Aphorismes 15

Il y a des jours où je ne distingue pas la douleur organique de la douleur cérébrale ;toute émotion est une sanie de cette chair immobile et affectée, et toute affection la preuve d’une invalidante déliquescence ;et quel charme particulier, voluptueux en émane, comme si je marchais sous un soleil automnal dans les allées blanchies d’un cimetière.


L’ amour est la sensation d’un corps justifié, le nôtre, et nous y côtoyons l’ange et le démon, dans les transes brutales d’un cœur vierge de sa matière primaire.


Quel qu’ait été mon emplacement, entre la passion et cette humeur nourrie des pornographies de la parole, j’ai cherché dans ce mélange à ne rien compromettre qui ne fût l’expression de leurs insupportables nuances.


Comme tout est incertitude, vers quelle forme d’intérêt organique pouvons nous tourner nos êtres, et qui ne rencontre pas la faiblesse des mécanismes de la matière ?


Parfois je me sens plus poche d’un sicaire que d’un curé, Dieu a-t-il mis de la grandeur dans l’un et de l’ennui dans l’autre, ou s’est –il rapproché de chacun pour une étrenne ou une éternité ?


Nous nous agitons tant et tant comme des insectes douloureux sur une charogne, aveugles et implacables, jusqu’à souiller chaque pli, chaque ossature que la terre réclame comme une obole à ses transparences.


Chaque objet atteste de nos rejets et de nos déliquescences, et nous devrions baisser les yeux sur les vérités abjectes qu’ils retiennent par leur présence et leur représentation.


La  tristesse est une des primautés de la connaissance, on ne peut regarder les hommes avec lucidité sans que notre esprit ne s’englue dans cette même connaissance.


Dans ces zones où l’univers tout entier résiste aux larmes et aux tressaillements des hommes, je veux que mon surmenage passe pour une indécence et que l’espace résonne de mes confusions et de mes contusions.


Chaque jour davantage, l’idée de la mort m’apparaît comme une honnêteté verticale, un reversement effilé dans l’onde insondable, image blanchie de tous les endormirs.


A l’endroit où refluent toutes mes réflexions, celles qui m’ont mené aux insomnies, la banalité y est d’une telle résistance qu’on dirait que toutes mes contagions y ont leur origine.


J’ai très tôt compris que mon existence serait vouée à l’attente, culte du délicat et de la profondeur ;j’ai encore aujourd’hui la sensation de guetter, les pieds dans un bourbier quelque indéchiffrable révélation, un appel, mélange de musique et de demande.


La musique est la larme convertie d’une divinité muette, morte de n’avoir pu rencontrer les hommes, et se prolonge dans le halètement des sources, dans la respiration des plantes.


Mon but serait d’être enclin à une morosité si monstrueuse, que la terre même ne pourrait s’infiltrer dans les estuaires de cette imbécillité.


Tout ce que j’atteins est entaché du dormir, forme idéalement vague de l’assujetti et du commerce des sens, auxquels je n’adhère que dans mes pauvretés.


Les envers sont les prolongations de nos heures de déficience, celles où nous avons vu les choses de près, et les avons vidées de toutes les substances qui nous articulent.


Le mal d’être est un prurit de nos lucidités.


En face d’un sourire, on ne peut qu’être indisposé.


La mélancolie entre de plain-pied dans notre histoire, comme pour nous faire adhérer à des circulaires qui nous épargnent des apothéoses du pire.


Ma conscience a l’immobilité de ceux qui se sont bercés d’un ciel ,où toutes les exaspérations du monde montaient pour trouver un portique digne de cintrer leurs fatigues.


Il y a des horizons où l’on aimerait disparaître, et allégé de l’existence, errer ou s’éteindre dans le fouillis des astres épuisés par nos solitudes.


Submergé d’apparences, le monde étreint ses propres mirages et s’étend sur les objets que nous convoitons, dans ces vapeurs qui nous rappellent les procédés d’un corps qui cherche à se dérober à ses inerties.


Nos origines sont dans l’obscurité et la boue, et ce monde en est réduit à ne nous dispenser que les mêmes confusions d’où nous venons.


