude a ressemblé à ces incendies obligés comme lors des retraites.


Nulle part où poser mon corps sans y voir le corps d’un gisant.


Il y a tant d’espace entre les hommes et moi, que le plus vaste des esprits n’y occuperait que celle d’un effronté.


Mon besoin de déception atteste qu’un diable boiteux m’accompagne, marche à mes côtés, et semblable au plus déclinant des voisins, me pousse dans la fréquence des inconsolations.


Que ne suis-je cet organe provisoire, fixé en un seul instant, pour une construction qui s’ébranlera sitôt érigée !


Ma tristesse est une éternité fragmentée où mon propre jugement est celui d’un Job sous vitalisé, qui a la pâleur de tous les objets qu’il a mendiés.