Aphorismes 14

Nulle part ailleurs que dans ma chambre, quand j’ai accompli le désastre de veiller, je sens que la matière même de l’existence n’a de charnelle que la douleur.


Dans les yeux des femmes, quelque indicible évidence, mais qui nous survient ,nous laisse à croire que seule notre souffrance est lyrique.


Il me semble que j’ai plus d’esprit dans l’alcool, et que débarrassé de l’inconfort de la parole, je m’oriente autant dans la prière que dans l’insulte.


Paradoxe de ma santé, elle fait d’un été nauséeux un lieu de sévère inspiration, et de l’hiver une porte sur le souvenir.


Quel dommage que dans les bistrots on ne serve pas de l’ennui et de l’approximation !


La maladie, il faut la ressentir comme une embellie de la lucidité.


Sur tous les territoires où j’ai posé le pied j’ai eu la sensation de décliner ,de me décliner, la sensation que des épines crevassaient mon front et ma voûte plantaire.


L’homme est, et restera un absolu de désaccords.


Tout ce que j’ai perfectionné dans la nuit, avant qu’encouragé par le sommeil je ne stagne dans d’insalubres dilutions, s’est dès l’aurore évaporé en de volatils scepticismes...


La réalité est affliction, combien aussi les objets sans substance supportent nos lyrismes et nos regards, impropres évidences, sans inspirer l’érotisme qui leur est dévolu quand nous les rêvons.


Il arrive que le regret me saisisse de sa main lépreuse et argentée, et que dans son élan elle agite mes souvenirs comme les grelots de toutes les fables où j’ai prononcé le mot « femme » et le mot « Dieu » sans qu’ils ne résonnent en aucun lieu...


Il y a des matins où aspiré par je ne sais quel souffle, je me sens détaché de tout, et ma vacance et mon épuisement me semblent des objectivités dérisoires, me semblent des accords avec la charogne.


A intervalles je me compromets avec l’homme, j’ai beau faire la promesse de ne pas me conduire en ingrat, en insatisfait, rien n’aboutit ;mon humeur est toujours dans le doute et le détachement.


Dans ce spectacle de présences, la mesure est à l’haro ou à l’applaudissement, quant à moi je me compromets dans le silence, faute de ne savoir proférer.


En l’audace de dépérir proprement, il y a l’idée que dans un ailleurs vertigineux quelqu’un nous attend et qui aimerait que l’on soit bien mis.


Tous les évènements de l’existence, s’ils ne sont pas examinés singulièrement, donnent accès à ces reculades qui sont autant de transes que d’oscillations.


Pousser sa vie dans le vacarme, mettre ses pas dans la cendre, et oublier combien un insecte montre la direction du ciel, et le livre celle d’un incendie.


La modernité tend des pièges entre la morale et la religion, toutes deux tonalités de nos propensions à oublier qu’il y a autant de place pour l’homme et pour Dieu sur les chantiers de la création.


L’intelligence est parfois une pathologie d’absolu.


Combien j’envie tous ceux qui peuvent dire "Je »,sans être traversés des mortes connaissances.


La perfection offre le spectacle du pitoyable, il n’y a rien qui y défaille ou s’y intimise, elle est cet argument que brandissent les mortels, comme un sceptre contre leurs propres dilutions, celles où je verse, pour devenir un objet de fatigue et de renoncement, voire un berceau initial et originel.


De toutes les contingences de mes possibles, la plus enviée est celle où l’intensité de mon existence égale l’intensité des crépuscules animés par les yeux des morts.


Dans la souffrance ,la respiration est un hymne, et la coloration de notre chair peut autant évoquer le singulier palimpseste d’une table de lois, que le sable aggravé des pleurs de toutes les Madeleines qui n’ont pas su se précipiter dans le pardon, sans passer par le labeur du lavement des pieds d’un Christ qui n’aurait pas fait l’aumône.


La nuit est une éternité bornée par nos rêves et nos souffrances les plus intolérables.


En ces occasions où l’amour se contient, puis est submergé par toutes nos neurasthénies, il m’arrive de croire que la matière même de mes désirs est une damnation, l’ultime éclairage que ma chair pourra traduire par ses débordements.


Comme rien n’arrive sans qu’il ait déjà été amoindri, j’anticipe sur les petits-tout crépusculaires, pour m’apaiser de mes crises d’inconsolation.


La tristesse est un filtre qui s’applique à toutes les voix intérieures, quand nous les décourageons de leur tessiture et de leur altération.


Rien que je n’ai tant vu défaillir que le mot,et qui m’ait dévitalisé au point d’avoir la révélation que toutes mes anémies passaient par l’abattement de tous mes arguments.


Sans mes élans, essors excessifs quand ils sont commis au détriment de ma conscience, j’aurais passé ma vie à m’inventer des dieux et des aurores, vers qui j’aurais pu gueuler et me confesser du prestige de mes stagnations, sans même en demander le pardon.


Il vaut mieux que je ne m’approche d’aucun homme, cette proximité me conduirait à de la morve, et mon sang ne faisant qu’un tour me mènerait à des roueries.


Après mes nuits mouvementées, la moindre de mes réflexions est un essentiel exacerbé qui monte vers le ciel comme un pacte ou une condamnation.


Dans mes dégoûts, j’ai été tenté par des déchéances sans propriété, par des fragmentations impropres aux commentaires, révélées par cette parole inconsentie ,autopsie d’un corps qui ne veut plus de ses quotidiennes roulures.


Les hommes n’auront plus besoin de moi, ni de ma sollicitude, fussent-ils poussés jusqu’à ma porte pour y convoiter toutes les tromperies dont ils m’ont fait le secret détenteur.