Ma discrétion est le contrepoint d’un temps où par dégoût des objets inconsolables, je clamais que le ciel pouvait les inonder de tous les pardons que je ne leur accorderai pas le mien.


La peur parfois rogne jusqu’à mes os et coule dans mes veines comme la forme inspirée de cette lâcheté où je convoitais la parole pour un dernier mot d’esprit ou une épitaphe.


Tous les jours sont pour moi des austérités posées dans ma nuit, et je les regarde comme une exécution légitimée par des tribuns, pour qui la mort n’est qu’une hémorragie.


Dois je croire que mes vitalités sont ces simples oboles que des mains de vieillard posent dans ma besace, ou dois je les compter comme la prime récolte d’un corps ramassé qui cherche le chemin des manques ?


L’amour, rencontre de deux divinités insanes qui n’ont pas projeté la destruction de leur corps  dans l’attachement à l’existence, et rêvent de mourir dans les ondoiements de l’orgasme, dans l’âcreté des volutes qui s’élèvent d’une cigarette.


Dans la solitude tout est nocturne, et ce qui ne l’est pas, enveloppe nos larmes des couleurs de l’horizon, noyé de naufrages et de neurasthénie.


A quoi bon se déchirer dans l’ascétisme ou les dédoublements, quand il suffit de la géographie d’un corps qui marche sur un quai ?

Vivre c’est cracher du sang sur le monde et vouloir le noyer dans ses globules mêlés à la paresse d’un virus qui cherche impunément à se multiplier, avant de nous précipiter dans les océans violacés par notre douloureuse condition.


Toutes les décisions sont droites, et dans le confort de l’équilibre, elles révèlent leur suspension instantanée, et tous les guillemets des archipels de notre sang.


Je me consolerai de n’avoir pas eu ma place parmi les hommes en ayant celle-ci auprès des morts.


Primauté nauséeuse du corps quand il veut s’étendre et séduire.


Tant je n’ai pas voulu accumuler de rencontres, tant je me résigne à m’approcher de moi, de peur d’y trouver la trace de tous ceux que j’ai écartés, pour n’avoir pas à porter le poids de leur chétive destinée.


On remue tant et tant, que la faiblesse nous vient comme l’unique architecture qui ogive nos os.


L’ennui est la sensation pesante du corps quand il s’est trop rapproché de la règle ou de la marge.


L’essentiel en tout commence toujours par les solutions d’un devenir qui réconcilie l’homme et la religion.


Tous les jours que la banalité recouvre de sa chape d’aveuglement, je vais parler honnêtement de moi dans les bistrots et les bouges.


Je n’ai souvenir de rien que je n’ai gardé en mémoire, pour le surmener sur les ondes qui traversent les airs et mes os.


Dans cet espace ou mon retrait tient de la consolation et de la quarantaine, les abords sont trop cotonneux, et les arbres même ont le visage des connaissances mal éveillées.


C’est déjà trop que d’être ,comment faire pour devenir ?


Il y a des solitudes que l’on bâtit pour que tout y apparaisse ultime, ces solitudes tiennent de l’insularité et du précipice.


Ma vie aura été un agrément, sentiment céleste que rien ne devait y flamber, que rien ne devait s’en détacher, sinon une sensation d’indolence, donc d’insolence.


Dans la position d’un insurmené,je regarde les êtres comme des animaux sauvés du déluge, et qui s’ouvrent aux infinis de la condition humaine en rêvant.


La chair bourdonne d’affectivité, et nous séduit tant, que nous oublions à quelle éternelle absence elle nous convie par ses pâleurs.


Les idées sont des couleurs irréductibles, et plus elles éclatent, plus nos dégénérescences attestent des profusions dans lesquelles elles se dissolvent.


Dieu est le seul moyen que j’ai de transformer mes détachements en liaisons, et mes liaisons en déambulation.


Le suicide est le dernier stade de cette désolation où tout est si vague, que la monotonie même apparaît comme le degré ultime d’une insane volupté.


Chaque fois que je rencontre la fatigue, il me semble qu’attaqués au centre de leur décharge, mes os ne sont qu’un mélange douteux de lourdeur et d’infini, émanant des douleurs muettes où s’altèrent mes légèretés.