Aphorismes 20

Quoique je commette, j’ai le sentiment d’avoir orchestré des représailles, et en suis honteux comme un Job sur son fumier. En mon for intérieur un Hamlet dort dans un sarcophage, et Djoser s’arrange avec des reîtres. 

Rien n’existe en dehors de ce que je saisis du monde quand je suis livré à l’ivresse, et que celle- ci a été brodée sur le comptoir des contentieux et des désespoirs. 

Dans chaque amour naissant je suis un globe tendu des déceptions à venir, et rien ne peut me réconcilier avec la chair, pas même de m’y voir grandi, gagné d’une indéniable beauté. 

Dans la nostalgie, les croix ont de célestes attitudes, dans l’ennui, elles sont dans le sens d’un défunt monté dans l’azur fatigué des hommes et de lui-même. 

Dans mes insomnies mon corps est sans signification, pourtant il supporte cette vulgarité des heures qui sert la conscience, en lui donnant à réfléchir sur ses propres insignifiances. 

Nulle part ailleurs que dans ma chambre, quand j’ai accompli le désastre de veiller, je sens que la matière même de l’existence n’a de charnelle que la douleur. 

Dans les yeux des femmes, quelque indicible évidence, mais qui nous survient ,nous laisse à croire que seule notre souffrance est lyrique. 

Il me semble que j’ai plus d’esprit dans l’alcool, et que débarrassé de l’inconfort de la parole, je m’oriente autant dans la prière que dans l’insulte. 

Paradoxe de ma santé, elle fait d’un été nauséeux un lieu de sévère inspiration, et de l’hiver une porte sur le souvenir. Quel dommage que dans les bistrots on ne serve pas de l’ennui et de l’approximation !

La maladie, il faut la ressentir comme une embellie de la lucidité. 

Sur tous les territoires où j’ai posé le pied j’ai eu la sensation de décliner ,de me décliner, la sensation que des épines crevassaient mon front et ma voûte plantaire. 

L’homme est, et restera un absolu de désaccords. 

Tout ce que j’ai perfectionné dans la nuit, avant qu’encouragé par le sommeil je ne stagne dans d’insalubres dilutions, s’est dès l’aurore évaporé en de volatils scepticismes...

Ne commettre que de l’irréparable, comme naître. 

Il m’a été donné de participer à la vie, et combien je cherche à me faire pardonner cette déficience. 

La souffrance, si elle était de l’ordre d’une initiative ne tenterait que les fous ou les saints. 

Rien n’est plus déchirant que de se sentir superflu, cette lucidité devrait pour le moins nous effleurer, fut ce pour n’en garder que la trace du souvenir. 

Le cœur est le seul endroit où tout peut se pétrifier et se putréfier, sans que nous fassions l’effort de comprendre ce qu’il adviendra de ce tout. 

Ma conscience est une exaspération de prières. 

Dans la désolation nous regardons la mort comme un droit à la dernière et véritable somnolence. 

La musique est un prétexte d’absolu, et plus nous nous en approchons, plus elle s’éloigne de nos limites à la reconnaître comme habitée par une âme, qui tour à tour résiste à nos désastres et à son propre déni. 

Une nette application à crever, oui ,mais proprement. Le printemps comme l’été m’amènent à de funèbres spleens, et jusqu’à ma façon de me vêtir, j’y ai le goût de la substitution. 

Je suis un antique de l’imploration, quelqu’un qui agite des carillons et désespère de la modernité des orgues.  Si tu veux éprouver quelqu’un, flatte le ! 

Coexister et cohabiter, états de mon impuissance à vouloir être deux. 

Dans ces réduits où ma médiocrité a pris les proportions de quelque férocité à l’égard des hommes, mes commentaires restent la dernière instance qui soit normale. 

La plupart de mes pensées, fussent-elles à mes antipodes ont échappé à de l’existant. Quelle belle idée que de ne fréquenter que soi !. 

Quelque soit le temps, ma conscience en appelle aux ruptures, et le ciel réfractaire me réserve malgré tout des entrées pour mes vulgaires prosaïsmes. 

Tous les objets précis auxquels j’ai adjoint mes idées, se sont un jour métamorphosées pour n’être pas en contact avec mes ostentations. 

Fantaisie de la création, mon moi besogneux transporte l’image de ses discernements jusque dans mes sommeils. Trop souvent obligé aux inconséquences. 

Cancer de l’acte, la parole s’immisce jusqu’à nos témoignages, et ne peut plus même représenter nos paix ou nos revanches. 

Quelles que soient nos générosités, elles ne sont pas à la hauteur de ce luxe ostentatoire fait dans la parole, que nous entretenons pour compenser d’invisibles désordres. 

Au plus fort de mes détachements, le chaos me persuade de nouveaux saisissements, d’une nouvelle épaisseur où mon corps s’englue et se dissout. 

L’habitude m’a détourné de toutes les formes du devoir et du vouloir, et je l’honore tant je peux y cultiver les affres de mes inconsolations. 

J’ai balayé de ma conscience une profondeur sans orthodoxie, et je m’y suis endormi. 

Qu’ai-je construit à quoi je me sois attaché, et qui ne soit dans la lésion des devenirs sans vitalité ? 

Je me suis essayé à de l’esprit, cette entreprise ne m’a pourtant pas réconcilié avec les délices de l’organisation de ces cerveaux enclins à ne rien vouloir voir disparaître. 

Il ne m’appartient plus de m’inquiéter, c’est aussi une forme de despotisme qui supporte le mieux toutes mes dégringolades, spectacle ancien de mes philanthropies. 

A l’examen de mon mépris des hommes, je décèle combien j’ai manqué d’occasions et d’opinions, et combien cette subtilité m’a valu d’être réduit de courir après des excuses et des apitoiements. 

Au spectacle de cet esclavage empressé où l’image a affaissé et rabaissé l’homme, qu’y a-t-il de plus sot, de plus exact aussi, de plus accablant, et que je n’ai regardé comme la consolation de mes inaccessibles saluts ? 

Toutes les dimensions du paraître s’accommodent mal de la restriction. 

A mesure que je m’enfonce dans la vie, toutes les affaires que j’ai voulues réduire à la modestie, donnent sur une mauvaise part de lucre ou de butin mal acquis. 

C’est précisément ce qui est précis qui m’emmerde, et ce qui ne l’est pas m’emmerde davantage. 

Coupable de m’insinuer dans l’existence, et de m’y vautrer comme une hyène sur une charogne infecte et amorphe. Ma verve s’est établie sur des sophismes inemployés, de douteuses litotes, et des regrets sans substance. 

Quand l’homme s’abaisse à ses pires essentiels, convulsion ou révélation, j’illustre sa chute avec un supplément de verve et d’ironie.

 Dans cette continuité d’être, où mes convulsions sont des enfers fournis, mes impudeurs éclatent entre la note et le mot ;je tente alors d’adoucir mes maux avec d’autres châtiments plus élevés, entre le célibat, la prudence, le jeûne, la solitude et l’ennui.