Mes larmes se sont multipliées dans cette fatigue et torpeur d’être, que ni le café ni les somnifères ne peuvent temporaliser, tant elle est le siège même de toutes mes soustractions.


Je suis l’héritier de ces fugitifs excédés par leur déplacement, et qui à chaque frontière touchent au fil électrifié de l’ennui et de la révolte, sans pouvoir, sans savoir où est la place réservée pour leurs contemplations.


Tout est soporifique, et Dieu substance impropre à le digérer.


Dans ces instants où les choses sont conçues comme des figurations, les yeux des femmes sont des esthétismes universels, et leur sexe en appelle autant aux plus beaux des excès qu’à la dépendance.


J’ai gagné en neutralité ce que j’ai perdu en fureur, et seul l’ultime peut encore me faire divaguer, comme un débile pris sous les feux croisés de tous les regards et de la science.


Toutes les hauteurs sont vides de ces éternités où Dieu ne sait pas mourir.


A cette certitude d’avoir un destin, j’ai substitué cette autre de ne rien avoir été, sinon un endormi signalé par ses détresses.


Tous les jours où nous sommes au sommet, sont des compositions de l’ordre d’une littérature écrite sur le ton doctrinal d’une oraison.


Dieu fasse que je n’en finisse pas de m’exténuer !.


J’ai bien mieux à faire que d’exister, oui, mais quoi ?


Nos raisons d’être sont toujours au dessus de nos raisons de disparaître, c’est pourquoi nous subsistons et nous nous leurrons.


Je me suis attaché à ne pas montrer toutes mes vacuités, toutes mes inanités, ce fut hélas dans ces excès que j’ai le mieux fait part de mes vides, de tous mes vides.


 Les femmes qui vont aux vendanges, parfois s’assoupissent pudiquement, quand leurs enfants ingrats font fortune dans les lieux où l’aise met des reliefs sur leurs toutes petites précautions ; les femmes qui sont aux vendanges ont des chignons de trèfles et d’azur et prétendent que Dieu a tatoué ses hérédités jusque dans leur sang, que pour le porter en tous lieux il a fait de leurs coiffes un archipel de musiques et d’offrandes, où des hommes amers, graves, descendus des montagnes viennent supporter leur oubli, leur histoire ; les femmes vendangeuses mettent leurs larmes dans des mouchoirs, pour en faire des toisons d’or et d’airain à la gloire de leurs parents morts d’avoir sarclé toutes les vignes d’un seigneur.


La mort est le taux d’usure de nos propensions à tout vouloir rendre éternel.


Certains mettent tant l’accent sur leur fatuité, que devant moi ne subsistent que des hommes.


Dans la musique rien qui ne se fourvoie, si ce n’est Dieu qui entre dans nos cerveaux pour y rêver nos vies.


Prédisposé à la lèpre de la parole, l’homme surgit du rebut pour s’insinuer dans les écoeurantes religiosités des prières qu’il fait pour se redresser.


Toutes les nuits sont pour moi des archipels de détresse où mes sens s’attroupent, pour se déverser en mélancolies et nauséeux souvenirs.


J’ai voulu que rien ne m’évanouisse de ce qui valut la peine que je m’en embarrasse, or le temps s’est arrogé le droit de m’en desservir, et de modifier jusqu’à mes dépotoirs d’envies.


La douleur est de l’ordre d’un orgue assourdissant en contact direct avec la conscience.


Dans l’amour les glandes se rompent de toutes parts, pour laisser transpirer jusqu’à la vacuité de nos organes, la suprématie du chaos.


Qu’est la profondeur de l’amour, sinon du temps, un laps de temps qui ne survivra pas au lavabo ?


Dans les liturgies de l’amour, la fornication est une imprononçable évidence, et l’impérialisme des glandes est une voie que nous n’osons pas avouer, tant elle est obstruée de caducs sentiments.


J’ai trop souvent été dans l’implaisir de l’amour, et c’est ce souvent qui m’amène à dire que c’est une pouffiasserie érigée en systèmes de faux sentiments.


Parfois mes anémies sont de la couleur du temps, jaunâtres grisâtres, glaireuses, comme toutes ces amours insanes qui m’ont mis dans leur incuriosité.


La mélancolie m’a montré où je pouvais rencontrer Dieu, des latrines à la table d’hôtes.


Ma nervosité est un attentat de temps, plus je m’en accommode et moins je me sens responsable de tous mes débordements.
Dans mes inconforts tout est devenu banal, entre la prière et le jeûne, et la vie même une affaire de méfaits et de philosophie.


Une des formes de l’expérience est de considérer que l’on peut s’excuser de n’importe quoi et n’en rien ressentir.
Dieu m’est un témoin obligé.


Déceptif de nature, en quoi ai-je eu à m’en réjouir, qui ne m’ait aussitôt mis sur la trace d’un sicaire, qui n’aurait pour obligation que de déroger à sa propre suffisance ?


Je ne m’explique pas mes inefficacités, sinon par le fait que je n’ai été soucieux que d’engendrer des tragédies, celles qui me dévient et me délient de l’homme.


Je me refuse à regarder le monde comme incapable de se mesurer à ses propres médiocrités.


Dans mes silences je me penche sur ce qu’aurait été ma vie si j’avais été plus discret encore, dans une autre vacuité, j’en suis certain ,aussi détestable que mes tribulations.


Ma tristesse a corrigé jusqu’à la plus petite saveur de mes propres insanités.


Le hasard est un degré de cette éternité à l'intérieur de nous.


Espérer tient de cette maladie du voir, qui déroge à notre désespoir, pour nous conduire vers un temps sans aucun rapport avec le devenir.


Conduisons-nous comme si nous devions remonter dans la bête.